dimanche 13 février 2011

Hélène Vachon: la tendresse et l’empathie

Autant le dire, j’ai failli refermer «Attraction terrestre» d’Hélène Vachon dès la première phrase. L’ouverture a de quoi affoler.
«Toute joie est révolution. Sans l’effet du contentement, la face de l’Homo sapiens commun se transforme. Jusque-là paisibles, les peauciers se réveillent, petit et grand zygomatiques se tendent, l’orbiculaire des lèvres se contracte, tandis que le risorius de Santorini retrousse les commissures, tissus contractiles par excellence. Cela s’appelle sourire et c’est très fatigant.» (p.9)
Heureusement, je suis un lecteur persévérant. Il est rare que j’abandonne un livre, n’en déplaise à Monsieur Pennac et les diktats du lecteur. Il faut donner une chance à l’écrivain de se faire entendre. Et comment juger à partir de quelques lignes?
Quelques pages plus loin, Madame Vachon répondait en quelque sorte à mes hésitations.
«Entamer un livre est toujours une étape et les débuts, c’est difficile. Il est donc recommandé de le faire dans un hôpital… …Les trente premières pages sont les pires. De quoi me parle-t-on? Où l’action se déroule-t-elle et à quelle époque? Grands dieux, que se passe-t-il? Après, vous abandonnez ou ça va tout seul.» (p.20)
Il  est rare qu’un écrivain vous guide. Ils prennent plutôt un malin plaisir à brouiller les pistes.

Histoire

Hermann est thanatopracteur ou embaumeur. Un métier plutôt inquiétant pour la plupart des vivants. Il habite un bloc appartement, côtoie ses futurs clients, des clientes surtout.
«En haut de chez moi vit la très vieille et insonore Mme Le Chevalier. Je l’aime énormément. Elle a un je ne sais quoi qui vous fait haïr le neuf. Elle est tellement plissée et toute en muscles mous que c’est à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt. Elle sait ce que je fais et me prend comme je suis, nos rapports sont cordiaux.» (p.13)
Tous sont de sa famille en quelque sorte. «Douze femmes pour un homme, c’est le ratio.»
Il vit une relation amoureuse avec Clotilde sans éprouver la grande passion, cherche même à rompre, se pâme devant Zita, une stagiaire, sans oser s’épancher.
«Zita dans sa combinaison multipoche, Zita éminemment élastique, avec ses muscles qui doivent se remettre en place tous seuls quand on les déplace. Je ne sais pas, je ne les ai jamais déplacés. Zita a deux épaules, un cou, les yeux et les cheveux noirs, des muscles longs, des tissus très vivants et des creux poplités du tonnerre. En plus, elle ests anergique, ce qui est très pratique dans le métier.» (p.105)
Voilà la façon d’Hélène Vachon et sa manière de décrire des personnages et son univers. On se laisse rapidement prendre.

Drame

L’une de ses connaissances est pianiste. Il apprend qu’il est le fils d’un résidant de son immeuble, un homme un peu étrange qui lui a confié un manuscrit qu’il a égaré.
Le musicien ne contrôle plus ses mains. Il a toujours été trop grand, trop gros pour son père qui se passionne pour les miniatures. Tout se déglingue dans son corps et la mort se profile. L’artiste tente de s’accrocher et sa lutte devient pathétique. Un être seul qui ne sait comment communiquer malgré son don pour la musique. Si la vie est douce pour plusieurs, elle est impitoyable pour lui. Hermann fera tout pour l’aider à vivre, sans parvenir à juguler sa détresse et sa terrible solitude.
Voilà tout le roman. L’empathie, la tendresse qui pousse à agir et à aider ses semblables. Tous, nous avons besoin d’un peu d’attention et d’amour avant de confronter l’inévitable.
Le vieillissement, la maladie, la création, l’amour, l’amitié sont abordés dans «Attraction terrestre» avec finesse et délicatesse. Un microcosme où la vie s’exprime avec ses heurts et ses contradictions.
Un roman terriblement attachant et émouvant. Un baume qui donne l’envie de vivre en étant plus attentif à ses proches et ceux qui habitent nos jours.
L’écriture pleine d’humour rend le tout particulièrement sympathique et vibrant. Plus qu’une lecture, c’est une rencontre, un moment de vie qu’il est difficile d’oublier. Une formidable réussite!

«Attraction terrestre» d’Hélène Vachon est publié aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/attraction/