lundi 20 juin 2011

France Théoret reste fidèle à sa démarche

France Théoret continue sa démarche singulière dans «Hôtel des quatre chemins». Encore une fois, le lecteur retrouve des femmes qui vivent l’oppression domestique.

Rémi, le père, ne tolère aucune manifestation d’indépendance chez ses filles et sa femme. Elles sont là pour servir et obéir sans ouvrir la bouche. Éva, la mère, souhaite une meilleure vie pour ses filles, mais ne lève jamais la voix devant son époux.
 «Notre mère nous domptait, comme elle l’affirmait. Notre père attendait une aide de tous les instants dès le retour de l’école. Il était obéi au doigt et à l’œil. Personne ne rechignait ni ne grommelait. Au fur et à mesure qu’ils grandissaient, ses enfants devenaient de petits serviteurs, patients et malléables.» (p.11)
Cela n’empêche pas la mère de souhaiter que ses filles fassent des études.
«Elle s’attendait à ce qu’il fût le chef de la famille. Il l’était et ne l’était pas en même temps. L’économie, le portefeuille, était l’affaire exclusive de son mari. Elle, elle pensait aux principes qui orientaient une famille. À ce sujet, Rémi restait au-dessous de tout. Il se moquait des sages décisions de sa femme, de son désir irrésistible d’élever le niveau d’éducation familial au-dessus de la rue, selon son expression usuelle.» (p,12)

Soumission

Malgré ces propos et ces bonnes intentions, Éva louvoie et trahit en quelque sorte les espoirs qu’elle sème dans l’esprit de ses filles, surtout chez Évelyne qui rêve d’un monde où les livres occuperont toute la place.
«Je parlai des longues études que je ferais. J’écrirais aussi. J’exprimais ce qui était, ce que je percevais de l’avenir, ce que le sentiment de liberté me divulguait. Je traçais ma vie comme je l’imaginais.» (p.63)
La cadette trouve mari rapidement tandis que l’aînée poursuit des études envers et contre tous. Le père ne rate jamais une occasion de la ridiculiser, s’abreuvant des insanités répétées dans le journal «Vers demain» par Gilberte Côté-Mercier et Louis Evans. Ce n’est pas sans me rappeler la manière de faire de Mathieu dans «La femme du stalinien».
«Quand Rémi affirmait que le gouvernement mettrait de l’ordre dans la société, il en appelait au parti créditiste dont il promouvait les idées et les solutions. Il s’identifiait à ses chefs colorés et forts en gueule, à ces hommes venus de je ne sais où, illustres champions de la bêtise. Il le disait : les dirigeants commenceraient par les écoles. Les professeurs étaient trop jeunes. Ceux qui contestaient seraient congédiés. Ceux qui refusaient de se couper la barbe perdraient leur place. La barbe des jeunes gens l’obsédait.» (p. 102)

Résistance

Evelyne baisse la tête devant les outrances de ses parents, lit en secret des romans-photos où elle apprend certaines choses de l’amour, étudie chez les religieuses où la soumission et l’obéissance sont la règle. Elle pourra respirer en faisant son entrée à l’université.
Elle connaît la faim et la solitude. L’amour et la sensualité aussi. Un garçon l’écoute en silence et dissimule ses intentions, incarne le piège à lequel elle tente d’échapper depuis son enfance.
Évelyne deviendra écrivaine après la mort du père et une ultime confrontation avec sa mère Éva. Toutes les barrières tombent alors. Elle écrira en tremblant, marquée au corps et à l’esprit.
«Un trouble indicible m’étreint. Je suis désertée par la langue, dépossédée de mon désir, aveuglée par l’obligation de le surmonter. Après une lutte intérieure intense, j’émerge de mon abattement. Les mots viennent.» (p.118)

Libération

«Hôtel des quatre chemins» s’avère un long apprentissage de la liberté qui se fait sans cris et sans révolte. À l’image peut-être du Québec qui a su rejeter les diktats de la religion et s’avancer dans la modernité sans rien bousculer.
Un roman qui décrit parfaitement l’univers étouffant d’une certaine époque qui a précédé la Révolution tranquille, une société marquée par le catholicisme et des idées rétrogrades. Des propos que certains politiciens répètent actuellement au nom de la rationalité et de l’efficacité. À donner des frissons.

«Hôtel des quatre chemins» de France Théoret est publié aux Éditions de La Pleine lune.

dimanche 19 juin 2011

Christine Eddie est une véritable magicienne

Certains romans étonnent dès les premières lignes. Une question d’écriture, de rythme qui souffle tout. Le lecteur n’a de repos qu’après en avoir exploré toutes les pages. Ces œuvres deviennent de véritables obsessions.
«Parapluies» de Christine Eddie est ce genre d’ouvrage. Ce roman m’a aspiré. L’histoire se construit et se défait au fur et à mesure, devient une spirale qui permet de cerner un personnage et celles qui gravitent dans son espace.
«La plupart du temps, je me réfugiais chez moi où il se passait des choses terribles, comme la guerre au Darfour et des glissements de terrain en Chine et le Groenland qui fond un peu plus chaque semaine. Pour tenir le coup, je m’astreignais à des activités qui ne m’avaient jamais intéressée auparavant. Enlever les marques de doigts sur le chrome du robinet, border d’abord le pied du lit avant de faire les coins, tout ça. Je pouvais ainsi détourner mon esprit vers des sujets plus fondamentaux que les déserteurs de domiciles conjugaux.» (p.11)
L’histoire est là. Matteo est sorti un soir et Béatrice ne le reverra plus. Disparu. Parti. Elle se désespère, imagine une aventure amoureuse.
«Puis, sous le lit de notre chambre, l’appareil s’est étouffé. Je me suis penchée pour voir ce qui n’allait pas. Une petite culotte. Avec de la dentelle rose pâle. Trop délicate pour moi, mais trop grande pour le goulot de l’aspirateur. Je me suis assise sur le lit avec le froufrou poussiéreux pendant que l’aspirateur continuait à rugir. Je me souviens que mes jambes refusaient de bouger et qu’un boa constrictor s’est installé dans ma poitrine. Après, c’est le trou noir. Je sais que j’ai pris mes cinq jours de vacances, mais je n’ai aucun souvenir d’être allée en Sicile et d’avoir admiré la Méditerranée.» (p.23)
Matteo a tout simplement été agressé et tué dans le parc voisin.

Attente

Béatrice quitte son emploi, s’occupe de la mère de ce dernier, une Italienne qui a suivi son fils à Montréal et qui survit en s’accrochant à la télévision.
«Je m’observais du coin de l’œil et je m’apercevais à côté du lit, à côté de l’évier, à côté de la table, de ma carte de crédit, du pilulier. Dédoublée. Je flottais sur ma vie depuis plus de trois semaines. Dans la boîte aux lettres, où je me ruais chaque matin avec l’application d’un cambrioleur, j’avais enfin trouvée une enveloppe adressée à Matteo qui ne soit pas envoyée par Amnistie Internationale, l’Unicef ou la Croix-Rouge. Autre chose qu’un monsieur le professeur et cher collègue, il me fait plaisir de, nous serions ravis que, veillez agréer.» (p.62)
«Parapluies» est peut-être l’histoire des amours impossibles. Béatrice aime Matteo qui ne pouvait s’empêcher de charmer et de séduire. Il était obsédé par Catherine, la mère de Thalie, une jeune noire qui cherche un père en Barak Obama. Cette étudiante au doctorat rappelait vaguement un premier amour à Matteo. Il y a aussi Daphnée, une étudiante subjuguée par le professeur, une passionnée de poésie russe, travaillait comme son assistante.

Connaissances

Toutes celles qui ont gravité autour de Matteo finissent par se croiser et sympathiser. Un roman plein d’humour, d’originalité qui témoigne de l’incroyable solitude des femmes. Toutes cherchent à s’en tirer individuellement sans y parvenir. Il reste la solidarité et l’entraide. Les enfants deviennent le lien qui permet à ces adultes de se reconnaître.
Il faudra qu’une fête d’anniversaire change tout. Toutes les invitées deviennent des réfugiées dans l’immeuble de Thalie et Catherine. La ville est inondée et l’avenir devient possible. Béatrice trouve une fille en Thalie. Catherine rencontre des amies et l’avenir devient plus acceptable pour Francesca qui se crée une nouvelle famille.  Daphnée aura une sœur et des amies. Toutes ces femmes ont gravité autour de Matteo sans jamais à l’atteindre et le retenir. Il faut une fillette pour arrêter la dérive et donner du sens à l’existence.
Christine Eddie a l’art d’effleurer les plus grands drames en ayant l’air de ne pas y toucher. Tout est simplement dit dans un style éblouissant. Son humour permet de triompher des pires drames et son écriture est un piège dont le lecteur n’échappe pas.

« Parapluies » de Christine Eddie est publié aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/parapluies/