dimanche 18 janvier 2009

L’identité porte plusieurs œuvres québécoises

La lecture de «Mon pays métis», l’essai de John Saul à peine terminée, je plongeais dans «Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge. Ce roman suit «La rivière du loup», un ouvrage qui permettait à l’écrivaine de Québec de rafler le prix du Gouverneur général en 2006 et de flirter avec plusieurs prix littéraires prestigieux. Une plongée dans un univers trouble où un fils et un père se confrontent sans jamais se quitter. Un lien filial que rien ne peut briser, pas même les interventions de la société bien pensante. 
Si John Saul affirme que les Canadiens nient leur ascendance métisse dans son dernier ouvrage, Andrée Laberge, elle, entraîne le lecteur dans la ville de Québec, présente des personnages qui cherchent un ancrage qui mettrait fin à leur errance identitaire.
Une jeune femme fouille ses origines. Malgré toutes les négations de sa mère, elle possède des traits amérindiens qui ne mentent pas. Cette mère, au bout de son âge, réalise qu’elle a été flouée par les fables de l’Église catholique. Elle entend tout changer avant qu’il ne soit trop tard. Un itinérant lui donne la réplique dans un chant d’amour improbable, empruntant les mots du «Cantique des cantiques», ce poème d’amour et de sensualité biblique. Un infirmier, orphelin sans lien de famille, éprouve une compassion démesurée pour ses patientes âgées, ce qui ne manque pas de lui attirer bien des embêtements. Le tout sur fond d’affrontements violents entre policiers et manifestants lors de la tenue du Sommet des Amériques à Québec. La capitale nationale est alors une ville occupée où les déplacements sont surveillés et contrôlés.

Débat politique


La question identitaire hante le monde politique québécois depuis des siècles. Après deux référendums, les Québécois hésitent entre l’idée de faire du Québec un pays et le vaste territoire canadien où se mélangent les cultures. Si John Saul effleure cette réalité dans son essai, il se garde bien d’aller au bout de ce questionnement. Son «grand cercle inclusif», l’idéal canadien d’obédience autochtone qui le fascine, aurait vite fait de broyer les minorités et de les assimiler. Dans la réalité, il y a toujours polarisation. Les majorités imposent toujours leur culture aux minorités plus vulnérables.
Cette question, plusieurs écrivains l’ont fouillée. Ying Chen, une écrivaine d’origine chinoise, ira jusqu’à nier ses origines. Dany Laferrière en fait la trame de fond de «Je suis un écrivain japonais». Pensons aussi à Sergio Kokis, à son personnage ballotté entre l’enfance et un présent instable dans «Le retour de Lorenzo Sanchez». Daniel Castillo Durante, dans «Un café dans le Sud», nous décrit un fils tiraillé entre une vie qu’il a construite en s’installant au Québec et l’autre, celle qu’il a quittée, pensant l’oublier à jamais.
Louis Hamelin dans «Le joueur de flûte» suit Ti-Luc Blouin, un jeune homme instable qui part à la recherche de son père sur la côte ouest. Dans «Cowboy», Blancs et Autochtones se côtoient pour le meilleur et le pire, illustrant une cohabitation difficile sous plusieurs aspects, contredisant les propos de Saul.

Une constance

La question de l’identité continue d’imprégner l’univers de plusieurs écrivains. Certains la placent au cœur même de leur projet d’écriture. Victor-Lévy Beaulieu étonne avec des personnages mutilés et handicapés qui illustrent de façon pathétique cette question. Tous sont victimes de cette incapacité à se doter d’un pays. Le pays rêvé adviendra peut-être avec le geste de ces mutilés qui prennent d’assaut l’Assemblée nationale à la fin de «La grande tribu», menés par Bowling Jack.
Et comment expliquer l’omniprésence de l’enfant dans notre littérature sinon par cette carence? Il faut se tourner vers cette question d’identité, d’incapacité à s’ancrer dans la société, de perte d’innocence pour comprendre le refus de vieillir de Bérénice dans «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Dans «Le fin fond de l’histoire», Andrée Laberge présente un roman exigeant où forme et sujet se confondent. Les personnages se bousculent sans pouvoir emprunter une même direction, comme s’ils étaient marqués à jamais par cette carence identitaire qui a fissuré leur vie. Le puzzle est fascinant, l’écriture complexe, mais le lecteur s’attache à ces figures, particulièrement à cette vieille femme qui se croit enceinte et s’invente un amour d’adolescente pour tout recommencer, même si le corps flanche.

«Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/196.html