dimanche 5 janvier 2014

Le temps de la dernière chronique est venu


Jamais je n’ai pensé que ce moment viendrait si rapidement. La décision est tombée. Fini les chroniques au Progrès-Dimanche. Situation économique oblige. La raison universelle de justifier les bonnes et les mauvaises décisions. La dernière chronique, la 605e, celle qui met fin à l’aventure d’une vie. Un document de 1815 pages. Je souhaitais me rendre à la 1000e bien sûr. Difficile d’imaginer que le contact ne se fera plus dans ce journal où j’ai été présent pendant quarante ans.

La littérature du Québec, avec ses grandes figures, ses inconnus et surtout les écrivains et écrivaines du Saguenay-Lac-Saint-Jean, a donné un sens à ma vie. Les écrivains d’ici, ceux qui ont changé le théâtre au Québec : Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Daniel Danis et Jean-Rock Gaudreault m’accompagnent depuis tant de temps. Des noms connus dans le monde, méconnus dans leur milieu. Des modèles qu’on voit rarement à la télévision.
Et tous les autres, les Alain Gagnon, Guy Lalancette, Hervé Bouchard, Élisabeth Vonarburg, Lise Tremblay, Pascale Bourassa, Marjolaine Bouchard, Dany Tremblay, Jean-Pierre Vidal. La liste pourrait s’allonger. Plus de 155 chroniques, plus de 25 pour cent des textes, mettent en valeur ces écrivains qui disent la région. Pour plusieurs, c’est le seul écho après une publication.

Blogue

Je leur ai offert une plate-forme mondiale en 2010 avec le blogue http://yvonpare.blogspot.ca. Soixante pour cent des visiteurs proviennent du Québec et du Canada. Les autres sont des États-Unis, d’Allemagne, de Russie, de Pologne, de la Belgique, de la France et des  pays du Moyen-Orient. Une fréquentation en constante progression, une diffusion faite uniquement sur les médias sociaux. J’ai la prétention de croire que quelques auteurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Québec sont lus dans le monde grâce à ce blogue. La preuve que l’écrivain, peu importe son lieu de résidence, parle à la planète. Il n’y a pas de littérature régionale, mais une seule et belle et grande littérature du Québec.


Économie

La littérature au Québec a généré des revenus de près de 700 millions $ en 2012. Des milliers d’emplois dépendent de ce secteur. Le cinéma, dont on parle avec raison, traîne loin derrière avec des recettes de 170 millions $. Quatre fois moins de revenus et pourtant cent fois plus de visibilité que les écrivains. J’ai répété ces faits pendant des décennies aux élus, aux patrons, aux lecteurs. Comment expliquer le succès du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec ses 20 000 fidèles? Un taux de fréquentation enviable. Par comparaison, il faudrait que le Salon du livre de Montréal accueille près de 300 000 visiteurs pour présenter des statistiques comparables à celles du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, alors qu’il attire 120 000 visiteurs bon an mal an. Il y a des lecteurs ici comme ailleurs, n’en déplaise aux alarmistes qui agitent la cloche de l’analphabétisme.



Un roman, une nouvelle, un essai bousculent la société, la dérangent, la montrent sous un angle souvent peu favorable. Nous ne sommes pas dans les publicités où tout est parfait. Nous plongeons dans la fissure, la blessure, ce qui fait que la société va de travers parce que la plupart des gens n’arrivent pas à s’identifier aux gagnants, aux vedettes interchangeables, aux rois du rire et de la blague vermoulue. Nous ne sommes pas dans la consommation, l’étourdissement, l’instinct. Nous scrutons l’être, l’âme humaine.





La littérature demeure un refuge pour la pensée, la réflexion en cette époque qui glisse imperceptiblement vers un autre Moyen-Âge où la mémoire et le savoir-faire disparaissent dans le trou noir d’un disque dur qui avale tout. L’expulsion de la pensée et de la réflexion des universités et des médias est inquiétante. Reste le culte du je, du moi dilatable, l’émotion, le vécu dans ce qu’il a de plus réducteur, l’opinion jetable à la radio, à la télévision, dans les journaux. Opinion qui tue la pensée, relève du bavardage, de la perte de temps, de l’humeur et des pulsions.



Le blogue

Certains suggèrent de continuer sur le blogue, «bénévolement». J’ai toujours défendu l’écrivain pour qu’il soit reconnu comme un professionnel et qu’il soit rémunéré pour ses interventions publiques. J’aime la littérature, le livre, mais pas au point de renier la démarche d’une vie.
Des dizaines de personnes ont écrit des lettres de protestations aux dirigeants du Quotidien et du Progrès-Dimanche. De quoi m’ébranler. Je ne pensais pas que c’était possible.



Vous avez été merveilleux, incroyables. J’en garderai un souvenir précieux. Merci de m’avoir lu, de me l’avoir dit si souvent. Merci de lire envers et contre tous. La littérature québécoise a besoin de vous.

Cette 605e chronique est la dernière à paraître
dans le Progrès-Dimanche.

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