jeudi 18 septembre 2014

Nicole Houde poursuit sa patiente exploration


En 1984, j’ai sursauté en voyant dans les dépêches de la Presse canadienne que Nicole Houde remportait le Prix littéraire des jeunes écrivains du Journal de Montréal. Comment deviner qu’elle deviendrait une figure importante de notre littérature ? Je travaillais alors comme adjoint au chef de pupitre au journal Le Quotidien. Nous en avions fait une manchette à la Une. L’auteure, originaire de Saint-Fulgence, faisait une entrée remarquée dans le monde littéraire. Ce fut le début pour elle d’une aventure d’écriture et pour moi, un bonheur de lecture. Les choses ont bien changé depuis : Le Journal de Montréal ne s’intéresse plus aux jeunes écrivains et Nicole Houde a produit une œuvre originale et fascinante.


Trente ans de publications, des ouvrages percutants où l’écrivaine s’approprie un univers singulier. Le Saguenay surgit souvent sous sa plume, particulièrement Saint-Fulgence, L’Anse-Saint-Jean et Rivière-Éternité, où des femmes, marquées par une fatalité héréditaire, luttent pour survivre. Dans La Maison du remous, Laetitia est marquée au corps et à l’esprit par une génétique impossible à déjouer. Ces victimes écrasées par la maternité vivent un véritable enfer. Un livre que j’ai lu à plusieurs reprises. J’ai trouvé dans ce roman un écho à mes Oiseaux de glace où Thérèse est attirée par les promesses d’Ovide, son mari. Isolée, battue, perdue au fond des bois, elle survit grâce à son imaginaire et sa colère. Que dire de Je pense à toi où elle aborde la figure du père, un sujet longtemps attendu, un récit particulièrement dense et bouleversant.
Il faudra une douzaine d’ouvrages avant de retrouver le sourire, de s’abandonner à son humour singulier. Portraits d’anciennes jeunes filles est un ouvrage remarquable, une embellie dans l’univers de cette écrivaine qui confronte souvent un destin qui ne fait jamais de concessions.
 Dans La vie pour vrai, sa quatorzième publication, la romancière plonge dans un monde qu’elle a visité dans La chanson de Violetta. On se souvient de ce personnage de jeune déficiente qui entendait bousculer le monde.

Je me regarde dans le miroir. Je brûle d’envie d’aller de l’autre côté, de saisir les mains de ma vie et de lui murmurer : « Jeune fille du carbonifère, il y a très longtemps que nous patientons. Ce matin, je suis décidée, je te promets que tout va changer, tu n’as plus rien à craindre. La déficience légère, la solitude et la mort sont des mots que les dinosaures n’ont jamais entendus ; pourtant, ils régnèrent sur l’univers pendant cent trente-cinq millions d’années, se gavant de feuillages et de racines d’arbres jusqu’à complet épuisement.[1]

Céleste ne rêve peut-être pas de transformer le monde même si elle a deux ou trois choses qu’elle aimerait changer. Elle réside dans un foyer où des pensionnaires plus âgées semblent étirer le temps. Denise, sa seconde mère, l’aime bien. Il y a aussi le centre où elle retrouve des amis. Un monde où Grise la chatte devient sa confidente, où un gâteau au chocolat est un festin.  

Il y a des mots que je n’aime pas. L’autorité dit que je suis déficiente. Il y a une échelle : léger, moyen, profond. [2]

Des spécialistes ont tranché. Céleste est comme un objet sur une tablette. Une manière de se faire dire que l’on est à part et que l’on ne peut rien décider par soi. Comme si elle était un ustensile dans une cuisine.

Henriette, la déficiente la plus légère d’entre nous, a expliqué son opinion : « Léger, moyen, profond, c’est comme les barreaux d’une échelle. » J’ai 38 ans, Henriette et Rita aussi. Normand en a 45. Voilà, nous avons des problèmes avec une échelle.[3]


Elle vit surtout une peine qui ne la lâche pas. Sa mère est morte et elle se sent terriblement abandonnée. Elle aime croire qu’elle est là, qu’elle vient lui jouer dans les cheveux parfois, l’encourager dans les moments où il ne reste plus que les larmes. Il suffit d’avoir une formule, de savoir la chanter et le fantôme approche, lui fait un clin d’œil dans un tableau. 
Le dessin occupe une place importante dans son quotidien tout comme dans La chanson de Violetta. Il en est souvent ainsi dans les romans de Nicole Houde. Céleste, qui voudrait bien changer son nom pour Céline Dion, est habile avec ses crayons et les couleurs. Elle dessine les gens autour d’elle, des chats, des dinosaures et des cartes de Noël. Elle remporte aussi des prix. Tout passe dans ces petites scènes où l’artiste naïve se demande si son existence a une direction et si son rêve d’un grand lit et d’une maison pour abriter le grand amour est possible. Elle a beau être coincée entre les barreaux d’une échelle, elle vit ce que les hommes et les femmes ressentent.

Questions

Qu’est la vie ? A-t-elle un sens ? Qu’arrive-t-il quand la mort vous saisit ? Et il y a sa soeur, les chats, l’amour que vivent ses amies. Son cœur ne fait qu’un tour devant Victor aux yeux bleus, un homme bâti comme une armoire à glace. Elle étonne aussi les intervenants par sa capacité de lecture. Sa plongée dans L’histoire de Pi a été une aventure et elle pourrait en dire des choses étonnantes. Comment faire autrement quand on a eu une mère écrivaine ? Sa vie va donc entre ses chagrins, ses douleurs, ses espoirs, sa sœur, Alexis et Ondine avec qui elle s’entend plutôt bien. Ils ont peut-être le même âge. Cela ne l’empêche pas d’avoir des entretiens sérieux avec sa sœur Anna qui l’aide à comprendre les sensations qu’elle éprouve quand Victor l’embrasse.
Elle adore ses escales au Jardin botanique de Montréal pour le repos, la beauté, les arbres, les magnolias surtout qui apportent le bonheur et la paix. Le Jardin botanique occupe une place importante dans les romans de cette romancière. Il est un territoire magique où il est possible de croire à la beauté du monde, au pouvoir des arbres et des fleurs, à une présence qui efface tout ce qui est pénible.

Écriture

Bien sûr, cette entreprise tient par l’écriture, une façon unique de dire la pensée de Céleste, Son héroïne ne possède pas une logique cartésienne ou linéaire. Sa pensée circulaire semble aller dans toutes les directions. Mais jamais elle ne s’éloigne de l’essentiel, du vécu, de l’émotion.

Ma sœur est née dans un roman de Tolstoï avant d’être dans le ventre de maman ; là-bas, elle a appris les mots des consolations de Tolstoï. Il y a toujours une bouteille de vodka chez Anna qui ne renie pas ses origines, c’est elle-même qui m’a fait cette déclaration. [4]

La compréhension du monde passe par un imaginaire foisonnant qui ne se préoccupe jamais des balises. Céleste invente une carte de Noël où le diable s’approche ou encore drape Marie et Joseph des habits qu’elle a vus  lors d’un gala à la télévision. La frontière entre le concret, le raisonnable et le rêvé est abolie et lui permet de se consoler avec le fantôme de sa mère, de vivre une formidable histoire d’amour avec Victor, de se buter à la mort comme tous les vivants finissent par le faire. Les petites trahisons, les histoires d’amours impossibles, la mort subite de sa meilleure amie bousculent tout. Céleste fait face avec courage même si elle maîtrise mal ses émotions.
Voilà une âme pure, spontanée qui s’invente des histoires folles où un chat adore une souris. Un monde à l’abri du temps et où tous cherchent la paix, l’harmonie et le bonheur. N’est-ce pas ce que tout humain bien né tente d’approcher ? Ses petits romans sont des délices que j’ai retrouvés avec plaisir tout au long de cette narration. Je les attendais comme un délice au chocolat.
Encore une fois, le lecteur se retrouve dans un milieu peu connu, un univers singulier, mais qui est là avec ses drames, ses intrigues, ses histoires et ses désespoirs. Toujours juste, touchant, beau d’imagination et d’images. On se surprend à aimer cette Céleste de 38 ans qui a su protéger son enfance.
Une œuvre d’une force remarquable, sans faux pas en trente ans. Toujours juste, étonnante, démontrant une empathie pour ceux et celles pour qui le quotidien est un combat de libération. Heureusement, il y a de grandes âmes qui apportent un peu de douceur dans un univers qui serait autrement terriblement cruel. La romancière, encore une fois, se montre attentive à ceux qui n’ont pas de voix dans notre société, ceux que l’on aimerait éviter sur un trottoir quand ils viennent vers vous. Simplement parce qu’ils sont différents, qu’ils vivent autrement, qu’ils disent les choses avec d’autres mots.

La vie pour vrai de Nicole Houde est paru aux Éditions de la Pleine lune.


[1] Houde Nicole ; La chanson de Violetta, roman, 1998, Éditions de La Pleine lune, p.13.
[2] Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions de La Pleine lune, p.11.
[3] Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions de La Pleine lune, p.42.
[4] Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions de La Pleine lune, p.74.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=La%20vie%20pour%20vrai

1 commentaire:


  1. Baie-Comeau, le 4 octobre 2014.



    Bonjour à toutes et à tous,

    J’ai lu «La Vie pour vrai», le tout récent roman de Nicole Houde, publié à la Pleine lune, dans un avion, à trente-trois mille pieds dans les airs au-dessus de l’Atlantique. Pour Céleste, qui a inventé un cordon ombilical, qui la relie au ciel, on ne peut rêver mieux!

    Céleste est une enfant handicapée de 39 ans, dont l’univers est fait de poésie et d’une perspicacité redoutable. Pour avoir nourri une amitié réciproque de plus de trente ans avec Nicole, je sais que Céleste est sa fille.

    Si on ne veut pas passer à côté de ce livre, il faut entrer dans l’univers de Céleste délicatement, du bout des yeux et avec un immense respect. J’ai aimé.

    Je n’ai pas ri, non, mais souvent souri parce que Céleste a une façon d’appréhender la vie, voire de contourner une certaine réalité, avec une intelligence autre et souvent surprenante, dépaysante. Nous rentrons dans un autre pays, dans un autre univers. J’ai aussi été triste. Pourquoi ce fichu Victor, son amoureux, est-il parti en Gaspésie? Il n’y pouvait rien, mais il aurait pu ménager Céleste. Diantre! Et, il y a cet autre départ, vers l'inconnu, celui de Rita morte dans la trentaine, une mongolienne aux becs baveux qui dessine un fœtus dans une chaise berçante, le bébé à venir de Mado, leur éducatrice. Quelle belle image! Elle m’a rappellé une petite fille rencontrée à Cuba. Sur le malecón, elle avait dessiné, sa maman qui attendait des triplés. Un grand rond, avec trois fœtus, rond soutenu par deux petites jambes et surmonté d’une minuscule tête.

    Ce qui m’a le plus séduit, et exaspéré aussi, parce que j’aimerais avoir ce talent, c’est l’inventivité de Céleste, son sens de la poésie. « Je me répands en sourires, au-dedans de moi c’est la fête.» « La joie me traverse de la tête aux pieds et quand Victor me caresse avec ses yeux, ma joie se met à frissonner, puis à venter très fort…» (Page 93) «… l’eau de peine est comme l’eau de mer, un peu salée.» (Page 112) « Je me suis égarée dans le fracas de ma blessure, dans le noir d’un lieu qui ne mérite pas que l’on l’appelle la vie.» (Page 176).

    En contrepoint, il y a la pertinence des propos de Céleste. Une extraordinaire acuité vis-à-vis du monde , affirmée de manière faussement naïve. « Rita et moi, nous sommes pour l’indépendance du Québec : lorsqu’on est indépendant, on n’est pas supervisé.» Supervisé, comme elle, par tous les intervenants des centres spécialisés qu’elle fréquente. Quelle belle analogie! Une acuité vis-à-vis de son état, elle est consciente qu’elle est à la fois une grande et une petite personne, ce qui colore de manière singulière sa relation avec son tout jeune neveu. Cette relation, qui nécessite la définition de l’un par rapport à l’autre, m’a beaucoup intéressé par son authenticité, chacun mesurant et respectant l’autre.

    Enfin, la relation avec sa sœur, laquelle devient, du fait de la disparition de la mère, son substitut, se révèle une lourde mission impliquant amour et générosité.

    Il me faut aussi écrire que j’ai aimé la qualité de l’écriture de Céleste, des phrases courtes, directes, des mots inventés – il arrive à Céleste de «pleuvoir» -; elle use même de mots savants. Toute cette richesse de l’écriture est crédible chez Céleste, parce que celle-ci est une grande lectrice. Elle lit Tolstoï, Anna Karénine.

    Nicole vient de nous offrir un livre d’une très grande humanité. Je ne dirai pas un éloge de la différence, car on ne peut pas effectuer un panégyrique de la différence, on ne peut que la constater. Mais l’auteure a livré un texte émouvant, témoignant d’un profond respect de cette différence.

    C’est beau, La vie pour vrai.

    Veuillez accepter mes meilleurs sentiments.

    P. S. : Je vais inclure ce texte sur ma page Facebook

    Gérard Pourcel




    Gérard Pourcel,
    82, avenue Laurier
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    Courriel : Gpourcel@globetrotter.net
    Site Internet des Éditions de la Pleine Lune : http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=Chroniques%20d%27une%20m%E9moire%20infid%E8le

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