dimanche 16 août 2009

Guy Lalancette écrit avec un bistouri

Je suis demeuré sans mots après avoir refermé «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette, son quatrième roman. Comme si j’avais encaissé un solide coup de poing qui m’aurait coupé le souffle. Un roman doit être une plongée dans l’intolérable pour avoir cet effet.

Gabriel Blanc est retrouvé pendu dans la cage d’escalier du pensionnat de Torrent. Une institution comme il y en existait avant la réforme de l’éducation et l’invention des cégeps. Ce qui semble un suicide n’est pas aussi clair. D’étranges blessures recouvrent le corps du garçon. Le drame est survenu le 23 décembre 1964.
Éliah Pommovosky semble s’être jeté du haut du château d’eau de Grimley, un 13 décembre, neuf ans plus tard, tentant de se pendre avec des foulards. Valérie Lambres, son amie, son épouse d’un soir, le retrouve dans la neige. Il vit encore. Faut-il faire un lien entre les événements?
Les faits se juxtaposent. Éliah, confrère de Gabriel au pensionnat, a connu une enfance de violence et de hurlements. Son père a poignardé sa mère alors qu’il avait cinq ou six ans. Il l’a vue baignant dans son sang. Depuis, il trouve la paix dans l’automutilation. Son corps est devenu une véritable carte de ses tourments et de ses douleurs.

Amours interdits

Gabriel et Éliah étaient des amants. Attirance et répulsion, amour et haine. Les remords accablaient Éliah, contrairement à Gabriel, l’archange, l’être de lumière qui subissait toutes les insultes en crânant. Il assumait pleinement ses désirs et ses amours au masculin, vivant une complicité de tous les instants avec sa mère.
«Pendant qu’Éliah, poli, acceptait la poignée de main, le sourire de Gabriel tout à coup le figea. Il n’avait jamais vu un tel sourire. Même celui de Valérie Lambres, qui faisait un emballage cadeau avec le ruban, la boucle et toutes les couleurs, n’avait pas cette lumière-là. Le sourire de Gabriel Blanc lui prenait tout le visage, c’était un arpège au piano, une réunion festive, une Annonciation. Les yeux aussi, le bleu et le pers auréolés d’ambre comme des paysages au couchant. C’était trop tôt. Éliah ne pouvait pas savoir la souffrance quil y avait dans l’enchantement de ce sourire et de ce regard.» (p.39)
Éliah a découvert son corps et la sexualité avec Valérie, une amie d’enfance se montrant plus audacieuse. Une sexualité qu’il ressent comme une agression, lui qui n’a jamais appris la tendresse et les caresses.

Vengeance

Au pensionnat, Gabriel a été victime d’une vengeance ourdie par les brutes de l’institution, des représailles propres aux milieux fermés où dominent les préjugés. Une flagellation à laquelle Éliah a été forcé de participer. Un parallèle évident avec la passion du Christ, la trahison de Judas. 
«Ce qui avait échappé à Éliah, frappant Gabriel plus qu’on en attendait de lui, ce sont les raisons de son excès, de son débordement qui n’avaient pas à voir qu’avec les menaces  de Pilote. À travers ses larmes, ce regard de Gabriel, sa tendresse et sa compassion lui avaient été insupportables; il aurait voulu qu’il lui reproche sa faiblesse, qu’il l’injurie, qu’il la condamne. Mais il aurait voulu surtout que Gabriel n’existe plus, qu’il n’ait jamais existé. À ce moment-là, contre tout entendement, il avait haï Gabriel pour ce trop d’amour qu’il lui portait.» (p.157)
Le roman nous pousse dans les coins obscurs de l’être, dans un crescendo puissant, dérangeant et bouleversant, quasi intolérable. Des scènes à couper le souffle qui font mal au corps et à l’esprit.
À nouveau Guy Lalancette explore les pulsions, les milieux fermés où le pire surgit devant la différence et l’originalité. Sa fascination pour les univers clos, les familles qui blessent pour la vie, se manifeste une fois de plus. Une constance chez cet écrivain, autant dans «Les yeux du père» et «Un amour empoulaillé». Une écriture envoûtante, des scènes qui restent à jamais dans l’esprit. Un roman d’une qualité supérieure qui ajoute à une œuvre déjà remarquable.

«La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette est paru chez VLB Éditeur.

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