jeudi 15 août 2013

Un témoignage d’une vérité saisissante


Germain Nault, né en 1920, avait à peine dix-huit ans quand la Deuxième Guerre mondiale a éclaté. Un conflit que la population du Québec suivait distraitement, ne se sentant guère concernée par cet affrontement qui allait traumatiser le siècle. Le jeune homme s’enrôle, n’ayant jamais à l’esprit qu’il pouvait participer à la guerre en Europe.

Le jeune homme en débarquant en Normandie, plonge dans l’enfer, voit des amis et des compagnons d’armes mourir. Son témoignage fait vivre l’horreur de la guerre et ses monstruosités, permet d’apprécier aussi la droiture d’un homme qui croyait en son destin.
Ce récit, écrit par ses petites-nièces Marilou et Martine Doyon, devient passionnant quand le jeune militaire participe au grand débarquement du 6 juin 1944.
Germain Nault conduit un char, transporte des munitions, devient estafette, va d’un commandant à l’autre sur sa moto pour transmettre les ordres, défiant les tirs ennemis et parfois même ceux des alliés. Un travail particulièrement dangereux qui exige des nerfs d’acier.
Un peu casse-cou, il aime circuler ainsi, se fiant à sa bonne étoile, ayant un regard sur le conflit tout à fait particulier. Il sera témoin de scènes horribles, de carnages, verra ses meilleurs amis mourir sous ses yeux.
 «Des vies humaines s’éteignaient sous mes yeux depuis le début des affrontements et je n’y pouvais rien. C’était intolérable. C’était inhumain. C’était presque absurde. Et, pour me faire comprendre encore davantage que la guerre était avare d’exemptions, ma vie a basculé lorsque j’ai aperçu ce que j’appréhendais le plus depuis le début de notre calvaire : en cette fin de journée du 6 juin 1944, en montant vers La Mare, le destin m’a fait passer à côté du corps criblé de balles d’un ami, celui de Fernand Hains. Je suis aussitôt descendu de mon véhicule, en espérant de tout mon être percevoir un semblant de respiration dans sa poitrine, mais je me suis vite rendu à l’évidence. Les balles ne lui avaient laissé aucune chance. Déjà, je pensais à ses parents, à ce que j’allais leur dire.» (p.115)

Il risque sa vie tous les jours, ne doute jamais de la justesse de sa mission. Il suivra les troupes alliées qui progressent vers la frontière de l’Allemagne en livrant de terribles combats, jusqu’à la reddition des forces nazies. Il aura vu l’horreur, connu le pire tout en gardant sa foi dans l’humanité, en se rappelant sa famille et sa mère.
«Je ne réalisais pas que j’allais bientôt retrouver ma famille, mon village, ma petite routine au Québec. J’ai pris soin d’envoyer une lettre à mes parents pour les avertir que j’allais être de retour dans quelques jours. J’imaginais la sensation de soulagement que ma mère a dû éprouver à lecture de mes derniers mots en provenance d’outre-mer.» (p.211)
Germain Nault s’en sortira sans trop de séquelles, peut-être parce qu’il a toujours refusé de ruminer des événements sur lesquels il n’avait aucune prise. Il a su se concentrer sur le chemin à parcourir et non pas sur celui qu’il venait de faire. Il rentrera au pays, retrouvera sa famille, se mariera et connaîtra une vie bien remplie.
Un témoignage inspirant, un travail respectueux des jumelles Marilou et Martine Doyon qui demeurent très attentives aux propos de leur grand-oncle. On sent leur fascination pour ce héros qui a frôlé cent fois la mort, un homme humble qui croit en l’humanité et a su se préserver de tous les préjugés, même envers ses ennemis. Une vie pas comme les autres qu’il fallait faire connaître. C’est bellement réussi.

J’ai survécu au débarquement, de Marilou et Martine Doyon est paru aux Éditions JCL.

lundi 12 août 2013

Les chemins singuliers de Robert Lévesque



L’écrivain et journaliste Robert Lévesque aime aller et venir dans l’œuvre d’un créateur, la secouer pour se hisser au-delà des clichés et des sentences que l’on prend souvent pour des vérités. Louis-Ferdinand Céline, par exemple. J’ai découvert cet écrivain alors que je venais d’ouvrir une parenthèse en m’exilant à Montréal pour des études. «Le voyage au bout de la nuit» fut une illumination. Il était possible d’écrire comme ça, d’avoir un tel regard. J’avais baigné jusqu’alors dans les romans de François Mauriac, André Gide et Victor Hugo. Une commotion!

«Ce titre, me suis-je dit, ce sera Digressions; ça m’est sorti comme ça de la caboche, comme un sou d’une tirelire secouée; c’était, pensai-je aussitôt, la clé des champs qui allait me permettre de fuir à l’aise, de me livrer à mon penchant pour les bifurcations, les pattes d’oie et les étoiles, les parenthèses et les tirets (un goût, un faible, un vice, un défaut?) — la dentelle véritable, dirait Céline qui ne s’en privait pas et qui, passage Choiseul, avait été élevé dans la guipure par sa mère Marguerite —; me laisser aller à ma propension pour ce que les lexicographes définissent comme un «développement écrit qui s’écarte du sujet» (le Robert) ou «un développement étranger au sujet» (le Larousse), alors que le vieux Littré nous avertit encore qu’on «s’égare» avec ces développements…» (p.15)
Robert Lévesque s’attarde à Céline, son écriture, l’homme et le médecin. Il y a aussi Samuel Beckett, le grand farouche qui m’a hanté au temps où j’osais m’aventurer sur une scène. Je rêvais d’incarner Vladimir dans «En attendant Godot». Il y avait aussi Winnie la magnifique de «Oh les beaux jours». Je n’ai pas résisté à la tentation de lui faire une petite place dans mon «Voyage d’Ulysse». Ce personnage m’a toujours ému avec son monologue interminable et Willie qui s’enferme dans un silence inquiétant. L’art de toucher le drame avec les mots du quotidien.

Gabrielle Roy

L’écrivain convoque Gabrielle Roy alors que la journaliste se préparait à entrer en écriture. Une traversée vers l’Île aux Coudres avant Pierre Perreault, le cinéaste. Un reportage, des phrases, un éclat inquiétant comme dans «Le grand Meaulnes» d’Alain Fournier. Un texte qui laisse deviner l’écrivaine qu’elle allait être.
Bien sûr, le théâtre occupe une place importante dans la vie et l’écriture de Robert Lévesque. Il s’attarde à des sujets qui ont fait les manchettes. L’affaire Bertrand Cantat et Wajdi Mouawad. Triste épisode, improvisations devant les hoquets de certains chroniqueurs.
«Aucun des deux pitres n’élabora quoi que ce soit d’analytique ou d’interrogatif sur la proposition théâtrale qui pouvait amener Wadji Mouawad à choisir ce chanteur. Personne dans le monde journalistique ne traita l’événement autrement qu’en répercutant les cris de putois de ces réactionnaires. Dans le vacarme, Mouawad s’est tu. Je le connais. La bêtise le paralyse.» (p.119)
Des poussées vers Jarry, Verlaine, encore Céline, Ginsberg et Burroughs, les comparses de Kerouac. Quelques flèches aussi vers les médias de maintenant.

«La télévision publique a mis ses dimanches entre les menottes d’un humoriste à la voix de fausset, un monsieur Loyal de la négation de la pensée. Dans cette entreprise commerciale qu’elle est devenue, aucun espace n’est aménagé dans lequel il se pourrait que tout le monde pense.» (p.121)

Recherche

Robert Lévesque aime les ruelles, le côté toujours à l’ombre pour regarder, écouter, tenter de débusquer les créateurs dans ce qu’ils ont de plus intime et de plus fragile. Beckett dans sa cabane où il écrivait, Céline et son cynisme inquiétant ou encore Rimbaud qu’il imagine en Afrique dans la poussière d’un soleil qui rend fou. Avec des retours au Québec pour mieux repartir sur des textes avec une passion singulière. «Digressions» tient de l’autobiographie, des réflexions d’un lecteur boulimique, des arrêts sur ses passions et ses obsessions. On y retrouve même ses chats.
Pur bonheur que de plonger dans un livre du genre. Il est la preuve que notre littérature prend toutes les directions, même si elle est trop peu fréquentée. Il faut des Robert Lévesque pour pister les créateurs et ralentir la course effrénée vers la nouveauté et la jeunesse. Il démontre que la littérature n’est pas un produit jetable et qu’elle parvient souvent à secouer la vie, qu’elle n’est surtout pas une denrée périssable!

Digressions de Robert Lévesque est paru aux Éditions du Boréal.