jeudi 25 septembre 2008

Nicole Houde maîtrise parfaitement son sujet

Nicole Houde, depuis «La Malentendue» parue en 1983, ne cesse d’étonner et de cumuler des prix, dont un Gouverneur général avec «Les Oiseaux de Saint-John Perse» en 1995. Son douzième ouvrage vient de paraître, un roman qui boucle un long périple marqué par des oeuvres denses qui éventrent des secrets de famille.
«Je pense à toi» confronte la figure paternelle, une rencontre inévitable dans la démarche de cette romancière. Si elle l’a effleuré à plusieurs reprises, ce père, elle le regarde droit dans les yeux cette fois. Elle présente ici un récit d’une force étourdissante. Un coup de poing, un texte que l’on découvre en se mordant les lèvres. Dérangeant. Bouleversant.
Victor Lavoie perd sa mère enfant. Il porte un lourd héritage, comme tous les personnages de Nicole Houde, un legs impossible à repousser. Les femmes et les hommes chez cette écrivaine sont marqués par une génétique qui les hante et les broie. Une sorte de destin les entraîne irrémédiablement vers la tragédie et la mort.
«Le temps n’existait plus que par brefs intervalles. La neige de cet été-là fondait en moi. La boue de cet été-là giclait en moi. Le séisme du 25 mai 1928 ne cessait de se reproduire en moi : de la boue partout, des pierres, une rivière en pleine débâcle, une fille de treize ans qui tremble de tous ses membres dans la montagne tremblante de tous ses arbres. Depuis le 20 juin, j’avais quatorze ans et, au contraire des garçons de mon âge, je ne voulais pas devenir un homme. À cause de l’aveuglement. À cause des clôtures autour des gestes et des mots.» (p.46)

Écrivain public

Cuisinier dans les chantiers, Victor se transforme en écrivain public, devient une sorte de nomade qui combat des démons de plus en plus menaçants.
S’il a reçu de sa mère l’amour des mots et des histoires, il y a aussi ce goût de l’alcool transmis par un père alcoolique. Est-il possible d’échapper à ce destin familial qui le pousse vers les portes de la mort et du délire, ces « enfermements » qui sont le lot des adultes?
Sophie, Gaétane ou Angéla réussiront-elles à retarder la glissade? L’amour permettra-t-il de s’aventurer hors des «clôtures» du village de Saint-Fulgence? Angéla laisse croire un moment qu’ils vont échapper au gouffre. Le couple vivra un moment de grâce et de répit, quelques jours de bonheur avant la tornade.
«Je voudrais que chaque instant de cette soirée de juillet soit préservé. Chaque mouvement d’Angéla, chaque intonation de sa voix. Je la contemple afin que cette joie émanant d’elle soit mon éternité à moi. Un tel bonheur, je titube pour vrai, je la garde tout contre moi.» (p.115)
Pendant ce temps, le diable exerce sa patience, ricane au fond d’une bouteille et attend son heure. Victor et Angéla deviennent rapidement des étrangers à mesure que les enfants naissent, que l’alcool impose ses cycles, que les mots explosent, blessant l’âme plus sûrement que des couteaux affilés. Les héros de Nicole Houde sont conscients de leur destin et ils savent qu’ils ne peuvent le repousser ou le changer.
Sur fond historique, Nicole Houde campe des personnages inoubliables, attachants malgré cette fatalité qui les étouffe et les entraîne vers le pire. Un portrait terrible de la vie de village qui oscille entre le dit et les secrets qui étouffent et tuent à petit feu, dissimulent l’inceste et les suicides. Une fresque terrifiante.

Poésie sauvage

Un roman d’une beauté qui subjugue, une poésie sauvage qui transforme cet univers âpre et le pousse jusqu’à l’hallucination et le délire.
«Un homme tremblant comme une bête parée pour l’effroi, combien de fois n’ai-je été que cela ? Tous mes grands rires, toutes mes grandes peurs éparpillées aux quatre vents, et moi, si petit face à cette grande ourse qu’est la mort. Je me rappelle qu’adolescent, je refusais de devenir un homme à cause de l’aveuglement et de ces clôtures autour des gestes et des mots qui viennent à bout des fillettes de treize ans abusées par leur père et par des connivences meurtrières.» (p.113)
Voilà l’oeuvre d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Jamais Nicole Houde n’est allée aussi loin.

«Je pense à toi» de Nicole Houde est paru aux éditions de la Pleine lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=Je%20pense%20%E0%20toi

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