dimanche 15 mars 2009

Nicole Houde boucle un long cycle

Avec «Je pense à toi», son douzième ouvrage, Nicole Houde boucle un long cycle marqué par des oeuvres denses et troublantes. Il en aura fallu du temps pour ce face à face avec le père, une rencontre attendue et longtemps repoussée par la romancière.
Les femmes et les hommes, chez Nicole Houde, sont marqués par une génétique qui les hante et les broie. Victor est fils de père alcoolique pour son plus grand malheur. Il perd sa mère alors qu’il est encore enfant et ne s’en remettra jamais.
«Le temps n’existait plus que par brefs intervalles. La neige de cet été-là fondait en moi. La boue de cet été-là giclait en moi. Le séisme du 25 mai 1928 ne cessait de se reproduire en moi : de la boue partout, des pierres, une rivière en pleine débâcle, une fille de treize ans qui tremble de tous ses membres dans la montagne tremblante de tous ses arbres. Depuis le 20 juin, j’avais quatorze ans et, au contraire des garçons de mon âge, je ne voulais pas devenir un homme. À cause de l’aveuglement. À cause des clôtures autour des gestes et des mots.» (p.46)
Est-il possible d’échapper au destin familial, d’annihiler une «malédiction» qui pousse vers la mort et le délire?

Études

Étudiant au séminaire de Chicoutimi, il doit mettre fin à ses études. Son goût pour les mots lui permettra de devenir écrivain public dans les chantiers forestiers où il travaille comme cuisinier. Vie de nomade, de départs et d’arrivées, Victor combat des démons de plus en plus menaçants, incapable de repousser l’alcool.
Sophie, Gaétane et surtout Angéla retardent la chute. L’amour permet à Victor de s’aventurer hors des «clôtures» du village de Saint-Fulgence, d’espérer échapper aux tares héréditaires. Le couple vit un moment de grâce, quelques jours de bonheur, avant la tornade qui emporte tout.
«Je voudrais que chaque instant de cette soirée de juillet soit préservé. Chaque mouvement d’Angéla, chaque intonation de sa voix. Je la contemple afin que cette joie émanant d’elle soit mon éternité à moi. Un tel bonheur, je titube pour vrai, je la garde tout contre moi.»  (p.115)
Pendant ce temps, le diable attend son heure, ricane au fond d’une bouteille. L’alcool impose ses cycles et les mots tuent plus sûrement que des couteaux aiguisés. Victor et Angéla deviennent des étrangers avec les enfants.

Personnages inoubliables

Sur fond historique du Saguenay, Nicole Houde campe des personnages inoubliables. Un portrait terrible de la vie de village qui oscille entre le dit et les secrets qui camouflent l’inceste et les suicides. La fresque est assez terrifiante. Un roman d’une beauté sauvage qui transforme un univers âpre, pousse vers l’hallucination et la folie.
Voilà l’oeuvre d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Jamais Nicole Houde n’est allée aussi loin. Un récit étourdissant. Dérangeant. Bouleversant. «Je pense à toi» tient le lecteur en apnée.

«Je pense à toi» de Nicole Houde est paru aux Éditions La Pleine lune.

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