dimanche 8 mars 2009

Francine Allard a l’art de raconter une histoire

Dans un quart de page paru dans Le Devoir, l’éditeur affirmait que ce roman en était rendu à son huitième mille. Un best-seller au Québec quand on sait que la moyenne des ventes romanesques effleure à peine les 500 exemplaires. Pourtant, il me semble que la plus grande des discrétions a entouré la parution, en août 2008, de ce roman à saveur historique.
C’était assez pour que je me penche sur le premier tome de cette saga. Francine Allard promet une suite au nom évocateur: «La vengeance de la veuve noire». J’ai été solidement ferré, comme on dit dans le langage de la pêche sportive. Les personnages, des femmes surtout, m’ont retenu tout au long de ces 300 pages. Madame Allard a l’art de faire rebondir une histoire, de transformer le quotidien de ses héroïnes en une véritable aventure.
«En 1910 vivaient à Lachine, sur les rives – ou du moins assez près – du lac Saint-Louis, noir d’encre à cet endroit, un homme et une femme parmi les jeunes familles les plus vivantes et les plus malchanceuses de ce début du siècle. Lui s’appelait Josaphat Trudel: elle, portait le joli nom d’Adélina Landry.» (p.7) Un véritable conte pour lancer cette histoire. Le récit en a toutes les caractéristiques. Des personnages bien ancrés, des rebondissements qui nous poussent en avant à chacun des chapitres. Tout l’art de Francine Allard est là. Elle est une excellente conteuse qui fait en sorte que ses personnages retombent sur leurs pieds malgré les tragédies et les épreuves qui se multiplient.

Deux femmes

Le lecteur s’attache à Émilia, une fillette au début de l’histoire, la fille de Josaphat et Adélina qui meure en accouchant de son deuxième enfant. Elle deviendra couturière. Donatienne, la sage-femme, une voisine qui résiste mal aux beaux yeux de Josaphat, se retrouve enceinte après la mort d’Adélina et s’exile à Oka. Une mère seule, au début du siècle dernier, n’avait guère la cote.
La crise n’épargne personne, les femmes sont presque toujours enceintes, les hommes sont menteurs et manipulateurs. Émilia s’en sort grâce à son talent pour la couture, attendant le grand amour qui provoque les frissons et les plus grands espoirs. Donatienne se lance en affaires avec Bill Tiwasha, un Amérindien qui disparaît de façon tragique. Elle mettra sur pied une herboristerie réputée, fabriquera du cidre et un peu plus tard, grâce à la complicité de deux moines d’Oka, du calvados. Impossible de résister à ces femmes qui ne reculent devant rien. Elles refusent le petit pain reçu à la naissance.
«Une femme, c’est pas juste fait pour rester à maison à tricoter pis à faire des biscuits à la mélasse», lance Donatienne.

Des femmes vivantes

Les femmes aiment l’amour physique et ne s’en privent pas même si la grossesse est là comme une malédiction.
«Il la frôlait maintenant et Émilia remarqua que son pantalon se gonflait toujours davantage. Rosette lui avait déjà parlé de cette réaction bizarre chez ses frères lorsqu’ils se levaient au petit matin. Elle n’avait fait qu’une allusion ou deux, les yeux baissés, de cette chose qui grossissait lorsqu’ils se trouvaient devant des filles à moitié vêtues.» (p.124)
Elles découvrent la sexualité selon les aléas de la vie. Émilia quittera son travail après l’agression de son patron, Monsieur Bernstein. Un mal pour un bien puisqu’elle sera employée par de riches familles. Une aventure d’un soir avec Bernard, le fils gâté, un séducteur irresponsable, ébranlera sa belle confiance et fera qu’elle se méfiera des hommes.
Les femmes de Francine Allard sont vivantes, impulsives, fidèles, pleine de ressources et capables de sauver leurs proches. Donatienne sort ses voisins de la misère avec son commerce illicite d’alcool pendant qu’Émilia pourvoit aux besoins des siens frappés par la crise économique.
Un peu manichéen pourtant. Les hommes sont sournois, menteurs, fourbes, irresponsables et obsédés. Il y a quelques exceptions bien sûr. Joseph, fils de Donatienne, le frère d’Émilia, mais pour les autres, il est difficile de dénicher la perle rare.
Beaucoup de dialogues qui vont droit au but. Une écriture simple, efficace et pleine de rebondissements. Une bonne histoire belle de surprises et très actuelle.

«La Couturière, Les aiguilles du temps» de Francine Allard est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=423