dimanche 29 août 2010

Sonia Anguelova abandonne tout derrière elle

Pourquoi un homme ou une femme quitte son pays, abandonne sa famille et des amis ? Il faut beaucoup de souffrance, j’imagine, ne plus avoir d’avenir pour partir, débarquer dans un pays dont on ne connaît que le nom.
Sonia Anguelova, dans «Sans retour», raconte sa migration vers le Canada. Elle est née à Sofia en Bulgarie. Régime communiste, père sévère et bien vu du Parti communiste. Un frère et une mère qui a renoncé à sa vie. Nous sommes à l’époque du Printemps de Prague où tous les espoirs sont permis. Les dirigeants du Pacte de Varsovie craignent le souffle de libération qui risque de changer l’ordre des choses en Tchécoslovaquie. On connaît la suite.

Démarche

Sonia Anguelova témoigne, au « je » en plus d’une narration plus neutre, au « il ». Un dédoublement un peu étrange. Peut-être pour montrer le déchirement de celle qui s’invente une autre vie. Dans un immigrant, il y a celui qui demeure au pays d’origine et l’autre qui s’installe dans le nouveau pays.
« Il y a entre cette jeune fille qu’elle suit et la femme d’âge mur qu’elle est devenue un océan : un océan de larmes, de révolte, d’orgueil, un océan de mots dans plusieurs langues qui lui étaient étrangères, un océan de routes, d’hivers longs et de découragements. De longues heures, des mois, des années à attendre des personnes chères à son cœur. Ils s’étaient promis de se retrouver dans ce pays de liberté. Elle seule y est. » (p. 20)

Cuba

La jeune fille a suivi ses parents à Cuba. Un emploi de trois ans pour le père au pays de Castro. Elle tente de vivre à la cubaine. Parce que les étrangers au pays de Fidel vivent en vase clos. Elle étudie, pense devenir médecin, vit ses premières expériences amoureuses, mais son rêve de liberté n’est pas satisfait. Elle ne peut imaginer un retour à Sofia, prépare son évasion avec la complicité d’une famille cubaine. Elle va échapper à ce père violent, à toutes les contraintes et aux interdits. Elle sera une femme libre.
Lors d’un vol vers la Bulgarie, d’une escale à Terre-Neuve, elle échappe à la surveillance et demande l’asile politique.
« On m’a comprise. On le répète comme il doit être prononcé. Yes. Yes. L’homme à qui je me suis adressé me devance, il voit que je suis pressée. Il me fait entrer dans son bureau- j’ai juste le temps de voir l’écriteau sur la porte. Immigration. Voilà la porte ! J’étais passée devant, sans la voir. Elle était ouverte ! J’ai passé le seuil. J’entre dans ce pays, sur ce territoire, comme on entre en religion. Les ordres de l’immigration. C’est une naissance. Ici, je suis en sécurité, je le sens. Et m’attend l’inconnu. Je l’ai voulu. Je le suis. Immigrante. »
(p. 81)
Des jours à ne pas savoir ce que demain lui réserve. Et tout bouge. Elle se retrouve à Québec, apprend les rudiments du français. Un premier travail. Elle vivra au Québec, au Canada.
Ce qu’il y a de pathétique dans le récit de Sonia Anguelova, c’est la solitude qui étouffe l’immigrante, cette absence dans sa vie, dans sa tête et dans cette nouvelle langue qui ne peut exprimer tout ce qu’elle ressent. Malgré des efforts inouïs, elle restera différente dans son nouveau monde. Il y a un vide qui ne peut être comblé.
« Ils ne te le diront pas, mais ta place est ici, où tu es née. Tu seras toujours une étrangère, ma fille. L’étranger est étranger toujours, même s’il a des amis. » 
(p. 130)
Sonia Anguelova passe malheureusement très vite sur les grands moments de sa vie. On aimerait en savoir plus sur cette femme qui a tout abandonné pour vivre et écrire en français. Elle a eu une vie au Québec, des enfants qui sont venus, mais elle n’en parle pas. L’impression d’effleurer un drame humain difficile à imaginer. C’est peut-être le pourquoi de la fragmentation du récit, du journal de la mère et des lettres qui nous font tourner en rond. Sonia Anguelova n’a pas fini de fouiller sa vie pour nous en montrer les facettes. Il faut parfois bien du temps pour arriver à dire la blessure de sa vie. 

« Sans retour » de Sonia Anguelova est publié aux Éditions Miramar. 

Suzanne El Farrah El Kenz témoigne

Il se passe peu de jours sans que des scènes viennent nous troubler à la télévision. Des voitures piégées explosent, des attentats suicides, des morts en Palestine. Les victimes sont des enfants, des femmes, parfois des militaires. Cela dure depuis la création de l’État d’Israël en 1947 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il est vrai que ces violences ne sont plus exclusives à la Palestine ou Israël. L’Irak et L’Afghanistan sont aussi le théâtre de ces scènes sanglantes. Plus aucun pays n’est à l’abri de ce genre de drame. Israël impose sa loi au Proche-Orient par les armes. Les Palestiniens ripostent avec des bombes artisanales, dans des gestes désespérés et des actions suicidaires.
Les négociations tournent en rond depuis des décennies. Est-il possible d’imaginer la paix dans cette région perpétuellement en ébullition? Il faut se rappeler qu’Israël a été créé sur des territoires nationaux, expoliant des peuples qui habitaient des villes et ces lieux depuis des centaines d’années. Et immédiatement après la création de leur état, les Israéliens ont entrepris d’occuper les territoires environnants, réprimant toute opposition avec une rare violence.
Depuis, les Palestiniens tentent de retrouver un pays, vivent dans des camps, des territoires occupés, subissent les contrôles militaires. Sans compter les arrestations pour un oui ou un non.

Témoignage

Suzanne El Farrah El Kenz est née à Ghazza et elle a dû fuir en Algérie, en Égypte, en Arabie saoudite et en Tunisie. Après toutes ces pérégrinations, elle a trouvé refuge en France, à Nantes où elle enseigne. Elle n’oublie pas son pays perdu qui la hante tel un cauchemar qui ne prend jamais fin.
Dans «La maison du Néguev» cette spoliation prend la figure de la maison de ses parents située à Beer Sheva, en Israël. Cette demeure obsède la famille. La mère décide d’y effectuer une visite alors que la narratrice est encore enfant. Une scène pathétique qui la marquera à jamais et qui fait comprendre le drame des Palestiniens.
«Sans que nous puissions nous l’expliquer, nous étions tous le juif y compris, comme paralysés face à cette femme, grosse, obstinée et douloureuse. Oui, nous étions restés muets, immobiles. C’était ma mère et c’était sa maison ; et nous, nous étions écrasés par le poids de cette histoire. Son histoire. Nous n’existions plus. Nous étions effacés, anéantis par l’ampleur de la scène.» (p.19)
Bien sûr, cette visite tourne court. Les Juifs repoussent cette intruse en larmes. Imaginez ! Vous devez fuir en abandonnant tout derrière vous. Des années plus tard, vous retournez chez vous et vous faites face à des gens qui vivent dans vos meubles, dorment dans vos draps et utilisent votre vaisselle. Rien n’a changé dans votre maison. Les étrangers ont pris tout ce qui appartenait à votre famille, même vos souvenirs. On vous a volé votre identité. Nombre de Palestiniens ont vécu ce genre de drame.

Viol de l’être

«La maison du Néguev» témoigne de ces viols de l’être. Le récit de Suzanne El Farrah El Kenz est particulièrement déstabilisant. Une écriture qui fore l’esprit, une tragédie qui perdure depuis si longtemps qu’elle semble venir de la nuit des temps. Elle vous montre aussi le visage le plus sordide de l’humain.
«Le temps et l’histoire avaient fait leur œuvre au cours des années passées. Une société entière s’était construite et installée alors que moi et les miens nous avions été exclus, pillés, vidés. Et nous revenions maintenant, voir… visiter ; assister comme de vrais touristes, au spectacle qui s’offrait impudemment à nos yeux. Pouvions-nous avaler tout cela sans sourciller ? Pour le moment, j’étais paralysée.» (p.99)
Voilà peut-être le pire drame que peut connaître un homme et une femme, devenir un touriste dans son pays, un étranger dans la rue de son enfance, devant la maison de ses parents. Bien pire, ces étrangers se sont emparés de vos souvenirs.
Suzanne El Farrah El Kenz décrit et dit ce que nous n’entendrons jamais aux informations télévisuelles qui se contentent des scènes sanglantes. Le cri de cette écrivaine fait comprendre ce qui se vit au jour le jour en Palestine et particulièrement dans la bande de Ghazza. Un cauchemar qui perdure dans l’indifférence et qui reste dans l’actualité par la violence.

«La maison du Néguev» de Suzanne El Farrah El Kenz est publié aux Éditions de La Pleine Lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?auteur=El%20Farrah%20El%20Kenz,Suzanne