mercredi 1 février 2012

Pierre Nepveu présente Gaston Miron

Pierre Nepveu signe un ouvrage impressionnant avec Gaston Miron, La vie d’un homme. Une biographie de 900 pages, des centaines de références, des photos pour illustrer les différentes époques de ce militant qui a marqué le Québec et la poésie contemporaine.
«Aucune biographie ne saurait prétendre éclairer de part en part le sujet Miron, encore moins remplacer L’Homme rapaillé. Que ce récit de «la vie d’un homme» ne soit pas le seul possible, c’est une évidence; qu’il reconduise à la lecture de son maître livre et à ses autres écrits, c’est la seule chose qui importe et c’est mon plus cher souhait.» (p.13)
Pierre Nepveu, poète, romancier et professeur, s’attarde à la longue démarche de cet éternel insatisfait qu’était Miron. Il reprenait sans cesse L’Homme rapaillé, son livre en devenir, intervenait partout pour faire reconnaître la littérature du Québec ici comme à l’étranger.
Ce poète aura été une sorte d’ambassadeur qui ne ratait jamais une occasion de parler et de s’expliquer. Un militant pour le français, la souveraineté à laquelle il est demeuré fidèle toute sa vie, y sacrifiant du temps d’écriture et sa santé.
Nepveu suit Miron pas à pas en demeurant respectueux, même s’il n’hésite pas à montrer les contradictions et les hésitations de l’homme.

Voie

«Jamais comme dans ce poème écrit à la mi-janvier 1949 il n’aura aussi bien pressenti sa veine propre et son personnage poétique, celui d’un marcheur hors de lui-même, ravagé et porté à la fois par son «mal de démanche», comme il le dira dans La Batèche. C’est quand il puise à sa souffrance, à sa désorientation, à sa solitude farouche et égarée qu’il écrit le plus vrai.» (p.133)
Tout commençait par une image, une strophe qu’il retournait dans tous les sens et qui finissait par devenir un poème. Il reprenait chacun de ses vers qu’il considérait «en souffrance» pour les peaufiner et les sculpter. Ce qui provoquait des ulcères à ses éditeurs. Ils devaient faire preuve d’une patience incroyable pour réussir à lui soutirer un poème. Même qu’il fallait quasi le prendre en otage. Ce fut le cas pour certains textes importants. Il remettait la publication d’année en année, trouvait toujours autre chose à faire ou de plus important à réaliser.
«Engueulez Miron!», Pierre Maheu a parlé au nom de plusieurs en se disant exaspéré par un poète dont la responsabilité doit être de publier enfin son grand livre, s’il croit autant qu’il le dit à la cause du Québec et à la révolution en marche.» (p.459)
«Il reste cette lumière: Horic m’informe que la parution du recueil de Miron est programmée pour février. Je rends ma préface avant Noël et j’ai hâte d’assister à la sortie du livre. J’ignore que L’Homme rapaillé s’est enlisé dans les neiges de ce nouvel hiver, que le poète s’empêtre plus que jamais dans ses vers en souffrance. La lumière entrevue n’était qu’un leurre: un autre tunnel s’étire maintenant loin devant sans qu’on puisse en pressentir l’issue.» (p.717)
Cette œuvre majeure qu’est «L’Homme rapaillé» aura toujours été un livre en chantier. Miron a apporté des correctifs et des modifications jusqu’à la toute fin.

Solitude

Gaston Miron malgré une vie sociale trépidante aura été un homme seul, souvent malheureux en amour, incapable d’approcher une femme ou le faisant avec une gaucherie étonnante. Même qu’il pouvait être parfois un peu grossier. Il aura réussi à exaspérer Marie-Andrée Beaudet, sa compagne des dernières années, lors de leur première rencontre.
«Pendant la tournée de l’exposition en compagnie d’une amie artiste venue au lancement, Marie-Andrée est importunée par un homme d’âge mûr à qui les deux femmes n’ont rien demandé mais qui persiste à les interrompre sans manières pour faire le drôle et piquer la jeune femme: «Vous parlez bien, madame, vous devez être professeur…» De peine et de misère, elles parviennent à éloigner l’intrus. «C’est Gaston Miron…» chuchote son amie à Marie-Andrée, qui ne parvient pas à le croire: non, ce n ‘est pas ce «clown triste» qui a pu écrire un poème aussi senti, aussi grandiose que La Marche à l’amour.» (p.627)
Célébré partout comme «poète national du Québec», il se comportait souvent en adolescent qui masque sa timidité en se montrant frondeur. Heureusement tout s’apaisera vers la cinquantaine et il coulera des jours paisibles auprès de sa compagne.
La tâche était immense et Pierre Nepveu s’en sort magnifiquement bien. L’histoire d’un homme, oui, mais aussi celle de l’édition, de la poésie, de la littérature qui a connu un essor remarquable au Québec à partir des années soixante. De la pensée souverainiste aussi. Miron aura été l’un des grands diffuseurs de la littérature d’ici, un artisan de l’édition et un vulgarisateur unique. Il est l’auteur d’un livre, «L’Homme rapaillé», qui a touché les Québécois et les citoyens du monde. C’est ainsi quand on est vrai. 


«Gaston Miron, La vie d’un homme» de Pierre Nepveu est paru aux Éditions du Boréal.

Dany Laferrière revient à Haïti

Dany Laferrière écrivait après le tremblement de terre qui frappait Haïti le 12 janvier 2010, une première version de Tout tremble autour de moi. Une réaction à vif qui nous montrait un homme ébranlé par le désastre qui venait de dévaster son pays.
Un an plus tard, il donnait une version revue et augmentée de ce récit. Il est normal de revenir sur un événement qui a changé sa vie. Laferrière a eu beau quitter Haïti il y a des décennies, ce pays ne l’a pas largué pour autant. Les souvenirs, l’enfance et les racines sont là-bas, dans sa famille. J’y ai retrouvé la mère, la tante Renée, le neveu et des personnages qui constituent l’univers particulier de cet écrivain.
Dans cette seconde mouture, les événements sont les mêmes. Ou à peu près. L’hôtel Karibe où il se trouvait alors avec Rodney Saint-Éloi, l’éditeur et ami. Il était 16h53 et le monde s’est fracturé.
«Un grand nombre de gens étaient encore pris dans les embouteillages monstres qui paralysent Port-au-Prince aux heurs de pointe. Toute cette agitation s’est brusquement arrêtée à 16h53. Le moment fatal qui a coupé le temps haïtien en deux.» (p.17)
Une nuit à la belle étoile avec la peur, l’attente, le doute. Le matin aussi, comme une résurrection et la conscience de l’ampleur du désastre qui a soufflé la ville et le pays.
«C’est le jour. On se réveille lentement. Certains dorment encore. Surtout ceux qui ont veillé toute la nuit. La nuit fait peur. Le jour rassure. On a tort, car c’est en plein jour que tout s’est passé.» (p.21)

Distance

Dany Laferrière, dans cette nouvelle mouture, repousse l’émotion pour tenter de saisir ce qu’il y a de changé en Haïti. Des souvenirs s’imposent. S’il a quitté rapidement après le désastre, il revient pour les funérailles de sa tante Renée.
«Ma sœur m’annonce la mort de tante Renée. J’achète un billet d’avion pour le lendemain. Je passe du virtuel au réel. De la télé qui m’assomme à une réalité où je m’embourbe. Un petit serrement de cœur au moment de l’atterrissage. Beaucoup d’avions américains sur la piste. On dirait un pays occupé. Je vois par le hublot des tentes bleues un peu partout. Les gens refusent de dormir dans les maisons qui sont peut-être fissurées. S’ils dorment à l’intérieur ils gardent les portes ouvertes, avec leurs effets personnels à portée de main. Ils se tiennent prêts à courir à la moindre alerte.» (p.66)
Tout comme si Laferrière ne s’était jamais éloigné de Port-au-Prince. La mort ramène toujours aux origines. Le décès de son père provoquait un même parcours dans L’énigme du retour.
Famille

Ce second séjour permet à l’écrivain de s’attarder auprès de sa mère qui fait face à la vieillesse avec courage, cette tante qui vient de mourir. Une femme un peu énigmatique qui préférait la vie dans les livres à la réalité. Elle portait un amour inconditionnel à l’écrivain Stephan Zweig.
Une belle manière de retrouver ceux qui ont vécu l’événement. Malgré le sinistre et les morts, la vie continue. C’est ce qui fait que l’on rebâtira une ville sur les ruines de l’ancienne, cherchant à retrouver la cité d’avant. Les humains sont ainsi. Ils pensent réinventer le monde en corrigeant si peu les images anciennes.
Une nouvelle version fort intéressante, passionnante de justesse et de réflexions. Pourtant, j’ai recherché tout au long de ma lecture l’urgence, le tremblement intérieur de la première mouture, cette nervosité qui le faisait aller dans toutes les directions. Cette magie est disparue pour laisser place à un homme qui prend du recul même s’il a du mal à se contenir parfois.
J«’ai eu peur à la seconde secousse, presque aussi forte que la première. Elle est arrivée juste au moment où je retrouvais mon esprit. Juste à l’instant où je pensais m’être tiré d’affaire, je reçus cette seconde secousse comme un coup derrière la tête. J’ai compris alors que ce n’était pas du théâtre. Que les acteurs n’allaient pas se relever pour les applaudissements.» (p.62)
Bien sûr, ce nouveau récit vise plus large, creuse plus profond, mais…le désarroi n’est pas le même.
Dany Laferrière y reviendra peut-être. On ne voit pas son pays s’effriter sans être profondément bouleversé. C’est comme si de grands pans de sa vie s’étaient écroulés en quelques secondes.


«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est paru aux Éditions Mémoire d’encrier,     

lundi 30 janvier 2012

Pas vraiment facile de cerner le roman

Isabelle Daunais
Isabelle Daunais et François Ricard affirment, dans «La Pratique du roman», que les écrivains du Québec s’attardent rarement à réfléchir sur l’art qu’ils pratiquent. Particulièrement en ce qui concerne le roman qui connait un essor considérable depuis des années. C’est un peu négliger la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles où des dizaines d’écrivains mettent les cartes sur table.
«Les romanciers parlent volontiers de leur œuvre ou de leurs projets, ou encore de la littérature en général, mais peu de l’art précis qu’ils pratiquent (les poètes, en cela, sont beaucoup plus prolixes). Pourtant, le roman constitue ici comme ailleurs une forme artistique majeure et il n’échappe en rien aux grandes questions- sur sa spécificité, son rôle, ses limites- qui partout se posent à lui.» (p.8)
François Ricard
On pourrait questionner les milliers de membres de l’UNEQ et il y aurait autant de points de vue, il me semble.
Ils sont huit à prendre le temps de réfléchir à la question. Gilles Archambault, Nadine Bismuth, Trevor Ferguson, Dominique Fortier, Louis Hamelin, Suzanne Jacob, Robert Lalonde et Monique La Rue. Quatre femmes et quatre hommes.
Le titre le dit bien. On peut fréquenter le genre en étant écrivain ou encore simplement lecteur. La plupart des auteurs sont l’un et l’autre comme il se doit. L’écriture vient souvent avec la lecture et la lecture pousse vers l’écriture.

Droit au but

Gilles Archambault est peut-être le plus direct. Il y va sans détour. Un roman est «l’écriture de soi», dit-il, empruntant la formule à Jean-Claude Pirotte. S’écrire le plus simplement possible en évitant les prouesses, les effets de style ou les longs détours.
«Ne pas céder à la tentation du divertissement. L’imaginaire a bon dos. Elle recouvre souvent l’inanité du propos. Je n’ai pas en tête quelque recherche de «profondeur». (p.105)
Nadine Bismuth est plus préoccupée par le sort réservé aux écrivains dans les médias. À la télévision, à la radio, dans les revues et les journaux, c’est l’homme qui intéresse, sa vie, ses idées et ses points de vue. Dany Laferrière dit la même chose dans «L’art presque perdu de ne rien faire». Un autre sujet il me semble.

Regards

Dominique Fortier écrit devant une  fenêtre pour voir le monde. Elle peut aussi être vue. Le roman devient une lecture d’un certain univers et le lecteur imagine ce qu’il veut bien en surveillant cette femme. Cela m’a fait penser au dernier roman d’Andrée Laurier. Dans «Avant les sables», tout commence avec Myriam qui, à sa fenêtre, surveille un couple au café. Elle aussi est l’objet de leur attention.
Fortier défend le droit à l’invention et à l’imaginaire même si un certain réalisme n’est pas à dédaigner. Elle hausse les épaules devant les autofictions qui font saliver les foules.
Louis Hamelin s’attarde au roman québécois et américain. Le mythe de la cabane isolée semble récurrent dans notre littérature. Fort intéressant ce qu’il écrit sur Gabrielle Roy. Il aurait pu rôder aussi du côté de Jean Désy.
Monique La Rue et Suzanne Jacob se tournent vers Roland Barthes et Milan Kundera. Ces écrivains ont décortiqué le roman comme une mécanique sans pour autant en percer les secrets. Comment saisir l’émotion qui porte les grandes œuvres? Peut-être qu’il faudrait demander au lecteur. C’est lui qui a toujours le dernier mot. Madame Jacob raconte comment un roman de Pierre Jean Jouve a changé sa vie. Elle a trouvé dans «Hécate» ce qu’elle cherchait. L’écrivain n’a rien eu à dire dans cette illumination. Le lecteur crée son livre en se l’appropriant.

Réflexions

Presque tous sont d’accord. Un roman doit s’inscrire dans l’histoire et être porté par une écriture, un rythme et un souffle. Kundera se montre sévère en affirmant dans «Les testaments trahis» que la production romanesque de maintenant est interchangeable. Difficile de lui donner tord.
Les romanciers travaillent à construire des cathédrales. Chacun a son architecture, son plan et son lieu. Un ouvrage fort pertinent pour ceux et celles qui aiment lire de la fiction. Une manière de réfléchir à ce que l’on recherche dans un livre. Ce pourrait être là le sujet d’un autre essai…

«La Pratique du roman» de Isabelle Daunais et François Ricard est paru aux Éditions du Boréal.