dimanche 27 juin 2010

Jean Désy explorateur de l'âme

Il suffit de plonger dans un livre de Jean Désy pour prendre conscience que nous connaissons bien mal notre pays et que la plupart des Québécois ne savent rien des territoires nordiques et de ses habitants. «L’esprit du Nord» nous entraîne dans ce vaste espace qui me fait rêver depuis toujours. Il semble que là-bas, tout est encore possible. Un espace mythique avec les chantiers de la Baie-James et les ressources minières qui font saliver multinationales et gouvernements. Même que, depuis quelques années, certains pays se disputent ces territoires où ne germaient que de la glace et où les ours polaires imposaient leur présence.
Il en est autrement pour les hommes et les femmes qui habitent le sommet du monde. Inuit et Cris voient la vie d’un autre œil. C’est peut-être ce qui rend si difficile les négociations entre Autochtones et Blancs. Deux conceptions, deux pensées se confrontent dans des échanges qui tournent en rond.
Les Blancs ne pensent qu’à organiser le territoire avec leur approche de sédentaires. Cris et Inuit ont l’esprit nomade. Pour eux, la propriété personnelle n’a aucun sens. La Terre appartient à tous et nul ne peut prétendre en être propriétaire.
«Des groupes humains se trouvent ainsi en opposition, le plus souvent selon des fonctions enfouies dans les couches les plus lointaines de l’esprit : les fonctions nomade et sédentaire. Il existe en chaque être humain, et le plus souvent inconsciemment, une fonction nomade, tout comme il existe une fonction sédentaire, chacune se trouvant plus ou moins développée selon les personnalités, les racines, les origines, l’éducation ou la culture.» (p. 41)
Voilà  la source de bien des incompréhensions. Une prise de conscience de ces points de vue serait déjà un grand pas vers l’écoute et la tolérance.

Cul-de-sac

Jean Désy, dans cette suite de textes, survole plusieurs de ses ouvrages. Signalons «Coureur de froid», «L’île de Tayara», «Au nord de nos vies» et quelques autres. Il raconte le plaisir qu’il ressent quand il descend une rivière en canot, part avec un guide pour traverser tout le continent. Il faut une bonne dose de courage et de témérité pour plonger dans une aventure semblable. Les glaciers bougent, des murs de glace se dressent sous l’effet des marées et du froid, le vent paralyse en quelques minutes. Le téméraire y trouve une joie immense à se laisser bercer par le froid et le silence. Un pays où la nature exulte dans toute sa force et sa beauté, où l’homme doit se centrer, prévoir, penser devant les éléments qui peuvent l’écraser en quelques secondes. Une expérience qui happe et marque à jamais. Jean Désy raconte aussi ses traversées du lac Saint-Jean en hiver, ses nuits de tempête et de vents où il retrouve un aspect du Nord, ses beautés et ses dangers. Une occasion d’aller au-delà de soi et de ses préoccupations quotidiennes.

Pays rêvé

C’est découvrir aussi un vocabulaire, y entendre des mots qui traduisent une autre réalité.
«Parmi les mots les plus étincelants de la langue québécoise nordique, il y en a un qui allie extraordinairement glace et firmament, glacique et ciel du Nord : c’est glaciel. Ce mot se calque et craque et se retrousse et descend les cours d’eau comme il les remonte.» (p.143)
Une initiation pour le sédentaire qui ne s’est jamais aventuré plus loin que Chibougamau. Un univers qui moule l’être et fait croiser des femmes et des hommes que les temps modernes risquent de briser. Peut-être une façon de vivre qui va disparaître avec l’arrivée des gens qui auront le Plan nord dans leurs bagages. Sans compter que le réchauffement de la planète permet d’inventer les pires scénarios.
Jean Désy témoigne de son amour pour la vie nomade qui confronte les mystères de la vie et de la nature. Un véritable bonheur que de plonger dans ces pages qui questionnent l’humain, son rôle et sa place dans un univers toujours en changement. Un monde que nous ne cessons de vouloir transformer et domestiquer par crainte, par angoisse peut-être, par prétention ou par une folie qui nous fait croire que tout est possible, même travailler à sa propre destruction. Un livre nécessaire.

« L’esprit du Nord » de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html