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lundi 26 juin 2006

Larry Tremblay ne fait rien comme les autres

Larry Tremblay n’arrive jamais à être banal quand il se faufile du côté du roman ou du récit, s’aventure sur une scène comme comédien, auteur ou metteur en scène. Tout est possible avec lui, même quand il bascule du côté de la poésie. Il étonne dans tous les volets de la littérature par son originalité et sa justesse.
Que d’expériences depuis ses premiers pas de kathakali au mont Jacob de Jonquière. Il revenait alors de l’Inde. Comment oublier «Provincetown Playhouse» où il se débattait dans un texte suffocant. Tout de blanc vêtu, il martelait les phrases de ses pieds nus sur le bois du plancher. Prisonnier d’un texte que le spectateur pouvait lire sur les murs de la «Maison carrée» de Chicoutimi, le comédien exprimait par son corps la parole de Normand Chaurette.
Comme bien d’autres, il a voulu aller de l’autre côté du parc des Laurentides. Il y avait Montréal, l’Europe, particulièrement l’Italie. Qui peut oublier «The Dragonfly of Chicoutimi» et l’ultime représentation de Jean-Louis Millette au Petit théâtre de l’Université du Québec à Chicoutimi? Ou encore «Le ventriloque», cette pièce gigogne présentée récemment en traduction à Toronto et qui nous entraîne dans des univers troublants.
Larry Tremblay s’est même permis une escapade parmi les finalistes du Prix du gouverneur général avec «Le mangeur de bicyclette», un roman qui contient des pages d’une beauté voluptueuse comme le Saguenay en juillet. Un roman tellurique qui bouscule les époques et les espaces.

Récits

«Piercing» vient de paraître chez Gallimard. J’ai parlé de ce récit dans «Lettres québécoises». J’avais lu également «Anna à la lettre C». Deux rééditions qui complètent la trilogie. «La hache» vient de faire l’objet d’un spectacle mis en scène par l’auteur à Montréal.
Ces trois récits fouillent les pulsions qui poussent les êtres les uns contre les autres comme les vagues sur des rochers. «La hache» aborde l’obsession du désir de contrôle. Un texte incantatoire qui envoûte le lecteur. Il faut voir comment il retourne la crise de la vache folle. Un symptôme et un symbole collectif d’une pensée inquiétante, à la frontière de la mort et de la vie.
«Piercing» nous fait suivre Marie-Hélène, une adolescente qui s’échappe de Chicoutimi à la mort de son père. Dans les rues de Montréal, elle suit des garçons qui se prostituent et obéissent aux «suggestions» de Serge, un maniaque du piercing. Elle n’y échappera pas.
Encore là un désir de contrôle et de domination, une fascination pour la pureté qui mène à la mutilation physique. Larry Tremblay empoigne les forces sourdes qui justifient les guerres et les idéologies qui nient les individus.
«Mon cerveau produisait ces idées mensongères pour m’éloigner de boulevards autrement plus dangereux, pour m’empêcher de réaliser à quel point j’étais devenu moi-même plus dangereux que les inconnus qui frappent au hasard quand la nuit plonge les visages dans l’étonnement et l’horreur, plus dangereux que ces jeunes que je voulais à tout prix mépriser et rendre responsables de la décadence du monde parce que l’odeur de leur vie tourne la tête, parce que leurs regards pardonnent rarement, parce que leurs corps s’ajustent plus facilement aux rythmes brutaux mais essentiels de la pensée jaillissante, débarrassée de lourdeur, de répétition, de manie…» (p.15)
 
Actualité

Larry Tremblay est un grand dramaturge et un écrivain formidable, peut-être l’un des plus originaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Un créateur important qui bouscule les ruses de la pensée, le langage des corps dans une société malade de ses excès et de ses rêves. On pourrait s’attarder à son écriture qui devient vite incantatoire et troublante. Il demeure un explorateur, un penseur, un écrivain unique et surtout, un éveilleur de conscience.
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean lui a rendu hommage en 2000. Une fête pleinement justifiée.

«Piercing» de Larry Tremblay est publié chez Gallimard.

samedi 14 décembre 1996

L’insoutenable solitude de l’être humain

Depuis ses premières publications, Larry Tremblay explore l’insoutenable solitude des humains, que ce soit dans ses récits, ses œuvres théâtrales ou le roman. L’impossibilité de communiquer peut aussi être un fil qui permet d’aller d’une publication à l’autre sans s’égarer chez cet auteur. Une œuvre d’une remarquable densité.
Dans «Piercing», un professeur de littérature perd le fil de sa vie et cherche la solution définitive; une adolescente s’extirpe de la médiocrité familiale et ne sait éviter les pièges de l’amitié et des manipulateurs. Une femme jongle avec les mots et les définitions sans pour autant échapper à une vie parfaitement ennuyeuse.
La communication, la complicité entre les êtres est difficile chez Tremblay. Tous sont avalés par les gestes du quotidien, brisés et désarticulés par un idéal inatteignable. Même les élans de liberté et de création éclatent en mille morceaux. Reste la résignation ou la mort si on se montre plus téméraire.

Obsession

Ce désir de s’arracher à tous les encerclements, pour toucher l’autre, obsède les personnages de Tremblay. Tous cherchent à casser des habitudes qui étouffent et écrasent. Le créateur s’immole dans un délire de totalitarisme, la jeune fille baisse les bras devant un gourou. Elle n’a pas vingt ans la Marie-Hélène de «Piercing» et elle a épuisé toutes les révoltes. Tout comme Anna qui n’arrive pas à casser le moule des définitions pour être un corps exultant dans le désir de l’amour dans «Anna à la lettre C.».
Larry Tremblay cherche l’autre côté du miroir, les noeuds qui compriment à la fois l’esprit et le corps. On se heurte aux mêmes attaches dans «Le mangeur de bicyclette», un roman qui s’est retrouvé parmi les finalistes du Prix du Gouverneur général.
«L’homme lui fait mal. Anna pense: j’ai mal, je hais, moi, feu, je travaille demain, me lever, il fait trop chaud pour vivre, je hais l’été, je, je ne suis pas vivante, il n’y aura pas de pluie, pas de pluie, pas de pluie…»  (p.156)
Larry Tremblay reste un sonneur de carillon qui prouve que la littérature est plus que jamais essentielle dans cette société qui a égaré toutes les boussoles. Il ne formule pas beaucoup de solutions, mais les questions demeurent importantes. La condition humaine étant, peut-être, de marcher vers l’insaisissable petite flamme qui oscille tout au fond de la nuit.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Gallimard.