mardi 22 décembre 2009

Michaël La Chance réinvente la vie par le langage

Dans «(mytism) Terre ne se meurt pas» Michaël La Chance, poète et philosophe, questionne le langage et la pensée.
Les mots que nous utilisons sont sanglés comme les bêtes de trait. Notre langue domestiquée occulte la réalité. La beauté sauvage et anarchique du langage s’est perdue et il en résulte une pensée atrophiée. Bien pire, avec l’explosion des communications, le langage s’est vidé de toute substance. La parole tourne à vide, ne sert plus qu’à manipuler et étourdir.
«Le problème est là, nous n’entendons plus. Ceci en raison d’un déplacement de la présence ou d’un dépeuplement de la parole. Le langage est devenu cirque d’abstraction, dorénavant séparé des cycles fondamentaux, séparé des flux animés.» (p.9)
C’est cette richesse, cette profondeur première et porteuse de sens «dont nous avons perdu l’idée» qu’il faut retrouver.

Déconstruction

Michaël La Chance souhaite retrouver le monde du «Big Bang» langagier en quelque sorte.
«Nous devons revenir aux paysages, car ce sont des réservoirs psychiques, des tumultes d’émotions qui parfois nous traversent.» (p.9)
Pour saisir l’être, «…pour entendre les tigres sauvages en deçà de la muraille», il faut dire à la fois le pour et le contre, l’envers et l’endroit, le vide et le plein; pour s’arracher à ces étranglements et apprendre à  «…regarder la réalité en face, celle qui est en nous et celle qui est autour de nous. Interroger la réalité, inlassablement. Cela semble aller de soi, pourtant nous ne savons plus par où commencer: quelle meilleure façon de prêter attention à la réalité que de regarder le ciel et les montagnes, la rivière et la forêt, pour sentir le tangible de l’être. En tant qu’être, en tant que tangible.» (p.23)
Le philosophe progresse dans un texte qui occupe les pages de droite et le poète brandit la poésie sur la page de gauche. Comme s’il sollicitait les deux parties du cerveau pour voir le plus large possible.
Textes réflexifs où il questionne toutes les attaches qui étouffent la pensée et le langage; textes poétiques qui permettent des échappées lumineuses.
«Vous allez ça et là dans les blés
sans reconnaître leur ondoiement
d’hauteurs vides
vous allez ainsi
dans les champs de la parole
et piétinez le chemin du retour» (p.52)
Comme les lieux portent l’être, les textes et les lectures définissent des ancrages qui provoquent le sens.

Angoisse

Rien n’est pareil depuis un certain onze septembre. Nous ne voyons plus la vie de la même manière.
«Le Temps s’est renversé, il n’est plus décompte depuis l’Origine, mais compte à rebours vers la fin. Alors comment pouvons-nous nous leurrer d’être au monde comme auparavant ? Non, la Présence est entamée, la nature humaine s’en trouve modifiée.» (p.103)
La poésie permet de toucher le vrai, le réel, l’éternité si l’on veut.
«Matérialiser les mots, voilà ce qui nous permet de relancer les notions les plus abstraites dans le jeu du sens. Et de jeter les mos les uns contre les autres comme des osselets divinatoires. Alors nous pouvons passer la main sur la trame, nous touchons du doigt  les nœuds dans le filet. Nœud après nœud, le tissu maillé fait de nous sa proie.» (p.75)
La quête de l’homme est de créer une écopoïétique qui permet de redevenir un être vibrant. Cela ne peut se faire qu’ici, maintenant, sans tenter de se réfugier dans le passé ou de se propulser dans l’avenir. Le temps réel est ce présent glissant comme le flanc de la truite.
L’ivresse langagière de Michaël La Chance permet de croire que la vie est possible en autant que nous visitions des lieux, que nous acceptions les multiples êtres que nous sommes. Oscillant entre l’angoisse et l’optimisme, «Mytism» s’avère un formidable voyage de lecteur, un plaidoyer pour la vie.

«(mytism)  Terre ne se meurt pas» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 20 décembre 2009

« XYZ, la revue de la nouvelle » réalise un exploit

Gaétan Lévesque est l'un des fondateurs de la revue
Maintenir une revue consacrée entièrement à la nouvelle pendant vingt-cinq ans, publier cent numéros et des milliers de textes, s’avère un exploit. Les revues culturelles ont l’art de naître et de disparaître plutôt rapidement. «XYZ, la revue de la nouvelle» perdure et se montre plus vivante que jamais.
Une prouesse réalisée grâce à Gaëtan Lévesque, son fondateur avec Maurice Soudeyns, une équipe de direction qui a su se renouveler au cours des ans. Sylvie Bérard, Christine Champagne ont précédé Nicolas Tremblay.

Des thèmes, un concours annuel, des explorations marquent ce quart de siècle. De fidèles collaborateurs y reviennent épisodiquement: André Carpentier, Bertrand Bergeron, Gaëtan Brulotte, Diane-Monique Daviau, Sylvie Massicotte et Hélène Rioux. Presque tous les écrivains du Québec y ont fait une escale à un moment ou à un autre. Il y a même eu un numéro consacré aux écrivains du Saguenay-Lac-Saint-Jean, il y a quelques années.
Je me souviens d’un thème où les participants n’avaient que quelques lignes pour camper leur histoire. Le lecteur avait eu droit à un incroyable éventail de l’imaginaire des écrivains québécois. Une anthologie presque. Les responsables n’ont jamais hésité à demander aux nouvellistes de se surpasser, de se faire explorateur pour le plus grand bonheur du lecteur. La revue est aussi un espace où tester des textes, explorer des formes, secouer les carcans de l’écriture. Nombre de nouvelles se sont retrouvées dans des recueils qui ont retenu l’attention de la critique ultérieurement. C’est peut-être là l’un des secrets de sa longévité.

Anniversaire

Pour ce numéro d’anniversaire, les écrivains ont eu à broder autour du chiffre «cent». En jouant avec les sonorités, certains textes prennent des couleurs étonnantes. Pensons à Daniel Pigeon et Esther Croft.
«Ce n’est pas vrai que les gens meurent comme ils ont vécu, s’est-il même répété à plusieurs reprises en marchant sur la terre mouillée. Il doit bien y avoir à la fin un sursaut de lucidité, de remords, un pardon partagé. Un ultime désir de toucher et d’être touché par une autre peau que la sienne. On ne peut pas partir comme ça, avec un tel détachement au fond des yeux, comme si on ne quittait personne.» (p.26)
Une belle brochette pour ce recueil qui présente un aspect graphique renouvelé. Treize écrivains, huit hommes et cinq femmes… Les abonnements assurent une stabilité à cette publication qui rejoint tous les publics.
Gaëtan Brulotte, toujours un peu déroutant, résume bien le travail de la revue dans «Cent jours avec Caroline».
«Mine de rien avec sa passion d’être et ses modestes commandes de textes, que ce soit vers le mirliton ou narrations brèves, essais littéraires ou discours engagés, c’est elle qui m’a mis sur la voie de l’écriture et a conféré plus de sens à mon existence. Je ne pourrai jamais assez l’en remercier.» (p.23)

Ouverture

Même si à chaque parution, les écrivains ont un thème à respecter, la direction fait place à des textes qui échappent à cette ligne directrice. «Hors-thème» permet aux récalcitrants d’avoir leur place et «Hors-frontières» fait place aux écrivains étrangers. On découvre des prosateurs qui proviennent d’ailleurs, très souvent de l’Amérique du Sud. Originaire de la République Dominicaine, Marco Veloz Maggiolo, est l’écrivain invité pour cette parution historique.
«Toutes ces impressions me disaient que chacun de nous avait fini par faire partie de l’autre. Elle était lui, c’est-à-dire moi ; et en revanche il était elle, c’est-à-dire elle, parce qu’il commençait à désirer la nouvelle rencontre, la rencontre d’êtres transformés, travestis par l’amour.» (p.87)
La revue doit recourir à des traducteurs et crée ainsi des liens partout dans le monde.
«XYZ la revue de la nouvelle» est un passage obligatoire pour les lecteurs qui s’intéressent au genre bref. Présentation sobre, soignée, il y a tout pour étonner. Étudiants et enseignants peuvent fréquenter ce véritable laboratoire. J’espère qu’ils sont nombreux. La lecture de cette revue permet une véritable initiation à la littérature d’ici et d’ailleurs. Un plaisir qui ne cesse de se renouveler.

«XYZ la revue de la nouvelle» est publiée par les Éditions Gaëtan Lévesque.