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dimanche 13 janvier 2013

Vincent Thibault nous entraîne au-delà du réel


«Les bêtes» de Vincent Thibault m’a transporté dans un pays méconnu du Nord où chaque jour est un combat, où la moindre erreur peut être fatale. Voilà un lieu où les humains puisent au fond d’eux-mêmes, un envers du monde où les femmes et les hommes doivent retrouver une certaine animalité pour survivre. Parce que le Nord, dans sa beauté et ses humeurs, ne fait jamais de quartier.

Chisasibi, pays d’épinettes drues, de neige, de vents où le ciel déborde de partout. Un pays que les écrivains québécois explorent de plus en plus. Yves Thériault, le précurseur, et Jean Désy sont de ceux-là. Je signale «Coureur de froid» de ce médecin-poète. À lire. On peut aussi s’attarder à Paul Bussières qui étonne dans «Qui donc va consoler Mingo», un roman époustouflant.
«Ce n’est qu’une fois arrivée à Chisasibi qu’Amélie comprit la force de ces mots. Le ciel du Nord était vaste, sans limites, c’était un ciel, un vrai. Il était presque inconcevable qu’il s’agisse du même qu’ailleurs. En fait, elle allait bientôt utiliser cette phrase merveilleuse: «Ailleurs, c’est ici.»» (p.11)
La jeune femme s’exile pour retrouver des valeurs et un sens à sa vie. La dentiste est le prétexte qui permet à Vincent Thibault de plonger dans une communauté où les gens vivent, souffrent, affrontent une nature particulièrement rude qui réveille des démons intérieurs.
Le personnel médical, les enseignants, quelques commerçants, deux ou trois policiers, les Cris et les Inuits font leurs affaires en faisant en sorte de ne pas empiéter sur le territoire de l’autre. Tout cela dans un mélange de langues et d’habitudes, d’excès et de violence difficile à prévoir.

Confrontation

L’alcool et les drogues minent les autochtones et les poussent aux pires excès et à l’horreur.
«Ce père de famille, chaque fois qu’il vient chercher sa fille avant la fin du cours, je sais exactement ce qu’il fait. Il la ramène à la maison et il la viole. Ça me rend malade… Mais qu’est-ce que je dois faire, hein? Garder de force la fille qui ne veut rien savoir de moi? Barrer le passage à son père alcoolo et me retrouver avec une balle de carabine dans le ventre? Aller voir la police où travaille son oncle?» (p.62)
Comment retrouver un équilibre perdu, une vie de famille, redonner des valeurs aux jeunes dans un tel contexte? John, un alcoolique, part en excursion avec son fils. Ils se perdront dans la tempête. Ce peut aussi être un caribou qui met fin brutalement aux rêves en bondissant devant une camionnette.
«Des éclats de verre lui transpercèrent la trachée. Layna se brisa la clavicule sur sa ceinture; l’os brisé rentra loin sous la peau; elle s’assomma brutalement contre la fenêtre côté passager. Ses vertèbres cervicales reçurent un choc violent et elle perdit connaissance. Un silence d’une remarquable densité s’ensuivit. Puis, le caribou se mit à crier d’agonie. Ses lamentations emplissaient l’espace tout entier et ralentissaient la descente de la neige qui s’était mise à tomber. Si quelqu’un avait été là pour prêter l’oreille, peut-être, qui sait? peut-être aurait-il entendu Lenny Kravitz terminer sa chanson.» (p.105)
Les gens qui s’exilent dans ces communautés, souvent, tentent de fuir un certain malaise existentiel. Tous viennent au Nord pour prendre conscience de ce qu’ils sont dans leur grandeur et leur faiblesse, leurs peurs et leurs angoisses.
Tout est possible dans un tel univers, même le surnaturel… Amélie est attirée dans un cercle où elle passe dans une autre dimension. Nous n’en saurons pas plus. Certaines forces telluriques peuvent sauver comme vous perdre.

Recherche

La petite communauté cherche des ancrages, vit l’amour et l’amitié pour être, pour se réaliser dans une certaine harmonie et la tolérance dans ce monde dur et âpre. Pour cela, il faut faire face à tous les possibles et tous les imaginaires, tous les préjugés aussi. Un monde en ébullition qui mélange à la fois l’occulte et ce que nous nommons le réel.
«Les bêtes», le titre est révélateur, permet un voyage où le pire comme le meilleur font surface. Un roman initiatique pour ces exilés du Sud qui, devant une nature inquiétante, sont poussés au-delà d’eux-mêmes. Même les autochtones doivent vaincre leurs pulsions pour retrouver une réalité qui leur échappe avec l’arrivée du monde moderne. Un voyage qui m’a fasciné.

«Les bêtes» de Vincent Thibault est paru aux Éditions de La pleine lune.

1 commentaire:

  1. Très beau votre article sur le roman de Vincent Thibault, il va être content.

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