lundi 26 septembre 2011

Bertrand Laverdure bouscule les conventions

Intriguant que «Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure. Il faut quelques pages pour comprendre l’univers dans lequel l’écrivain nous entraîne. Que dire d’un personnage qui se fait grignoter une jambe par un écureuil dans un parc, se déplace d’un continent à l’autre comme ça, en claquant des doigts.
Et puis l’auteur nous ouvre une porte. Son héros est vraiment un être de fiction avec tout ce que cela comporte. Le lecteur se retrouve dans un monde où le réel et l’imaginaire se bousculent. Une fois que l’on comprend cela, tout nous parle et nous fait accepter  les situations les plus étranges.
Imaginons un récit multiplié à des milliers d’exemplaires. Ce texte connaît toutes les sévices et les aventures. Certaines copies seront enfermées dans des bibliothèques et d’autres seront déchirées, laissées un peu partout et en proie à toutes les humeurs du temps.
«Le malentendu plane. Le personnage au corps bleu perd connaissance et tombe sur les pavés. L’enfumé continue à battre l’air autour de lui. Il pagaie avec ses bras, comme s’il tentait de se sortir d’un tunnel asphyxiant durant un grave incendie. Lorsqu’il se rend à l’évidence qu’un seul de ses bras répond, il est sur le point de paniquer, mais préfère, lui aussi, perdre connaissance. Un nouveau manchot s’ajoute à notre histoire. Qui plus est, lui aussi a perdu son bras droit.» (p.46)

Quête

En fait, c’est un peu plus compliqué. Imaginons un personnage de roman égaré dans le monde. Il cherche peut-être sa fiction et risque de se défaire au moindre incident. Plus, une foule de personnages comme lui circulent partout, abandonnés à eux-mêmes et à leurs fantasmes. Les schtroumpfs farceurs se multiplient et répètent des gags usés, incapables de s’arrêter.
Comble de malheur, on organise des visites pour touristes littéraires. Après tout le lecteur est un intrus qui met ses doigts partout dans un livre. Un visiteur qui trouve ce qu’il veut dans un roman et y interprète à sa manière ce que l’auteur a tenté de raconter. Ces curieux bousculent tout et changent l’ordre des choses.
«La police ne vient pas, parce que la police ne se déplace jamais pour emprisonner un personnage. Les personnages ont la belle vie et je ne m’en plains pas puisque je fais partie de leur ridicule aréopage. En y réfléchissant bien, j’ai tranquillement appris à devenir un personnage. C’est un apprentissage de chaque instant. Je ne l’étais pas au début de ce livre et je le suis devenu.» (p.53)
Le personnage est amputé, écrasé, emporté par les passants. Quand on est un être de fiction, on est bien fragile.
Une belle occasion pour Bertrand Laverdure de réfléchir à la nature du héros romanesque. La vie réelle et imaginée aussi. Tout peut arriver. Même basculer dans La déclaration des droits de l’Homme.

Inquiétude

Le plus inquiétant surgit quand le lecteur apprend que des y copyrights existent pour tout ou à peu près.
«Je vous explique : tout fonctionne par la pensée… …La pensée est maintenant bel et bien reconnue comme la meilleure interface qui soit. Implications directes, réactions directes, résultats directs. Nous avons réussi à mettre au point la véritable communication instantanée, sans tiers parti. Je prends le temps ici de vous relire le libellé de notre mission commerciale : «Le Bureau universel des copyrights (B.U.C.) compte servir toute personne ou compagnie cherchant à récupérer, identifier, réclamer, ajouter, inventer ou retirer une licence de copyrights autorisée. Le B.U.C. est régi par les règlements de la loi 1255 du Code des brevets temporaires et par le ministère international de tous les types de Propriétés existantes, soit les intellectuelles, les biologiques, les naturelles, les artificielles, les spéculatives, les biens meubles, les biens immeubles et même les imaginaires.» (pp.101-102)
Assez terrifiant!
Tout en s’amusant Bertrand Laverdure aborde des questions pertinentes. Sommes-nous des personnages ou de véritables humains qui agissent et se comportent librement? Le lecteur ne trouvera pas de réponses. Il devra surtout se situer par rapport à ce qu’il vit dans la réalité. Inquiétant pour ne pas dire angoissant.
Un roman surprenant.

«Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure est paru aux Éditions de La Peuplade.