mardi 23 août 2016

Daniel Castillo Durante arpente son univers

LES MIGRATIONS FONT en sorte que des femmes et des hommes quittent leur pays d’origine pour faire leur vie ailleurs. Certains sont venus au Québec et font partie maintenant du paysage littéraire. Que ce soit Sergio Kokis, Abla Farhoud, Felicia Mihali, Danny Laferrière ou Kim Thuy, tous donnent une couleur à notre imaginaire et portent des voix qu’il faut entendre. Bien sûr, ils restent marqués par leur pays d’origine, un passé souvent lourd à transcender. Leur univers littéraire est fait de réminiscences, de retour au pays de l’enfance ou encore de la découverte de leur nouvel univers. Les écrivains nés au Québec ne sont pas tellement différents. J’ai abordé le thème de l’enfance dans plusieurs de mes ouvrages. Les plus belles années, Souffleur de mots, Le réflexe d’Adam. Les écrivains deviennent souvent des explorateurs qui partent à la découverte de leur passé.

Les départs et les retours font partie de la fiction de Daniel Castillo Durante depuis la publication de La passion des nomades. Que ce soit dans ses romans ou dans ses textes courts, l’absence du père marque ses fictions. Un sujet éternel puisque dans L’odyssée d’Homère, le fils Télémaque va à la recherche de ce père mythique qu’attend Pénélope depuis des années avec une patience et une fidélité que son mari n’a guère.
Dans Étrangers de A à Z, Daniel Castillo Durante replonge dans ses thèmes de prédilections : la famille, l’errance, les abandons et la fuite du père que le fils veut retrouver pour le meilleur et le pire. Les femmes ont dû s’occuper de ces garçons en manque de références masculines qui se retournent souvent contre elles. Ce sont là des thèmes qu’il aborde dans ses grands romans : La passion des nomades ou Un café dans le Sud. Ce père, quand on réussit à le retrouver, est singulièrement dur et cruel, fuyant et énigmatique. Étrangement, jamais cet abandon ne semble toucher les filles… Bien plus, elles n’existent pas dans l’univers de Castillo Durante. Pas l’ombre d’une fille qui cherche ce père qui a fui le piège de la paternité. Les filles ne comptent pas non plus dans les romans de Sergio Kokis. Elles sont des victimes quand les écrivaines s'attardent à leur situation. Felicia Mihali et Ablad Farhoud l’illustrent magnifiquement bien.
Plusieurs écrivains d’origine sud-américaine ne semblent jamais pouvoir en finir avec le père, même quand on retourne dans les terres de l'enfance pour un héritage. Ce qui est nouveau dans ces récits de Daniel Castillo Durante, c’est la brièveté des textes qui s’approprient toute l’étendue du langage. Et, cette fois, les pères sont là, agissants, souvent méchants et sadiques.

Or, pourquoi avoir ouvert son iPad Air au lieu d’admirer la façade rose de l’église La Parroquia sous les derniers rayons du soleil au cœur de la ville coloniale ? L’étouffement économique de son fils déclenchait chez lui une sorte de jouissance vindicative dont il avait de plus en plus de mal à se passer. À force de retenir les cordons de sa bourse, les plaisirs de papa ne pouvaient plus être que sadiques. (p.23)

Castillo Durante reprend ce thème comme un musicien qui s’attarde à un motif et en explore toutes les subtilités. Chaque essai lui permet de trouver un angle nouveau et des reflets restés dans l’ombre. Une sorte de quête qui lui permet de dresser la carte de son univers et de mieux la parcourir même s’il risque de se répéter et d’emprunter souvent les mêmes sentiers. L’important étant de connaître toutes les dimensions de son univers de fiction, de découvrir les frontières de son imaginaire.

ABANDON

Les histoires d’amour surgissent tôt, au sortir de l’enfance souvent, durent le temps d’un rêve ou d’une étreinte sexuelle. Un rêve éphémère et souvent cruel. Les jeunes femmes se retrouvent enceintes et le bel amant prend la fuite, part dans le vaste monde ou s’installe avec une autre, plus belle, plus riche. Les jeunes mères se débrouillent en effectuant des travaux comme servante ou domestique, deviennent souvent des prostituées. C’est le cas chez Sergio Kokis. Après avoir rêvé d’être la seule et l’unique, elles doivent effectuer les corvées les plus humiliantes. Chez Castillo Durante, comme chez Kokis, les femmes n’obtiennent un statut social que par l’homme, le mâle qui a tous les droits et les privilèges.
Brisée, humiliée, abandonnée par sa famille, sans espoir, aigrie, elle devient acariâtre et vindicative, pousse le fils à soutirer de l’argent au père pour améliorer sa propre situation. L’enfant est manipulé et reste tiraillé entre les parents. Certains en profitent, d’autres pas. Les fils tentent de trouver un sens à leur dérive intérieure, la pire, celle que l’on ne peut jamais arrêter.

Ce fut en mettant le pied à terre que je reçus le premier coup de poing sur mon épaule gauche. J’essayai de repousser mon frère, mais il se mit à m’asséner des coups de poing au visage que je m’efforçais d’esquiver tant bien que mal. Père qui assistait à la scène demanda à mon frère de m’entraîner vers la rivière afin que le bruit de l’eau se heurtant contre les pierres étouffe mes cris dont le registre aigu lui rappelait sans doute ceux de maman. (p.43)

Extrêmement troublant le portrait qu’esquisse Castillo Durante des hommes et des femmes. Leurs travers prennent d’autant plus d’importance dans ces courts textes (il y en a soixante-trois) qu’il ne vous laisse jamais le temps de reprendre votre souffle. Une véritable mitraille qui frappe en pleine poitrine. J’ai dû interrompre souvent ma lecture, ayant l’impression de vivre une agression. C’est peut-être le problème de ces récits très brefs qui reprennent sans cesse un même sujet. La charge est sans pitié.
Un peu étourdissant, mais en même temps une sorte d’exorcisme qui laisse le lecteur, tout comme l’écrivain, j’imagine, un peu abasourdi. Des reprises, des recommencements pour mieux sentir les obsessions venues de l’enfance, d’un monde extrêmement polarisé où il n’y a jamais de partage entre les hommes et les femmes.
Daniel Castillo Durante ne cesse de parcourir cette enfance qui le hante, oscillant constamment dans ses romans entre le Nord où il fait sa vie et le Sud qui a marqué son imaginaire. C’est peut-être la punition des migrants que de devoir transporter une histoire terrible sans jamais pouvoir s’en débarrasser. Ils resteront des étrangers dans le pays d’adoption et le pays d’origine. Une situation difficile qui fait des personnages de Daniel Castillo Durante des errants, toujours en quête d’un ancrage, d’un père qui ne cesse de fuir et de décevoir. L’œuvre de cet écrivain nous donne souvent à voir l’envers du monde. Ils ne s’attardent guère au Québec et parcourent les continents sans jamais arriver à s’arrêter. Il y a une étude fort intéressante à réaliser sur cette dérive qui marque les œuvres des écrivains migrants. Ils sont des fantômes, des survenants qui ne peuvent jamais s’installer. C’est peut-être une condamnation ou une fatalité. Comment savoir ?

ÉTRANGERS DE A À Z de DANIEL CASTILLO DURANTE est paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.

Une version de cette chronique est parue dans Lettres québécoises, numéro 163.

PROCHAINE CHRONIQUE : Télésérie de HUGO LÉGER paru chez XYZ Éditeur.

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