dimanche 8 mai 2011

Jean-Pierre Vidal fait grincer des dents

Jean-Pierre Vidal, dans «Petites morts et autres contrariétés», aborde un sujet que la société n’aime guère effleurer. Par le biais de trente-trois textes plus ou moins élaborés, l’écrivain tourne autour de la fatalité qu’est la mort. Il faut du courage pour aborder un sujet occulté et encore un peu tabou.
Le nouvellier plonge dans l’intime, mais ne dédaigne pas les drames qui dépassent l’entendement. Dans «Le dixième», un officier doit exécuter un soldat sur dix pour réprimer une révolte provoquée par l’incompétence des militaires. C’est assez terrifiant comme scénario.
«Jean-Pierre Vidal a la parole en amusement. Il brosse ses tableaux, met en scène des gens qu’on a l’impression de connaître, leur soumet un problème qu’ils se sont souvent causé eux-mêmes, et les regarde manœuvrer au péril de leur vie. L’air de n’y être que par hasard», écrit Louis-Philippe Hébert, son éditeur, dans une courte préface.
L’écrivain débusque les grandes et petites tragédies, imagine l’Irak après Saddham, Monsieur Hitler qui est sorti vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale et s’est retiré dans un village pour mener la vie de facteur. Ou encore un écrivain tente de relancer sa carrière en organisant son enlèvement avec la complicité de son éditeur et d’un groupe terroriste. Le journal de captivité est déjà écrit et on peut imaginer que rien n’ira comme prévu.
Et ici et là, une description du quotidien qui vous empoigne et vous secoue. Chacune des nouvelles montre l’absurdité de certaines situations, la banalisation de l’horreur et de l’inacceptable. Ses personnages sont souvent lucides, mais incapables de briser la spirale qui les emporte. 
«Ce qui commençait à lui peser, maintenant, dans ses relations avec les filles que la Zénon lui ramenait, ce n’était pas tant l’indifférence pendant l’acte, enfin pas toujours, c’était plutôt leur parfaite insensibilité au sens de la chose. Elles faisaient ça avec une bonne volonté détachée, comme pour rendre gentiment service ou se conformer à ce qu’on attend des jeunes filles de leur âge. Ça allait avec le cellulaire, le IPod et Facebook.» (p.161)
Voilà un thème récurrent chez Vidal. Les gadgets mènent à l’indifférence et à la solitude, à une sorte de lobotomie où les passions ne sont plus qu’un souvenir.

Univers

Bien sûr, le professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi peut sembler pessimiste. Il ne se gêne pas pour bousculer les obsessions de ses contemporains, la stupidité qui pousse un individu à être de toutes les émissions de télévision où le public fait tapisserie. L’écrivain décrit bien ce monde où il importe plus d’avoir des opinions que des idées.
Une sorte de fatalité chez Vidal emporte tout et mène au pire. Les gens sont aspirés par une vie trépidante et la mort profite de la moindre distraction. Ce qui dérange surtout, c’est la perte de sens critique et de jugement qui fait que tout devient banal. L’amour, la vie et les drames horribles qui secouent l’humanité passent avec les modes, un reportage à la télévision. Les monstres deviennent des citoyens modèles qui aident leurs semblables. Comment imaginer Hitler en grand-père toujours prêt à tendre la main. Oui, le monde est absurde et la mort est là pour nous le rappeler peut-être. 
Un regard lucide sur l’agitation des communications et du verbiage. Si «Jean-Pierre Vidal bouscule, dérange sans pousser les hauts cris» explique encore son éditeur, il fait souvent grincer des dents.
Le drame couve dans un embouteillage ou dans une fête pour souligner un départ à la retraite. Ses héros sont souvent des victimes qui mettent le doigt dans une mécanique qu’ils ne peuvent plus arrêter.
Jean-Pierre Vidal n’a pas son pareil pour démonter le ridicule de certains comportements, les obsessions du paraître et de l’avoir. Une véritable douche glacée qui s’avère nécessaire pour démêler le vrai du factice, le réel de l’inutile. Tout cela en ayant l’air de ne pas y toucher. J’avais lu quelques-uns de ses textes dans des revues, mais comme ça, en vrac, Monsieur Vidal étourdit. Un coup de poing qui laisse un peu sonné. À lire et à relire pour le sujet, mais aussi pour l’écriture, cette phrase envoûtante et d’une efficacité redoutable.

«Petite morts et autres contrariétés» de Jean-Pierre Vidal est édité aux Éditions de La Grenouillère.

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