dimanche 13 avril 2014

Geneviève Pettersen frappe un grand coup

Un premier pas en littérature est toujours révélateur d’un univers qui hante l’écrivain. Je pense à La belle bête de Marie-Claire Blais qui attire encore nombre de lecteurs cinquante ans après sa parution. Que dire de Mémoire d’outre-tonneau de Victor-Lévy Beaulieu qui reprenait le mythe de Diogène pour tenter de trouver un homme en ce pays incertain du Québec. De véritables manifestes qui indiquent aux lecteurs où ces nouveaux écrivains se situent et les chemins, peut-être, qu’ils entendent sillonner. La parution de La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen ne peut laisser personne indifférent.

Des adolescents, ceux que nous ne voulons pas voir, ceux qui ne semblent avoir nulle place dans notre société. Combien de fois j’ai pu lire dans le journal que les policiers surveillaient les jeunes près du terminus d’autobus de la rue Racine à Chicoutimi ou qu’ils les avaient dispersés pour qu’ils n’embêtent pas les consommateurs dans les grandes surfaces commerciales. Les adolescents sont souvent condamnés à une forme d’errance avec leurs vêtements particuliers et leurs manières grégaires.
Le temps des gangs, des amitiés, des fêtes qui débordent des nuits, des premières amours, d’une foule d’expériences pour trouver ses limites ; le temps de tous les dangers et de tous les commencements ;  l’affirmation devant des parents qui voudraient avoir tout réglé à leur naissance. La littérature québécoise a beaucoup fréquenté ces jeunes révoltés qui refusent le monde des adultes, coupent les ponts et ne veulent surtout pas devenir semblables à leurs géniteurs. La plus célèbre est certainement Bérénice Steinberg de Réjean Ducharme dans L’avalée des avalés qui refuse viscéralement de devenir une adulte. Vieillir serait mourir par en dedans, pourrir.
Catherine vient d’avoir quatorze ans, réussit très bien à l’école, subit les tempêtes, les affrontements qui déchirent ses parents.

Quand il a fini par maîtriser ma mère, mon père avait la chemise déchirée, un œil au beurre noir pis l’avant-bras qui saignait, comme s’il s’était battu avec un carcajou. Mon père était habitué aux crises à ma mère. Il disait que c’était parce qu’elle avait du sang kawish qu’elle tombait dans les bleus à ce point-là. C’était toujours pareil : ma mère sautait sur mon père, il la laissait s’énerver pis fesser un peu, pis il l’accotait dans un mur pour l’arrêter. (p.13)

Son père s’est imposé dans son métier d’avocat, la mère, un ancien mannequin, vit par l’image. Grande maison, luxe, voiture rutilante pour impressionner les voisins, voyage dans le Sud en hiver et des vêtements signés pour faire tourner les têtes. La « petite bourgeoisie de Chicoutimi et ses petites filles stuck-up » que Guy-Philippe Wells chante.
On comprend Catherine de ne pas vouloir ressembler à ses parents imprévisibles, caractériels qui finissent par se séparer.
Il y a ses amis, sa gang, ceux et celles qui se retrouvent à Place du Royaume. Elle tourne autour des garçons, ne demande qu’à vivre toutes les expériences et être le centre d’attraction.

Monde

Catherine nous pousse dans un monde invisible. Les gangs qui délimitent certains espaces des centres commerciaux, les conflits entre les jeunes des quartiers de la ville et ceux provenant des agglomérations environnantes. Un monde tribal, barbare, instinctif et violent, un milieu que les bonnes âmes refusent de voir, que personne ne peut tolérer.

Ça a commencé à cause qu’un des skateux avait volé la blonde d’un gars de Shipshaw. Les pouilleux étaient montés en ville avec des battes de baseball pis des crowbars. Les skateux savaient qu’ils s’en venaient, parce que le chef des pouilleux, qui s’appelait Jessie ou un autre nom de Canton-Tremblay de même, avait dit à l’amie de la fille qu’il tuerait le gars. (p.29)

 Ils sont surveillés, chassés comme des bêtes indésirables. Les gars se narguent et ne résistent pas au plaisir de se taper dessus.
Catherine découvre la drogue, séduit des garçons et vit sa vie parallèle. Elle s’éloigne de plus en plus de ses parents qui tentent de se refaire une vie de couple.
Les jeunes se réfugient dans les coulées où personne n’ose venir les déranger. Il y a toujours les policiers pour les surprendre et effectuer de véritables raids. Le campe est la solution et les parents comprennent ce besoin. Eux-mêmes s’exilent sur les monts Valin quand c’est possible, et ce douze mois par années avec les motoneiges.

La police voulait pas que les jeunes construisent des campes dans le bois, mais tout le monde s’en sacrait. Impossible de marcher plus qu’une heure dans le bois sans tomber sur un campe. Tous les flots de Chicoutimi pis de Chicoutimi-Nord s’en bâtissaient un pour passer leurs fins de semaine dedans. C’était comme les chalets de nos parents sur les monts Valin mais en plus le fun pis en moins beau. (p.67)

Un monde dur, sauvage, sans pardon, impulsif où on agit en prédateurs. Des expériences suicidaires. Tous semblent chercher la limite où l’univers peut se retourner et les heurter de plein fouet, carburent à la musique qui soulève, emporte, bat comme un cœur incontrôlable. Catherine restera sur la touche quand son ami Keven se suicide. La mort, l’ultime rendez-vous, la dernière confrontation que l’on ne veut surtout pas rencontrer à cet âge. Il faudra une fin du monde, un déluge comme le châtiment infligé par un Dieu vengeur et sans pitié de l’Ancien Testament pour que la jeune fille décide peut-être de se prendre en mains.

C’est là qu’on a su qu’en ville, c’était l’apocalypse. L’animateur disait que la rivière Ha! Ha! pis la rivière à Mars avaient débordé à cause des pluies diluviennes des derniers jours. Ce matin-là, les deux rivières avaient retrouvé leur tracé d’origine pis ça avait créé un torrent de bouette qui avait emporté sur son passage toutes les maisons, les ponts pis les routes. La vielle de La Baie était à moitié détruite. (p.201)

Un roman écrit dans une langue à vous faire dresser les poils sur les bras. Geneviève Pettersen nous pousse dans l’envers du monde, celui que nous refusons, étourdis par nos illusions, nos aveuglements et nos obsessions. Tous fous, hantés, aspirés par cette rage de consommation, pensant tout régler par l’argent. Catherine cherche une réalité plus vraie, plus sentie, plus humaine peut-être mais elle ne peut que basculer dans l’excès. Elle n’a connu que cela depuis sa naissance.
Une société tordue qui s’agite, consomme pour courir derrière un semblant de bonheur, fuir dans la forêt pour se donner l’illusion de renouer avec l’essence de la vie.
Geneviève Pettersen étourdit dans ce premier ouvrage. Absolument dérangeant et percutant. Un coup de poing qui vous laisse sur le tapis.


La déesse des mouches à feu, de Geneviève Pettersen est paru aux Éditions Le Quartanier, 23,95 $.
http://www.lequartanier.com/catalogue/deesse.htm