lundi 26 novembre 2012

Patrick Nicol brasse toutes nos certitudes


Six mois ou presque après les événements du printemps dernier, «le printemps érable» selon la formule consacrée, un professeur de littérature sent le sol glisser sous ses pieds. La contestation et les manifestations le heurtent. Il se sent dépassé, perdu et réactionnaire. Est-ce le propre du vieillissement que de devenir un étranger dans son milieu?

«Je ne sais pas, Philippe, si en vieillissant on devient réac, mais il est vrai que je m’impatiente devant les gens qui téléphonent au volant, comme j’ai envie, à l’épicerie, d’engueuler les vieux qui cherchent leur petit change à la caisse. Et je sais bien, Philippe, je le ressens profondément, qu’il y a quelques années à peine, la loi enfreinte et le temps perdu ne m’apparaissaient pas comme des motifs d’impatience, ni de valables raisons de discordes.» (p.9)
Patrick Nicol enseigne dans un cégep et il a vécu de près la grogne étudiante qui s’est transformée en un cri de toute une population qui en avait ras le bol. La crise a fini par s’essouffler avec l’été et les élections automnales, mais elle a laissé des traces.

Dérangement

L’enseignant a été troublé comme beaucoup de ses semblables au Québec. Dans «Terre des cons», le narrateur s’adresse à un ami, un collègue de travail. Les deux croient en la littérature, le beau, l’art de vivre et un certain raffinement. Ils ont mis une vie à se sortir de l’ignorance.
«Je me suis constitué de savoir et le savoir à son tour m’a formé. Rien dans mon identité ne me semble plus personnel que mes lectures, mes écritures, pas même les belles expressions de ma mère, les deux-trois habiletés que mes parents m’ont transmises — cuisine hygiène, menuiserie —, pas même certaines taches, acrochordons ou épi récalcitrant dont j’ai hérité et que j’aurais transmis si je m’étais reproduit.» (p.33)
Cette façon d’être, de voir le monde et de l’interpréter ne semble plus tenir. Tout bascule dans le récit de Nicol. Les certitudes fuient dans toutes les directions.
Questionnement de la culture, des étudiants, de leur indifférence devant certains textes, leur incapacité à lire et décrypter l’ironie dans une chanson. Le constat est dur, peut-être vrai. Pourtant, les leaders de la contestation étudiante étaient magnifiques et rassurants. Il doit y avoir des exceptions, j’espère.
Notre professeur bascule dans l’alcool, n’arrive plus à dormir, se gave d’informations à la télévision, guette les nouveaux voisins qui multiplient les soirées arrosées où les mêmes propos reviennent comme un CD accroché à une phrase musicale.

Questionnement

Qu’est la culture? Quelles sont les assises de notre société? Où allons-nous? Que retenir de ces manifestants qui ont bloqué les rues de Montréal en jouant de la casserole?
L’écrivain n’est guère tendre envers les médias et surtout un certain chroniqueur. Comment ne pas reconnaître Richard Martineau, même s’il ne le nomme jamais.
«Le Chroniqueur avait vu des étudiants boire une sangria sur une terrasse. Paraît même qu’ils parlaient au téléphone: ce spectacle l’avait indigné. Il voyait là la preuve que tous les étudiants étaient des privilégiés qui pouvaient se payer l’augmentation des frais de scolarité qu’imposait le gouvernement — une facture presque doublée —, et contre laquelle ils faisaient la grève.» (p.41)
Devenons-nous tous des réactionnaires en prenant de l’âge? Que faire quand on trouve que les jeunes sont paresseux et qu’ils manquent d’orgueil? On a parfois l’impression que le narrateur et ses étudiants vivent dans des mondes différents.

Remise en question

Patrick Nicol tente de s’accrocher devant des voisins qui bousculent sa quiétude, cet ami homosexuel qui échappe au temps et aux remises en question. Julie aussi, sa blonde, qui trouve une nouvelle énergie en participant aux manifestations. Est-ce là la fête, le lieu où tout devient possible, même un retour vers la fougue de la jeunesse? L’enseignant se sent en dehors de tout, perdu et dépassé.
Un regard impitoyable et nécessaire. Difficile à avaler, mais combien juste. Le monde carbure aux clichés, aux raisonnements abscons et aux sophismes qui font gonfler les cotes d’écoute des médias où la bêtise devient des dogmes. Patrick Nicol provoque un véritable «tremblement d’être», questionne nos regards, nos réactions devant des événements qui secouent notre confort, peut-être aussi notre indifférence. Un court roman qui vise juste et soulève pas mal de questions.

«Terre des cons» de Patrick Nicol est paru aux Éditions La Mèche.