dimanche 7 avril 2013

Madeleine Gagnon se penche sur sa vie


«Depuis toujours» de Madeleine Gagnon témoigne du parcours fascinant d’une femme qui a toujours cherché la liberté, l’égalité et la justice. Le tout sans masquer des déceptions, autant professionnelles que familiales. Madame Gagnon a connu la mesquinerie même si elle reste discrète. Jamais elle n’en profite pour régler ses comptes. Un plaidoyer pour l’affirmation de soi et du Québec, de la littérature qui dit une nation dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus senti.

Le récit s’appuie sur sa vie, ses idées, ses écrits et ses amitiés avec des écrivaines remarquables. Bien plus qu’un récit autobiographique, l’écrivaine peint une époque charnière du Québec.
Dans «Depuis toujours» comble jusqu’à un certain point mon ignorance de l’œuvre de cette écrivaine. Elle raconte son enfance à Amqui, brosse un portrait fascinant de ses parents et grands-parents qui sortaient de l’ordinaire. Qui dans les années 40 envoyait ses enfants à l’école? Ce n’était pas dans les mœurs de ma famille. La scolarisation se terminait à la sortie de l’école de rang.
L’art de l’autobiographie ne va pas de soi. Plusieurs s’y aventurent sans pour autant échapper aux balises. La plus belle réussite du genre est certainement «La détresse et l’enchantement» de Gabrielle Roy au Québec. Une écriture venue tardivement qui a laissé le lecteur à la veille de la parution de «Bonheur d’occasion». Comment l’écrivaine a vécu ce succès, nous ne le saurons jamais? Heureusement, madame Gagnon n’a pas tardé à se pencher sur sa vie et son parcours.

Études

La jeune Madeleine aime étudier et le père, un homme d’exception, avec la mère Jeanne, une femme attachante et curieuse, ne feront rien pour contrer les ambitions de leur fille.
«… Je l’ai déjà écrit ailleurs mais j’aime à le répéter: «Et si je n’ai pas assez d’argent pour faire instruire tous mes dix enfants, je ferai d’abord instruire les filles!» Pourquoi? avions-nous osé demander. Sa réponse fut simple: «Parce que les femmes sont meilleures, plus intelligentes et ont plus de morale. Et parce qu’elles transmettent les valeurs d’une génération à l’autre. Les garçons, eux, peuvent toujours gagner leur vie avec la force de leurs muscles.» (p.123)
Étudier à l’époque voulait aussi dire exil. Madeleine séjournera au séminaire des Ursulines de Québec avec ses règlements implacables et ses injustices.
«Ce jour-là, elle me dit sans autre préambule que si je voulais revenir au collège l’année suivante, je devais renoncer à mes premiers prix – j’en avais quelques-uns, et dans quelques matières. Elle me donnait vingt-quatre heures pour réfléchir et lui faire connaître ma réponse. Sans trop comprendre de quoi il retournait, et flairant l’abus de pouvoir, je ne mis pas vingt-quatre heures, mais vingt-quatre secondes, et la fixant droit dans les yeux, ce qui nous était interdit, humilité oblige, je dis: «Ma décision est prise, mère, je garde mes prix!» Ne pouvait contenir sa rage, elle hurla: «La porte, mademoiselle. La porte de mon bureau et celle du collège, l’an prochain. Vous êtes congédiée! Pour cause officielle d’insubordination!» (p.45)
Après bien des pérégrinations, la jeune femme continuera à Moncton où elle découvre les joies de la connaissance. Il y aura beaucoup de migrations avant l’installation à Montréal et des études en philosophie.
«L’un des professeurs nous avertit dès le premier cours qu’il ne donnerait jamais plus de 70% au travail d’une fille, quelle qu’en soit sa valeur. Bon. Il y eut un silence. Puis, quelqu’un a osé, d’une voix timide, demander pourquoi. Le professeur sembla surpris, mit un peu de temps à répondre et dit: «Parce que tout le monde sait que les filles ne viennent pas en philosophie à l’université pour étudier, mais pour trouver un mari!» (p.67)
De quoi devenir révolutionnaire. Madeleine Gagnon poussera jusqu’au doctorat en France.

Écriture

Une fois ces connaissances acquises, madame Gagnon se tourne vers l’écriture. La poésie, les textes militants, la découverte de la littérature québécoise, la conversion à l’idée de la souveraineté, l’amour, le mariage, la maternité, la dure condition des femmes.
Une histoire de franches amitiés aussi, une volonté de rendre la société plus juste pour les femmes surtout. Le militantisme syndical, l’enseignement de la création littéraire et la défense de la littérature du Québec dans ses cours et lors de conférences à l’étranger. Madeleine Gagnon deviendra une sorte d’ambassadrice littéraire comme Miron le fut en poésie.
Un témoignage touchant, juste, sans complaisance qui nous entraîne dans ces années où le visage du Québec a changé.

«Depuis toujours» de Madeleine Gagnon est paru chez Boréal Éditeur.

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