lundi 26 mars 2012

Gérard Pourcel fait preuve d’un bel humanisme


«Chroniques d’une mémoire infidèle» de Gérard Pourcel m’a rappelé ces moments où nos vies se sont croisées dans le monde de la littérature. J’avais déjà lu au moins huit des onze nouvelles de son récent recueil. Des textes parus dans différents collectifs et tous remaniés pour le meilleur.
Cet écrivain, qui publie rarement, m’a entraîné sur la Côte-Nord, à Cuba, au Mexique, Montréal et les États-Unis. Parfois aussi en Bretagne, par le biais de la mémoire, là où il est né.
Un monde où le je de l’auteur nous interpelle et devient le fil conducteur de ces textes rédigés au cours des ans. Il y partage son amour pour les voyages, les plages chaudes et ensoleillées, les rencontres fortuites qui bouleversent souvent.
«Ma main enhardie s’était, par un hasard prémédité, rapprochée de son bras qu’il n’avait pas retiré. Nos conversations à cinq passagers se poursuivaient en toute innocence. Mon pouce, dans un long va-et-vient, caressait cette peau satinée. Ma crainte ou ma honte de rencontrer le regard de Mouloud. Puis, ses yeux complices, d’un noir intense, et son large sourire…» (p.38)
Des moments de tendresse, une complicité qui ne porte guère à conséquence. Une reconnaissance de l’être je dirais, au-delà des langues et des balises de la société.
Ce nomadisme ne l’empêche pas d’observer les humains, les hommes en particuliers. Une humanité souvent blessée qui n’exige qu’un regard, un peu d’écoute et surtout de l’empathie.

Quotidien

Cet écrivain trouve ses sujets dans le quotidien et fait de son lecteur un complice et un confident. La recherche d’un endroit où stationner son auto dans les rues de Montréal permet une rencontre émouvante, des visites à une dame dans un foyer le fait se buter à une machine inhumaine. Un séjour à Cuba, une plongée dans une tempête de neige sur les routes de la Côte-Nord, un moment partagé avec un jeune Innu où il effleure subtilement la cohabitation difficile entre les Blancs et les Autochtones. Partout, Pourcel témoigne de la grandeur et de la bêtise des humains. Partout l’aveuglement peut provoquer des catastrophes.
Il réussit souvent à créer un suspense qui vous emporte dans un véritable tourbillon. Les «cangregos» qui hantent le voyageur lors d’un séjour à Cuba ou l’impatience d’un camionneur qui en fait un meurtrier sur la route, quelque part entre Sept-Îles et Baie-Comeau.
«Le conducteur du poids lourd s’impatienta. Il actionna sa corne de brume qui fit sursauter les deux occupants. Il dépassa la voiture, l’engloutissant dans un maelstrom de neige, de glace et de boue. Les essuie-glaces de la petite voiture opacifièrent le pare-brise. Plus aucun point de repère. Ne pas dévier, ni à droite, ni à gauche. Le temps parut horriblement long. La sueur dans les yeux. Les verres de contact qui se brouillent.» (p.136)
Le pire arrive bien sûr.
 
Indignation

Gérard Pourcel reste allergique, heureusement, à tout ce qui est règlements et directives imposées. Les dictatures se retrouvent dans un foyer pour personnes âgées ou à Cuba. Partout, ces régimes rendent tout le monde paranoïaque, y compris le narrateur.
J’aime cette façon de voir, ces rencontres éphémères et souvent sans lendemain, le tragique qui se drape des couleurs du quotidien. L’absurde aussi. J’aime la tendresse muette de «L’homme au prunier», un véritable petit bijou qui va au-delà des langues et des effusions.
Une indignation de bon ton qui ne se fait jamais revancharde mais qui montre bien les travers de notre société. Des nouvelles qui m’ont remué même si je n’en étais pas au stade de la découverte. Un voyage du côté des hommes et de leurs obsessions souvent ridicules, une affirmation de soi dans ses convictions, son orientation sexuelle qui s’exprime dans la plus belle des libertés. Une tendresse, un humanisme qui le fait s’attarder auprès des plus démunis sans pour autant devenir moralisateur. Un monde peu souvent exploré que Pourcel décrit avec une belle maîtrise, un amour inconditionnel de la littérature qui le suit partout et qui constitue une trame qui nous permet d’avancer dans le labyrinthe qu’est la vie.

«Chroniques d’une mémoire infidèle» de Gérard Pourcel est paru aux Éditions de La Pleine lune.