jeudi 11 mai 2006

Hervé Bouchard propose une aventure

Je rêve de voir «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard sur scène. Il faudrait peut-être demander à Loco Locass d’incarner ce délire verbal et halluciné. Je rêve de m’enfoncer dans ce texte immense et échevelé, ce chant polyphonique qui désarçonne afin de vivre une émotion pure.
Je me calme. Je reprends mon souffle! Parce que s’aventurer dans un texte d’Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière, reste une véritable aventure. «Toutes les chaises sont identiques et pourtant, pas une qui soit à la même place.» Il nous bousculait tout autant dans «Mailloux», sa première histoire. «J’ai été Jacques Mailloux, comédien de naissance, enfant sans drame, dehors tout le temps.»
Je me rebiffe souvent devant les écrivains qui étouffent dans les habits de la langue française. Le français a tellement de détours et de subtilités, il me semble, que la littérature n’a guère besoin de «patenteux de langages». Hervé Bouchard a vite fait de me retenir pourtant. «Aussi la veuve Manchée porte-t-elle une robe de graisse jusqu’aux genoux.» Comment résister? Peu importe les personnages ou l’histoire, Hervé Bouchard échiffe la langue et la réinvente dans un souffle coriace et rugueux comme un vent du nord.

Références

Dans «Parents et amis sont invités à y assister», Bouchard présente une famille d’orphelins d’Arvida. Les références géographiques sont toujours importantes chez lui. Comme si l’écrivain avait besoin d’assurer son contact avec le sol avant de lancer sa complainte. Le père meurt, la mère se retrouve en institution et les tantes innombrables s’occupent des enfants. Les narrateurs sont peut-être des idiots, des attardés ou des adultes qui oublient de grandir. Mais laissons la raison raisonnante et basculons dans ce chant insolite.
«Elles descendirent  et tout alentour était vrai : l’usine au large de leur regard dans un voile de fumée qui sentait, la poussière en gris pâle, l’asphalte conjugué en mou, les poteaux gros de créosote, les murs en brique teintée en trente, les escaliers premiers du nom, des corneilles bleues, des moineaux à motifs et des fils de corde et des fils de fils maintenant tout au sol dans la musique qu’il faut, des érables à hélices, des saules en phase brune, des peupliers prêts à neiger, des ormes à bras, des sorbiers portant grappes, des pommetiers en pleurs, des cerisiers à romances, des terre-pleins à ras bords…» (p.84)
Nous nous enfonçons dans les strates du langage et l’auteur nous emberlificote dans une pâte onctueuse. Un texte qui s’entend fort bien. Il faut voir Hervé Bouchard sur scène, endossant ses textes. Je l’ai écouté plusieurs fois, à Québec comme à Jonquière. À chaque fois il réussit à nous égarer dans sa jungle textuelle et sa transe chamanique.
Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge.

Texte sauvage

Il faut revenir encore et encore sur les phrases de Bouchard pour en goûter la texture et l’inventivité. Je songe à la beauté touffue des lettres de la mère Manchée à ses enfants et à la réplique des fils. À couper le souffle! Ou encore cette véritable litanie autour de Lazare, le ressuscité. Un pur bonheur!
«Levez-vous et frémissez, frémissez, mes amis, car la résurrection du Lazare n’est pas un conte innocent sur lequel on se repose avant d’ensevelir notre frère là. Écoutez-le, lui, qui parle dans sa boîte en peuplier avant son heure, et préparez-vous à fuir.» (p.200)
Un blues qui ne laisse pas de répit. C’est dense, dur, chaque récitatif est écrit à la pointe du diamant. Une forme d’exorcisme qui passe par tous les replis de la vie et de la mort. Tout est là! Du plus cru à la trouvaille poétique qui s’invente des chemins de traverse.
Une souffrance terrible marque les écrits d’Hervé Bouchard. Elle n’est pas sans rappeler Samuel Beckett qu’il ne manque jamais d’évoquer comme l’un de ses maîtres. Une douleur d’être malgré les rires qui peuvent éclater. Ce «citoyen de Jonquière à carnet» est vraiment plein de ressources.

«Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier.

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