mardi 23 juin 2015

Alain Gagnon étonne dans ce siècle matérialiste


IL FAUT SOULIGNER LE COURAGE d’Alain Gagnon qui tourne le dos au matérialisme de l’époque et questionne la vie dans Fantômes d’étoiles, un « essai sur l’oubli de soi. » Qu’est-ce que l’écrivain cherche à dire dans son trente-sixième volume qui vient de paraître ? Comment oublier le soi, son ego, sa petite personne qui ne cherche qu’à satisfaire des besoins primaires et souvent futiles ? Nous les réalistes et les concrets, comment peut-on aller au-delà des apparences et des images qui encensent le bonheur et l’éternelle jeunesse ? Est-ce qu’Alain Gagnon peut toucher et faire réfléchir ?

Nous vivons dans une époque dites des communications et de la consommation. Nous pouvons discuter avec des gens de partout dans le monde sans avoir à quitter son chez-soi grâce à Internet. Jamais les contacts, les échanges de savoir et de connaissances n’ont été si faciles. Il suffit d’un clic. Pourtant, les gens semblent de plus en plus vivre la solitude, avoir du mal à être avec l’autre. On se perd, on s’épuise, on s’étourdit à accumuler des richesses et des objets qui polluent la planète. Il est aussi facile de remodeler son corps et atteindre un âge que mes grands-pères et mes grands-mères n’auraient jamais imaginé.
L’individu ne se définit maintenant que par les richesses et les biens qu’il accumule. Une époque où des incultes profitent du droit d’expression pour nous gaver de stupidités, de faussetés et de bobards. Que dire de ces radios où les pires obscurantistes sévissent en ressassant les absurdités ? Sont-ce nos maîtres ? Ceux qui tracent la voie ?
Alain Gagnon se demande ce qui arrive aux humains et pourquoi notre société tourne le dos à des millénaires où la pensée questionnait la vie et l’existence humaine, cherchait à comprendre la place de l’homme dans l’ordre cosmique. L’humain n’est-il qu’un animal ou possède-t-il une dimension qui en fait un être exceptionnel ?

AUDACE

Il peut sembler téméraire après Jean-Paul Sartre et Albert Camus de ramener la question de Dieu, du divin qui niche peut-être en l’homme et la femme. Rares sont ceux qui osent maintenant dire qu’ils croient à une essence divine et que l’homme s’affirme en atteignant une autre dimension. Je ne parle pas de la bigoterie d’un Jean Tremblay, maire de Saguenay. Je pense à un questionnement authentique qui relève de la philosophie et de la méditation.
Bien sûr, l’humain doit satisfaire des besoins primaires et perpétuer l’espèce. Pourtant, il y a une forme d’élan en lui qui le pousse vers une dimension où la vie prend une autre signification. Comme si l’humain devait se hisser sur ses épaules pour voir plus loin, savoir à quoi il ressemble quand il oublie ses instincts et qu’il observe avec les yeux de son esprit.

Celui, pour qui la vie se résume à la satisfaction de besoins primaires ou artificiels, s’oublie. Il a dû s’oublier ou se désapprendre, désapprendre ce qu’il est. Il vit en état d’aliénation constant en regard de sa réalité. Et toute notre civilisation conspire à ce qu’il en soit ainsi. Nous vivons dans une civilisation de l’oubli. De l’oubli et de la profonde insatisfaction de soi qui en est conséquente, et engendre la colère contre le monde et contre soi. (p.11)

Alain Gagnon tourne le dos aux modes et aux propos qui flattent l’ego, les faux débats pour réclamer une autre dimension. Le sens de la vie est de chercher par sa pensée et son intelligence à se hisser dans une autre dimension et à habiter peut-être ce que nous pouvons appeler l’âme. Comme s’il fallait muter et emprunter le chemin de la chenille pour devenir papillon, passer du terrestre à l’aérien. La vie serait-elle une mutation ? Je ne connais que Jean Désy parmi les écrivains contemporains pour aborder un tel sujet même s’il diffère d’Alain Gagnon dans son regard.

RÉFLEXION

L’écrivain ne s’attarde pas à décortiquer les obsessions de ses contemporains qui vivent par procuration et cherchent à épouser des images que les médias ressassent. Les moyens de communication valorisent le jouisseur-consommateur qui se moule dans un plaisir où tous cherchent à être le clone du voisin. Rien de cela chez Gagnon. L’humain qui perd son temps à corriger son image fausse son moi et tourne le dos à son essence. La question est autre. C’est là que l’écrivain devient pertinent.

Mais comment ne pas s’inquiéter devant cette technologie qui efface le sens de l’histoire, la nécessité de devenir un humain meilleur dans ses désirs, ses pensées, ses rapports avec les autres ? Pas facile d’être soi en dehors des clichés et des leurres. Nous confions nos connaissances à des nuages ou des disques durs. Histoire, philosophie, réflexions, tout cela dans d’immenses hangars que peu de gens fréquentent. L’humain de demain sera peut-être une coquille vide qui rêve de prendre une bière au sommet d’une montagne ou qui s’autophotographie devant sa voiture.

Les étoiles sont où nous ne les voyons pas. Nous voyons leur fantôme. Nous les voyons scintiller où elles étaient, il y a des millions d’années ou plus. Nous les admirons où elles ne sont plus. Il en est de même du transcendant. Nous ne possédons pas l’équipement mental nécessaire à son appréhension certaine, qui convaincrait jusqu’au dernier humain. Nous tâtonnons, trébuchons comme l’Ermite de la neuvième lame du Tarot, qui porte ce nom. On y aperçoit un homme habillé d’une bure, qui cherche, lanterne tempête en main. Il ne doute pas que l’objet de sa quête existe. Quant à trouver ? Et dans quelles conditions ? Perplexité et scepticisme marquent ses traits. (p.75)

Alain Gagnon ne tourne pas le dos aux religions qui ont hanté les millénaires même s’il sait très bien que ces croyances sont souvent devenues la chasse gardée de dirigeants qui ont accaparé le pouvoir.
Le questionnement est intéressant en ces temps de charte des libertés et de laïcité. Qui est le Québécois ? Quel visage montre-t-il en Amérique ? La question est vaste comme ce pays que nous ne savons pas reconnaître dans ses singularités et ses particularités. Le film L’empreinte, avec Roy Dupuis, fait un pas dans cette direction en tentant de surprendre le vrai visage du Québécois. Où la liberté de l’un empiète sur la liberté de l’autre ? Comment trancher en respectant les notions de tolérance et de partage ?

QUESTIONS

Je ne suis guère attiré par les questions religieuses même si je peux admettre qu’il y a un aspect en nous qui peut échapper au temps et à l’espace. Toutes les civilisations ont tenté de formuler des réponses à cette grande hésitation en présentant des théories sur la vie et la nature de l’homme en oubliant toujours la femme.
Comment expliquer cette appétence qui nous pousse à devenir un meilleur humain dans sa société et son quotidien ? C’est peut-être une question de vocabulaire ou de mots qui m’éloigne d’Alain Gagnon.
Je le répète, cet homme a du courage pour élever la voix et dire ce qu’il croit. Mais qui va l’entendre ?
Maintenant, l’immortalité passe par ces machines qui avalent nos visages, nos voix, nos chants pour nous donner l’illusion de déjouer la mort. Il est encore possible d’écouter Barbara, Léo Ferré et les Doors… Est-ce cela l’immortalité, être figé sur un disque ou séquestré dans une boîte à images ? Que répondre en ce siècle où penser est une perte de temps et surtout d’argent ? Merci Alain Gagnon de sortir des sentiers battus.


Fantômes d’étoiles, essai sur l’oubli de soi d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Broquet, 114 pages, 19,95 $.