dimanche 10 juillet 2011

Roman d'apprentissage pour Jacques Folch-Ribas

Je ressens toujours une émotion particulière devant un nouveau roman de Jacques Folch-Ribas. Un peu celle que j’éprouve devant les publications de Gilles Archambault. Ces écrivains ont consacré leur vie à l’écriture et ne cessent de se renouveler et de nous étonner. Folch-Ribas réussit encore cet exploit avec «Paco», quarante ans après son entrée en écriture.
Un jeune garçon vit dans un village. Son père a fait des études et sa mère est musicienne. Le grand-père passe son temps à fouiner dans les livres et à les collectionner. Une famille qui s’intéresse à la poésie, aux romans, à la musique et à la philosophie. Autant dire qu’ils sont des cas dans ce monde nullement porté vers les livres. Ils sont souvent pointés du doigt.
«Ce village, que vous nommerez Le Village, si vous le voulez bien, c’est le seul lieu que je connaissais, j’y suis né, j’y ai vécu enfant, je ne l’ai pas aimé beaucoup et j’ai cru dans ce pays que vous allez nommer Le Pays, s’il vous plaît, je vous en prie, je ne veux pas même entendre son nom, tous les villages étaient semblables à lui : la même laideur dont parlait ma mère, la même violence dont parlait mon père.» (p.15-16)
Paco écoute, ne comprend pas toujours, ressent une attirance particulière pour les filles qu’ils croisent en allant à l’école. Elles sont pleines de mystères et de séductions avec leurs longues jupes, ces rires qui les éloignent et les rapprochent.

Migration

Tout change quand la famille déménage à la ville. Le père y trouve un emploi plus intéressant et la mère aura enfin un piano digne d’elle. Paco plonge dans un monde en ébullition et il y a toujours les filles.
«Elles allaient par deux ou en groupes serrés sortant de leur école, un couvent de Sœurs de la Divine Providence, elles poussaient de petits cris chatouillés, elles ne regardaient et pouffaient. Je me rapprochais, tournais autour d’elles sans rien oser faire. Capon. Je me répétais encore les vers simples, ceux que je pouvais comprendre déjà en français : Vive heureux, avec une femme…» (p.63)
Un jour, Concha entre dans sa vie. La jeune femme milite dans des groupes qui veulent changer le monde. Elle entreprend de faire l’éducation de ce garçon qui ne sait rien de la politique malgré les enseignements de son grand-père, les propos de son père et de sa mère.
««Moi, j’essaie de lui enseigner la liberté, c’est la chose la plus difficile. – Et tu fais bien. – Je voudrais lui apprendre à ne rien croire de ce qu’on lui dit, rien ni personne, même toi… Mais c’est un projet inutile : il le sait déjà. » Concha secouait la tête, de droite à gauche, ses cheveux en mouvement semblaient une mer couleur de nuit. « Pourtant, dit-elle, il y a certaines choses à croire. – Tu es une optimiste, tu crois qu’il existe des choses à retenir, des idées meilleures que d’autres… Je t’envie. » Mais je voyais bien que mon père était fier de moi et trouvait cette Concha de son goût.» (p.81)
Ce sera l’amour fou. Paco apprend, voit, touche le corps d’une femme libre qui tente de lui faire découvrir la réalité qui étouffe tout le monde. L’Espagne est en pleine guerre civile. Des groupuscules s’affrontent au nom de la liberté, manifestent partout. Les nationalistes reçoivent l’appui des fascistes italiens et allemands. Les civils subissent les canons et des avions bombardent villes et villages. On connaît la suite : l’arrivée  de Franco et de la dictature.

Apprentissage

Le jeune garçon vivra des moments de rêve avec Concha, perdra son père et sa mère à la guerre, connaîtra la faim, la douleur, la folie des hommes. Paco se joint aux exilés qui fuient vers les montagnes et les frontières françaises. Une longue marche où la mort est présente à chaque pas. Il réussira à quitter un pays qui lui a tout pris. Il devient un homme mais à quel prix.
Jacques Folch-Ribas atteint des sommets, particulièrement à la fin de «Paco», pendant cette longue marche vers la liberté. Bouleversant. Un très beau roman d’initiation, une histoire incroyable de cruauté et de tendresse. Les deux ne peuvent aller l’un sans l’autre.

«Paco» de Jacques Folch Ribas est paru aux Éditions du Boréal.