dimanche 2 décembre 2012

Découvrir l’esprit nomade de Gérard Pourcel


L’Amérique du Nord est une terre de nomades. Rien ici ne prédispose au sédentarisme. C’est la route, le lien, le partage et la mouvance qui sont au cœur des valeurs les plus profondémentliées à ce continent. 
- Michel Vézina


Venu au Québec il y a des décennies, Gérard Pourcel a vécu au Lac-Saint-Jean, au Saguenay, à Montréal et maintenant à Baie-Comeau où il semble avoir jeté l’ancre, même s’il est toujours prêt à prendre la route pour vivre des exils. Ses textes témoignent de ses déplacements et d’un esprit nomade. Dans ses deux recueils de nouvelles parus à ce jour, on retrouve ce désir de l’ailleurs.

Le petit garçon fasciné par un étranger, dans les Jardins du Luxembourg, dans « Un été balkanique » paru en 1989 marquait déjà cette volonté d’abolir la crainte de l’étranger. Les personnages de Pourcel sont en transit je dirais, entre un départ et une destination, entre le dépaysement et le connu. Tous les écrits sont des plongées dans l’espace et le temps, entre l’enfance au pays de la Bretagne et les incursions dans le Sud quand la neige emprisonne les villes de la Côte-Nord. Toujours curieux de l’autre, de son regard, de la différence, de la marginalité qui l’attire et le titille. Les frontières aussi, ces lieux où des douaniers sévissent, aux blocages intérieurs que l’on doit abolir pour dire son véritable moi et celui de l’autre.
Son écriture nous pousse souvent sur une route par temps de tempête, entre Sept-Îles et Baie-Comeau, où il est possible de s’égarer dans un « trou blanc ». Cette neige qui biffe le pays quand ce n’est pas l’âme des vivants. On en sort indemne ou on franchit l’ultime frontière, celle d’où il est impossible de revenir. La route devient cette poussée hors de soi et en soi. Le texte, un arrêt où il est possible de retrouver son souffle.

Rappel

Pourcel fait du lecteur un confident à qui il avoue ce soi qu’il faut dissimuler souvent dans nos rapports avec les autres. Le dépaysement permet de rejeter les masques. Le je de l’écrivain s’impose et devient le fil conducteur de cette intimité. Le je est ailleurs.
Les livres le suivent sur les plages du Sud, au restaurant ou dans un aéroport. Ils permettent des bouleversements, provoquent des moments qui laissent une marque indélébile dans l’esprit. Une reconnaissance de l’être je dirais qui va au-delà des langues et des balises que la société se donne pour ignorer la peur. Comme si écrire et lire n’étaient qu’un même regard.
« J’ai presque toujours été une nomade. Un jour, fatiguée de constamment bouger, on s’arrête sans même y avoir pensé. À Saint-Enselme, je n’avais plus de nom. J’étais l’Allemande même si je n’ai jamais été Allemande. C’est mon mari. Joseph Stern, qui l’était. J’avais délibérément opté de ne plus combattre les contrevérités. Celle-ci n’avait guère de conséquence. » (p.73)

Regard

Ce nomadisme permet de voyager entre les souvenirs où tout est en noir et blanc et une vieille femme qui se retrouve « en prison » pour avoir eu la témérité de vieillir dans « Le Préposé ».
Pourcel se laisse guider par l’instant. Ce peut être une plongée dans le monde gai de Montréal, une rencontre sur une plage du Mexique ou encore le fantasme dans un texte comme « Le crabe », cette « road novel » qui fera saliver les disciples de Freud.

Quotidien

La recherche d’un endroit où stationner dans les rues de Montréal permet une rencontre émouvante ; des visites à une dame dans un foyer le fait se buter à une machine qui évoque un état stalinien. Un séjour à Cuba, une plongée dans une tempête de neige sur les routes de la Côte-Nord, un moment de grâce avec un jeune Innu évoque le racisme entre Blancs et Autochtones. Pourcel témoigne de la grandeur et de la bêtise des humains. Partout l’aveuglement provoque des catastrophes, partout des frontières sont à abolir pour rejoindre l’autre, l’apprivoiser et mieux le comprendre. Peut-être qu’il faudrait avoir l’esprit nomade pour mettre fin aux guerres et aux agressions.
Il réussit souvent à créer une tension difficile à vivre. Un camionneur sur la route, quelque part entre l’aveuglement et la démence du mouvement à tout prix en fait un tueur.
« Le conducteur du poids lourd s’impatienta. Il actionna sa corne de brume qui fit sursauter les deux occupants. Il dépassa la voiture, l’engloutissant dans un maelstrom de neige, de glace et de boue. Les essuie-glaces de la petite voiture opacifièrent le pare-brise. Plus aucun point de repère. Ne pas dévier, ni à droite, ni à gauche. Le temps parut horriblement long. La sueur dans les yeux. Les verres de contact qui se brouillent. » (p.136)
Le pire arrive bien sûr. Souvent. Parce que la transgression soulève l’incompréhension quand ce n’est pas la riposte.

Indignation

Gérard Pourcel regimbe devant tout ce qui est ordre et directives. Heureusement. Les dictatures peuvent fleurir tout aussi bien dans un foyer pour personnes âgées qu’à Cuba. Partout, ces régimes rendent un individu paranoïaque, y compris le narrateur.
J’aime ces rencontres sans lendemain, le tragique qui se drape des couleurs du quotidien. L’absurde aussi. J’aime la tendresse de « L’homme au prunier » qui par le biais d’un sourire rend la solitude acceptable.
Pourcel voyage du côté des hommes et de leurs obsessions, s’affirme dans ses convictions, son orientation sexuelle qui se dit dans la plus belle des libertés. Une tendresse, un humanisme qui le fait tourner autour des plus démunis sans pour autant devenir moralisateur.
Le nouvelier décrit avec une belle maîtrise des mondes peu souvent fréquentés, exprime son amour inconditionnel de la littérature qui abolit ces frontières que les humains ne cessent de multiplier malgré une époque où tous les enfermements deviennent obsolètes. Il illustre surtout que Baie-Comeau est une fenêtre qui donne sur le monde.

« Chroniques d’une mémoire infidèle », Gérard Pourcel, Éditions de La Pleine lune, 2012.
« Un été balkanique », Gérard Pourcel, Éditions JCL, 1989.

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