lundi 1 octobre 2012

Alain Beaulieu : la vie est un boomerang


«Quelque part en Amérique» d'Alain Beaulieu nous emporte dans une société malade d’elle-même et de ses lubies.

Lonie et son jeune fils réalisent un rêve en se retrouvant aux États-Unis, là où tout est possible. Elle a quitté sa famille, ses amis et le Bélize pour se donner un nouveau destin. Elle suit ainsi les traces de sa cousine Liana qui a osé couper ses entraves pour vivre une vie différente. Du moins, c’est ce qu’elle croit. La réalité lui apportera bien des désillusions.
Elle se retrouve quelque part dans une petite ville du Sud et personne ne l’attend à la gare. Tout bascule. Seule avec son fils et quelques dollars, que va-t-elle devenir? Le destin frappe comme il ne peut le faire qu’au pays de Barack Obama.
Nick Delwigan, un policier, chapeau vissé sur la tête, mange dans le restaurant où elle se réfugie. Il décide d’agir. Cette femme, il le sait, va être avalée par un réseau de prostitution s’il ferme les yeux. Il sauvera la jeune mère et ce petit garçon curieux. Peut-être qu’il cherche à oublier sa lâcheté. Depuis un bon moment, il n’a rien fait pour contrer les proxénètes qui font la pluie et le beau temps dans sa ville.
Ils prennent la route, traversent presque le continent, changent de monde pour que les réfugiés soient à l’abri.

Prison

La jeune mère se retrouve dans une prison dorée où elle doit jouer à la servante. Bill, le mari de la sœur de Nick, est prédicateur. Il incarne pleinement le «rêve américain». Maison immense et voiture de luxe. Sa conscience à deux vitesses le sert bien. L’une pour ses fidèles et une autre pour sa vie privée. Il trompe sa femme tout à fait naturellement et se montre particulièrement raciste.
Maureen s’étiole dans ce nid douillet. Névrosée, dominée par son religieux de mari, elle fait face au vide de sa vie. Lonie et Ludo ravivent une grande frustration, celle de ne pas avoir eu d’enfant.

Fuite

Elle s’enfuit avec le jeune garçon. Ils vont d’une ville à l’autre, changent de noms, brouillent les pistes et finissent par se refaire une vie. Ludo, allias Koby, devient un adulte qui ignore tout de son passé. C’est peut-être aussi cela l’Amérique, la possibilité de devenir un autre, de se forger une existence en laissant son passé derrière soi. Devenir amnésique en quelque sorte. Ici, je ne peux que songer à Paul Auster où des personnages changent littéralement de peau.
Lonie épouse Nick. Le couple a des filles, mais la blessure ne se referme pas. Comment serait-ce possible? Le policier finit par retracer sa sœur et le fils kidnappé. Est-il possible d’effacer ce drame et tout recommencer?
Maureen a élevé Ludo seule et ce garçon est devenu le centre de sa vie. Comment organiser les retrouvailles avec la vraie mère sans bousculer le jeune homme? Une rencontre fait tout basculer. La voleuse d’enfants sera punie comme il se doit. Le bien triomphe en Amérique, du moins on aime le croire ou le laisser croire.
Monde

Alain Beaulieu nous emporte dans un récit polyphonique où chacun donne sa version des faits. Le lecteur noue les fils d’une histoire qui devient un véritable suspense. Je me suis laissé prendre par ces personnages qui ne sont jamais tout à fait mauvais ou bons. Une certaine zone d’ombre permet d’aimer ces hommes et ces femmes, de plonger dans un rêve qui se casse de toutes les manières. Maureen ne peut vivre sans faire face à ses gestes. Sa vie éclate un matin comme un miroir. Elle le prévoyait, elle l’a toujours su.
Beaulieu démontre que nul n’échappe à ses actes et qu’il est impossible de devenir un autre. Un jour ou l’autre, il faut assumer ses gestes et ses décisions. Tout revient vers soi pour le meilleur et le pire. La vie est un boomerang.
Une lente dérive dans une Amérique tourmentée qui vacille entre le rêve et l’utopie, la déception et le mythe.
Et Druide ne fait pas les choses à moitié. Cette nouvelle maison d’édition croit que le livre est un objet qui doit plaire. Comment être contre cela? Un début prometteur et une facture qui se démarque déjà.

«Quelque part en Amérique» d’Alain Beaulieu est paru chez Druide Éditeur.