dimanche 25 janvier 2009

Le Mal a-t-il étendu son emprise sur le monde?

Avec la Révolution tranquille au Québec, plus personne ne croyait à la survie du conte et de l’oralité. La population fonçait vers la modernité et tournait le dos à un univers où revenants, géants, sorciers et lutins en menaient large.
En migrant massivement vers la ville, les Québécois abandonnaient récits et contes derrière eux. Ils ne voulaient pas s’encombrer des relents d’une autre époque. Il a fallu des chercheurs comme Aurélien Boivin pour nous redonner nos racines dans certaines anthologies et des citadins audacieux pour redécouvrir les séductions de l’oralité.
André Hamelin, le fondateur des Éditions Planète rebelle qui se consacrent essentiellement au conte, avec quelques téméraires, ont exploré des univers, secoué une tradition qui semblait vouée à l’oubli. Plusieurs courants s’y croisèrent avec Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Fred Pellerin et Jean-Marc Massie.
Peu à peu, le conte retrouva son espace dans l’imaginaire québécois et les événements se sont multipliés, faisant courir les foules. Signalons le «Festival de contes et légendes du Saguenay-Lac-Saint-Jean» qui ne cesse de surprendre et d’envoyer conteurs et menteurs partout dans la région. Fred Pellerin est devenu la figure emblématique de ce renouveau. Le succès du film «Babine» constitue une belle revanche pour tous les conteurs du Québec.

Le temps des loups

Rares sont les écrivains qui s’aventurent sur le terrain du conte et de la légende. C’est pourquoi il faut signaler «Vargöld», ce roman au titre étrange de Jacques Lazure. Le lecteur croirait plonger dans une histoire se déroulant dans un pays scandinave.
Nous sommes au Québec pourtant, en 1828. Un jeune abbé, enseignant au séminaire de Montréal, pratique des exorcismes, ces rituels minutieusement encadrés qui parviennent à chasser les démons qui ont pris possession des hommes et des femmes.
Cette spécialité fera en sorte qu’il soit envoyé en mission par son supérieur dans un chantier de l’Outaouais où anglophones et francophones se côtoient, où un meurtre sauvage que personne n’arrive à expliquer est survenu, Tous affirment que le Diable a pris possession de la forêt. En plus, impossible de retrouver les jambes du mort.
Il faut exorciser le camp, chasser les démons avec de l’eau bénite pour que tout revienne à la normale. Une petite excursion de quelques jours croit l’abbé Verreau qui consent à contrecœur à effectuer ce voyage en forêt.

Fantasmes

Peu à peu nous glissions dans un monde où réel et imaginaire se bousculent. Des scènes d’une violence effroyable surgissent, des loups-garous apparaissent, des mutations surviennent, des diables prennent la forme des loups. L’abbé Verreau s’efforce de cerner le tout avec sa raison, même s’il plonge dans monde où les fantasmes qui traversent les esprits des hommes esseulés se matérialisent pour le pire. 
Le jeune abbé bascule dans une terrible expédition où il affrontera ses pulsions sexuelles et ses doutes. Il s’enfoncera dans un enfer où démons, diables, loups-garous, êtres mi-hommes et mi-bêtes se transforment, errent en cherchant une âme à se mettre sous la dent. Tout se confond, le bien et le mal, l’imaginaire et le réel.
«Antoine chancela, ferma les yeux. Trop d’images le frappaient, le provoquaient, l’anéantissaient. Il avait des visions, encore des visions, toujours des visions. Mais cette fois, ce n’était pas le passé qu’il voyait, ce n’étaient pas les adorateurs de loups, les esprits malsains qui se manifestaient entre la Noël et l’Épiphanie. Non. C’était l’avenir, l’œuvre du démon absent, l’œuvre du Mal en l’homme, l’œuvre de l’homme rendant vivant le Diable.» (p.425)
Antoine Verreau retrouvera le monde civilisé, seul survivant de cette terrible aventure, après avoir perdu son équilibre mental.

Le règne du mal

Faut avoir le cœur solide pour traverser cette épopée étrange où les rebondissements sanglants se bousculent. Le lecteur réchappe de cette lecture en se demandant si Jacques Lazure n’a pas raison. Encore une fois le conte réussit à démontrer, aujourd’hui comme hier, que le pire ennemi de l’homme reste l’homme. Le Mal n’est plus refoulé dans des temps anciens pour rassurer l’auditeur. Le bien échoue dans sa mission. Le Malin s’approprie le présent, s’accapare du futur pour guider les actes des humains.
Comment expliquer autrement la présidence de Georges W. Bush, la poussée sanguinaire d’Israël dans la bande de Gaza, l’Irak, l’Afghanistan et ces conflits où des populations entières sont massacrées comme rarement on l’a fait dans l’histoire.

«Vargöld, Le temps des loups» de Jacques Lazure est paru chez VLB Éditeur.

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