mardi 10 mars 2015

Faut-il tout risquer pour devenir écrivain

LE MONDE LITTÉRAIRE continue de fasciner même si les lecteurs se font de plus en plus rares. Travail souterrain que celui du porteur de mots, existentiel même, fait de réclusions, de solitude et d’hésitations qui risquent de tout faire détraquer. Il y a aussi le rêve de devenir une célébrité qui fait courir les foules dans les salons du livre et qui provoque des bouchons devant les stands. Plusieurs réussiront à publier un roman ou un recueil de poésie (certains prétendent qu’il se publie trop de livres au Québec) sans provoquer de remous. Le travail qui a demandé des années s’étouffe dans le silence, une déception qui risque de décourager les plus talentueux.

Rien de cela chez Mathieu Arsenault et tout cela à la fois. Son personnage pourrait être tous les écrivains qui rêvent de voir leur nom sur un livre, leur oeuvre dans une librairie ou encore de faire les manchettes d’une revue ou d’un grand journal. Vous savez, l’auteur du mois, celui qui trône dans la liste des succès. C’est la partie clinquante du travail de l’écrivain, une réservée à quelques élus.
La pratique de l’écriture est un choix de vie, une manière de se donner un autre regard, d’empoigner ses jours pour les faire vibrer autrement. L’inverse de ces messages qui circulent sur les réseaux sociaux ou dans les médias. L’écriture repose sur une réflexion qui cherche à comprendre le monde, la vie, des manières d’être et de dire. Il faut aussi parler d’une sorte de quête qui veut cerner celui qui se cache en soi. Être soi contre tous les autres.

…se rendre compte qu’après qu’on a écrit un livre il n’y a pas beaucoup plus que des cérémonies des soirées officielles et des professionnels de la culture le peuple que j’avais imaginé n’existe pas je ne me reconnais ni dans robert lalonde ni dans robert lepage ni dans chrystine brouillet mais au moins j’ai arrêté de me prendre pour hermione granger dans ma cuisine et d’essayer de faire des stupéfix sur le chat je suis fatiguée de communiquer je veux foxer le monde et pisser dans mon bain c’est le jour où il faut dire la couleur de notre brassière sur facebook et je cherche ce qu’est devenu le gars avec qui j’avais gagné le mathémathlon 98… (p.14)

Écrire dans une sorte d’ascétisme, celle d’Anne Hébert qui s’est tenue dans la discrétion toute sa vie ou Gabrielle Roy qui ne cédait aux mondanités qu’à son corps défendant. Il y a aussi Réjean Ducharme qui a choisi l’anonymat le plus complet ou encore un Jacques Poulin qui a écrit une œuvre remarquable dans la plus grande des discrétions. On connaît aussi l’inverse, un Dany Laferrière que l’on retrouve sur toutes les tribunes, tellement qu’on pourrait croire qu’il n’y a pas d’autres écrivains au Québec.

J’étais curieuse et critique et jurée au prix littéraire des collégiens j’étais faite pour rire et chanter dans les camps de vacances je n’aime que la nuit je n’aime que le noir j’aime la photographie et essuie ces larmes en te regardant dans le miroir c’est pas beau une fille qui pleure c’est pas beau une fille qui se plaint c’est pas beau une fille qui constate que les lettres et les libraires sont sur leur déclin… (p.34)

Mathieu Arsenault nous entraîne dans le monde de l’écriture d’une manière tout à fait originale. Le lecteur timide sera certainement désorienté par l’avalanche de mots qui nous tombent dessus. La ponctuation saute, les majuscules et même certains morceaux de la phrase éclatent. Pas comme chez Marie-Claire Blais qui garde une écriture classique malgré une ponctuation inexistante. Mathieu Arsenault suit les méandres de la pensée qui vont dans toutes les directions. Une manière de vouloir tout dire de cet univers qui tourne comme un kaléidoscope. Une belle façon aussi de nous présenter ce personnage qui tend de toutes ses forces vers l’écriture et qui entend tout dire dans une sorte de vertige où la censure n’existe plus. Parce qu’écrire après tout, c’est se dire de toutes les manières possible, emprunter tous les déguisements et renoncer à tout ce qui fait la carrière ou le succès financier.

MONDE

Comment s’attarder à la démarche d’écriture sans glisser dans les clichés. Certains entretiennent des mythes comme Ernest Hemingway ou Yves Thériault, mettent en lumière des déboires, des hantises, des craintes qui expliquent ce besoin de revenir sans cesse sur certaines blessures ou des événements qui ont bouleversé sa vie. Les récits ou l’autofiction sont populaires. Parler de soi pour devenir le sujet de sa création. Marie-Sissi Labrèche en est peut-être le plus bel exemple.
Mathieu Arsenault aime les chemins de traverse. Je le disais en 2004 à propos de son Album de finissants où il donnait la parole aux marginaux qui secouent toujours nos certitudes. Encore une fois, son héroïne ne sera pas une Marie Laberge ou une Kim Thuy qui font courir les foules. Arsenautl préfère une sorte de casse-cou qui risque tout pour réaliser son ambition et qui ne peut vivre que des déceptions et des frustrations. Si écrire, c’est vouloir changer la réalité. La narratrice n’y parviendra guère. La liste des rêves brisés, des espoirs déçus et des frustrations pourrait être longue si on prenait la peine de faire enquête auprès des membres de l’Union des écrivains du Québec. La plupart sont des inconnus. Cela n’empêche pas de croire que l’on va être celui ou celle que l’on va applaudir pendant Tout le monde en parle.
Il suffit de visiter un salon du livre pour constater que pour une vedette, cent inconnus font un exercice d’humilité dans les stands. Et encore, les stars sont de plus en plus celles qui travaillent dans un média comme journaliste ou que l’on voit au cinéma ou dans les téléromans. Il faut maintenant passer par un métier où l’on est vu avant de devenir une figure du monde littéraire.

MANIÈRE

Les balises sautent dans La vie littéraire. Le privé et le public, les problèmes personnels et certaines rencontres amoureuses se bousculent. Comme s’il fallait tout jeter dans un creuset pour que tout se mélange et prenne une certaine forme. C’est fort habile de la part de Mathieu Arsenault. Il est audacieux et particulièrement inventif avec une phrase qui se construit et s’échiffe, éclate et se recroqueville pour porter l’acte de vivre.
Il est difficile d’échapper au soi quand on choisit d’écrire, d’oublier ses préoccupations et ses expériences. À moins d’être un auteur qui répète à peu près toujours la même histoire et qui se contente d’un genre qui accroche. Nous avons cela aussi au Québec, des romanciers qui écrivent comme on va à l’usine sans jamais se mettre en danger et qui répètent le même livre.

Nous en tant que lecteurs nous voulons qu’on nous respecte parce que nos livres nous les payons et nous voulons quelque chose de léger mais de profond de long mais de court de drôle mais de triste de pas de nous mais de mieux d’intense mais de raconté quelque chose mais moi je ne sais que chercher mon chemin dans des morceaux de choses vues et lues et sues sans histoire à laquelle nous raccrocher je ne fais pas d’histoires je serais bonne à marier en robe médiévale dans un champ en été… (p.55)

L’impression que tout glisse, que tout nous avale… Comment devient-on écrivain de nos jours ? Quelle route faut-il prendre pour se glisser dans le monde des livres et des auteurs reconnus ? Faut-il être un personnage ou tout simplement un chercheur qui se perd dans les méandres de la phrase ?
Voilà une tentative étonnante de traduire le monde de l’écriture avec ses couleurs, ses odeurs, ses colères et ses désespoirs. Une désespérance singulière dans un monde toujours à dire et à refaire, un univers à réinventer. Mathieu Arsenault a très bien compris qu’un écrivain ne peut s’affirmer que par l’écriture qui se défait pour se refaire dans une autre dimension. Un court roman à lire très lentement parce que le risque est grand de s’égarer. La vie littéraire n’est pas de tout repos.

Arsenault Mathieu, La vie littéraire, Éditions Le Quartanier, 112 pages, 17,95 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, printemps 2015, numéro 157.