dimanche 14 novembre 2010

Jean-Claude Germain raconte la bohème des années 60

Jean-Claude Germain continue son travail de mémorialiste. Dans «La femme nue habillait la nuit», il retrouve la bohème de sa jeunesse, ces années qui allaient mener le Québec à la Révolution tranquille.
Ce conteur intarissable nous entraîne dans les lieux mythiques de Montréal, les bistrots, les librairies et des lieux plus ou moins fréquentables. Des personnages connus défilent, ceux qui ont marqué leur temps et dont on se souvient. D’autres ont été emportés dans l’oubli pour le meilleur ou le pire. Claude Gauvreau, Patrick Straram, Tex Lecor, Henri Tranquille et bien d’autres secouaient les diktats du clergé alors.
«Au milieu des années 1960, la bohème tenait salon au Bistrot, rue de La Montagne, à quelques pas de Chez Bourgetel. L’endroit, habituellement bondé à ne pas pouvoir bouger, se vantait de posséder le premier zinc parisien authentique. Martino, qu’on n’avait pas vu depuis des années, ressemblait maintenant à un fantôme fraîchement rescapé du pays des Tarahumaras d’Antonin Artaud.» (p.17)

Époque

Une société ne se transforme pas en claquant des doigts. Il faut du temps, des précurseurs, des contestataires pour faire évoluer la pensée et les moeurs d’une population. Jean-Claude Germain a connu ces années où tous fonçaient avec un enthousiasme contagieux vers «l’âge d’or du Québec», ces années 70 qui allait tout bouleverser. La Révolution tranquille, bien sûr, mais aussi la Crise d’Octobre et la Loi des mesures de guerre.
Les écrivains, les photographes, les peintres, les comédiens et les musiciens menaient la marche et tentaient de secouer des façons de faire et de voir.
«La révolution a commencé par l’œil et sa modernité était dans le regard. Pour transformer le monde, il fallait d’abord le voir autrement. Il fallait casser sa représentation et libérer les formes et les couleurs pour la reconstruire. La seule vérité était celle de l’œil qui regardait. Einstein n’en pensait pas moins.» (p.20)
Un milieu effervescent, trépidant qui bouscule tout et fonce sans trop savoir quelle direction prendre.
Les cinéastes joueront alors un grand rôle. Gilles Groulx, Pierre Perreault et Arthur Lamothe se tournent vers le Québec et le scrutent comme jamais il ne l’a été. Gilles Carles n’était pas loin. Cela donnera les films de Perreault sur l’île aux Coudres et l’Abitibi qui marqueront l’imaginaire québécois tout comme les films de Lamothe qui s’est attardé auprès des autochtones.
Les signataires du Refus global trouvaient de plus en plus de disciples.

Témoignage

Jean-Claude Germain était étudiant quand il a découvert la magie des librairies et le cinéma. Des passions qu’il gardera toute sa vie. Des lectures, des spectacles et des films qui changent sa vie. Il nous pousse dans ces hauts lieux du livre où le clergé dirigeait les bonnes lectures et vouait certains écrivains aux flammes de l’enfer. Henri Tranquille aimait les livres défendus et il se faisait un devoir de les faire lire discrètement. Comment oublier la librairie Déom, rue Saint-Denis et certaines institutions anglophones qui ont joué un rôle particulier dans la vie intellectuelle de cette époque. Des temples tenus par des originaux par toujours facile d’accès.
Germain entraîne le lecteur dans des endroits où les mécréants risquaient de perdre leur âme. Dans ces lieux enfumés, certaines femmes se déshabillaient quand elles ne faisaient pas l’inverse. Lili Saint-Cyr a échappé aux lois de la moralité en se rhabillant sur scène. Des endroits que les contestataires fréquentaient et animaient.
«J’appartiens à une génération qui a salué la progression inexorable de la liberté dans chaque nouvel allégement du vêtement féminin. Chaque lisière de nudité libérée par les grands couturiers nous rapprochait du grand dépouillement. Dans les films, chaque bain de mousse, chaque douche derrière un rideau de moins en moins opaque, chaque tétin furtivement dévoilé, chaque chemise détrempée, qui collait au corps comme une deuxième peau, comptaient pour autant de victoires sur le front de la censure.» (p.117)
Une décennie brossée à grands traits, une période d’ébullition qui remettait tout en question. Les vérités immuables s’effritaient et les portes du Québec moderne s’ouvraient. Jean-Claude Germain témoigne avec humour d’un moment fascinant où tout était possible. L’envers de maintenant où tout semble avoir été expérimenté.

«La femme nue habillait la nuit» de Jean-Claude Germain est paru aux Éditions Hurtubise.

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