jeudi 8 mai 2008

Martyne Rondeau continue de déstabiliser

Martyne Rondeau étonnait par son effronterie, des propos crus et une volonté de s’attarder aux désirs les moins avouables dans «Ultimes battements d’eau», un premier roman paru en 2005. Elle n’oubliait aucun détail dans une approche «masculine» je dirais, où le personnage féminin mène le jeu sexuel et ne recule devant aucun fantasme. Une folie ressassée, une douleur qui calcine l’âme et l’esprit.
Dans «Ravaler», son second roman, l’écrivaine déstabilise tout autant et donne l’impression de courir pieds nus sur des tessons de bouteille. Parce que le lecteur ne sait s’il plonge dans une histoire «réelle» ou s’il doit s’accrocher à une allégorie.
«Bébé, j’étais ruisseau coulant entre les mains violentes de maman. Je cherchais plus grand ailleurs. Là où me jeter. Maman me laissait nager. Longtemps. Dans mes larmes, mes sueurs, mon urine. Je me rappelle, et comme je voudrais oublier, les matins passés à pleurer sur le quai derrière. C’est là que m’est venu mon désir d’écrire pour mieux hurler. Désir de liberté sèche. Là, je vis en mâchant et en écrivant. Ma vie n’a été que ça: croquer et la mort.» (p.15)

Ambivalence

Martyne Rondeau aime les ambivalences. C’est heureux parce que si le lecteur s’en tenait à la réalité crue, son roman deviendrait difficilement tolérable. C’est obsédé et obsédant, halluciné et hallucinant, sans partage et sans répit. La narratrice va jusqu’à tuer son enfant Roman et à le faire rôtir dans la poêle. Faut pas conclure trop vite pourtant! Nous ne sommes pas dans une sordide histoire qui fait les délices des voyeurs dans les journaux. L’écrivaine nous pousse rapidement dans le flou. On ne sait plus et on préfère ne pas trop savoir.
«Je l’aime, ce roman. Il m’habite depuis longtemps. Je l’ai rêvé bien avant. Je l’ai régurgité. Je l’ai pissé. J’en ai joui. Écrire les restes d’un cauchemar. Retranscrire la perte, le feu et le sang. J’aime la mort. Elle vit en moi depuis ma naissance médicale. Saint-Laurent m’a transmis la maladie. J’ai été  la plus heureuse lorsqu’il est revenu s’étendre sur moi, ronde, contaminé par cette espèce de virus volant. Il continuait de discourir en embrassant ma nuque en comptant mes vertèbres en tirant mes poils pubiens. J’étais son autre oasis sauvage.» (p.29)
En évoquant le travail de l’écrivain qui s’isole, puise en lui pour mettre au monde l’œuvre, l’entreprise prend un tout autre sens. C’est fort habile.
«Quand on aime quelqu’un, on doit l’aimer vraiment. D’un bout à l’autre. Avec ses défauts aussi. Arriver à les comprendre. Aimer c’est savoir admirer l’autre. Être ébloui. Fasciné. Inspiré. Roman me renvoie l’amour franc, spontané, sans détour. J’apprends à jouer avec lui. Être étonnée par ma chair en miniature. Être soulevée par mon sang de ménopausée. Un Roman qui vit altère tous les autres systèmes environnants. Il détruit la réalité. Il provoque l’illogique. Il fabrique la mort tous les jours. J’aime la sentir tout près de moi. La veiller le midi. Savoir ce que c’est de transmettre la perte de l’autre.» (p.67)

À la limite

Martyne Rondeau aime les paradoxes et les paroxysmes où tout peut basculer et s’effondrer. Aucune retenue chez cette romancière qui semble faire le pari d’écrire en se tenant à la limite du tolérable et de la conscience. Elle glisse sur le fil d’un rasoir et nous sommes continuellement bousculés et abandonnés au bord du précipice. Ses jabs et ses uppercuts étourdissent, enferment dans une folie particulièrement étouffante.
L’entreprise tient par une écriture d’une densité rare. Le rythme casse à chaque mot et devient halètement. Elle bat la phrase, l’échiffe, la défait, la triture et martèle encore et encore. Son travail à coups de marteau m’a laissé abasourdi, dans une sorte d’état second. Elle a toujours réussi à me retenir cependant. Une forme d’exploit avec des sujets où le sordide et la démence risquent d’en rebuter plusieurs. Mais la littérature n’est pas faite que de dentelles et de chants de tourterelles. Malheureusement, l’écrivaine s’essouffle un peu vers la fin de ce court ouvrage. Elle semble chercher une manière d’échapper à la tornade qu’elle a engendrée et qui l’aspire.

«Ravaler» de Martyne Rondeau est publié chez XYZ Éditeur.