dimanche 4 janvier 2009

La famille préoccupe toujours les écrivains

On pourrait croire, après ma chronique où je m’attardais aux écrivaines Sophie Bouchard et Anick Fortin que la famille a déserté à jamais le champ littéraire du Québec; que ce sujet n’intéresse plus personne avec les séparations fréquentes et les unions libres qui ont transformé la société en cinquante ans. Même si certains illustrent la solitude et l’incapacité à établir une relation de couple, la famille traditionnelle et reconstituée reste une source d’inspiration pour toutes les générations. 
Marie-Claire Blais, dans ses derniers ouvrages, suit des réseaux qui se nouent et se défont dans une société de plus en plus métissée. Des individus s’aident à vivre ou se perdent dans cette grande fresque qui débutait avec «Soifs» pour déboucher sur la «Naissance de Rebecca à l’ère des tourments». La famille décrite dans «Une saison dans la vie d’Emmanuel» n’est plus qu’un souvenir.
Nous effleurons là un fil conducteur important chez Victor-Lévy Beaulieu. Les relations tordues et incestueuses des enfants de la famille Beauchemin se mélangent dans quasi tous ses ouvrages, donnant une lumière particulière à une œuvre touffue où le pire comme le meilleur surgissent.
De jeunes écrivains s’intéressent à ces liens qui subsistent entre les individus expulsés des familles éclatées. Stéfani Meunier, dans «Et je te demanderai la mer», présente des hommes et des femmes qui se retrouvent, s’aident, créent des liens étonnants et originaux. Avec l’aide des enfants, les adultes oublient leur «moi» et se redressent. Signalons l’univers étrange de Gaétan Soucy dans «La petite fille qui aimait trop les allumettes» et ces figures interchangeables qui scandent leur vie dans «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard. Jocelyne Saucier dans «Les héritiers de la mine» et «Jeanne sur les routes» décrit elle aussi des liens parentaux singuliers. Marie-Sissi Labrèche illustre de façon remarquable une famille dysfonctionnelle dans «Borderline».

Le monde de Maryse

Francine Noël, en 1984, nous entraînait dans l’univers de Maryse O’Sullivan, l’une des figures les plus attachantes de la littérature québécoise. François Ladouceur pensait changer la société en oubliant de le faire dans sa vie privée. Ce roman s’attardait à une réalité nouvelle. La famille contemporaine doit permettre à chacun de s’épanouir. L’autorité matriarcale ou patriarcale qui sévissait depuis des siècles tombait en désuétude, était remplacée par un clan élargi où, malgré la fin des passions amoureuses, des liens résistent.
Francine Noël revient régulièrement à sa tribu depuis «Maryse» qui a connu un beau succès. En 1987, elle ajoutait une page à cette aventure contemporaine dans «Myriam première». Dix ans plus tard, les lecteurs retrouvaient Maryse O’Sullivan dans «La conjuration des bâtards», une plongée au coeur de la question environnementale. Le terrorisme y est illustré de façon dramatique, deux ans avant l’attaque des tours de New York en 2001. Une réalité où des groupuscules transportent la guerre dans les autobus, les trains, les gares ou les quartiers commerciaux pour faire le plus grand nombre de victimes. Dans cette œuvre touffue, ambitieuse et multiforme, Francine Noël aborde ce sujet de façon remarquable et présente les séquelles de cette violence aveugle dans «J’ai l’angoisse légère», le dernier volet de sa saga.
Le clan

Dans cette récente parution de Francine Noël, François Ladouceur est écrivain et vit mal le succès. Maryse O’Sullivan a été tuée dans un attentat terroriste au Mexique, il y a cinq ans. Myriam vit sa vie de comédienne et Marité et Elvire s’occupent des leurs. Tibodo, Félix et Vincent se débattent dans leur quotidien pendant que Garance, une artiste inventive, rôde autour du clan. Elle n’arrive pas à retenir les hommes qu’elle aime et trouve «un peu d’humanité» dans ce réseau qui allège sa solitude. L’esprit de groupe, de partage et d’amitiés constitue l’essence des oeuvres de Francine Noël. Un univers profondément humain qui distille le bonheur malgré les pires épreuves. Ses romans décrivent une nouvelle famille qui ne cesse de changer selon les avatars de la vie. Madame Noël sculpte ses romans avec finesse et elle s’y montre une conteuse remarquable.
Le sujet n’a certainement pas fini d’inspirer les créateurs de tous les âges, autant au cinéma – pensons à C.R.A.Z.Y - qu’en fiction et d’explorer des avenues étonnantes et originales.

«J’ai l’angoisse légère» de Francine Noël est paru chez Leméac Éditeur.