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vendredi 6 janvier 2017

Anaïs Barbeau-Lavalette recherche sa grand-mère

SUZANNE MELOCHE ÉTAIT du groupe qui a signé Le Refus global en 1948 sous l’instigation de Paul-Émile Borduas. La jeune femme, née à Ottawa, découvrait des créateurs, trouvait une liberté qui la fascinait et la stimulait. Elle a épousé le peintre Marcel Barbeau à vingt ans, a eu deux enfants, s’est vite sentie piégée par la vie de mère et d’épouse. Elle voulait faire de sa vie une aventure et a tout quitté, abandonnant enfants et mari pour s’exiler à New York. Elle a écrit, peint et repoussé tous les carcans, a connu des aventures amoureuses, est demeurée farouche et s’est retrouvée souvent seule. Anaïs Barbeau-Lavalette part à la recherche de cette grand-mère énigmatique, celle qui a toujours fui, qu’elle déteste et qui a tant fait souffrir sa mère Manon.

La femme qui fuit est paru il y a plus d’un an. En 2015 pour être précis. Je l’ai déjà écrit, je me méfie des ouvrages encensés par tout le monde. Parce que souvent, à la lecture, je suis déçu. Danielle, ma compagne, répétait que c’était excellent, que je négligeais un très bon livre. Plus qu’un roman même.
En cette période des Fêtes où les nouveautés se font rares, je me suis décidé. Peut-être aussi que la présence de l’auteure à l’émission Tout le monde en parle m’a convaincu. Oui, j’écoute l’émission de Guy A. Lepage, enregistre le tout et saute l’humoriste imposé, celui qui ne me fait jamais rire. Dans l’ensemble, les propos de certains invités attirent mon attention.
La femme qui fuit est un roman courageux qui nous plonge dans une époque importante du Québec. Suzanne Meloche vient d’une famille d’Ottawa qui a vécu durement la crise des années trente. Son père, instituteur, a dû arracher des pissenlits pour faire vivre sa famille. La jeune femme participe à un concours d’art oratoire à Montréal et l’emporte devant le favori, nul autre que Claude Gauvreau, le poète que nous connaissons pour sa poésie exploratoire et ses pièces de théâtre déroutantes. Il sera l’un des héros de Victor-Lévy Beaulieu dans Bibi où le personnage est interné avec d’autres figures improbables. Il rumine sa révolte, fonce dans les murs comme un orignal aveugle. Un poète qui a marqué son époque.

Tout de toi raconte maintenant une ère nouvelle. Tu te tiens droite, et malgré ta peau diaphane, on a l’impression que tu viens d’inventer le monde. Tu évoques les possibles et c’est bouleversant que quelque chose d’immense et d’invisible naisse d’une présence effilée comme la tienne. Tu termines. On se lève et t’ovationne. Le jeune homme à la chute savamment contrôlée vient te féliciter. De près, il a encore l’air de tomber. Il se présente : Claude Gauvreau. Il t’invite à passer la soirée chez des amis. Ravie, tu acceptes. (p.81)

Tout commence alors pour Suzanne Meloche.


REFUS GLOBAL

Paul-Émile Borduas pousse les jeunes artistes à se surpasser et à faire éclater les frontières. Suzanne croise Jean-Paul Riopelle, Marcel Barbeau, Marcelle Ferron, Claude Gauvreau et Murielle Guilbault. Tous rejettent les carcans de l’époque et veulent se mettre à l’heure de l’Europe et des mouvements d’arts contemporains. Suzanne, ce n’est pas celle de Léonard Cohen, découvre la liberté et l’audace, ose des petits tableaux, donne la réplique à Gauvreau qui bouscule toutes les normes et plonge dans ce que l’on nommera l’exploréen, une langue inventée qui devient un véritable vertige sonore. Une entreprise folle et souvent mal comprise, une manière de dire qui horripilait Jacques Ferron.
La belle et audacieuse Suzanne est attirée par Marcel Barbeau, un peintre qui n’est pas celui que l’on remarque le plus dans les rencontres où l’on discute en grillant des cigarettes, attendant les verdicts du maître Borduas.
L’amour, les enfants viennent. La carrière de Barbeau tarde à lever. Borduas perd son emploi à l’École du meuble et voit sa famille se disloquer. C’est la misère, celle que Suzanne a voulu fuir en quittant Ottawa. Elle ne peut abdiquer, piétiner ses rêves même si elle aime ses enfants. Un hiver plutôt rude et éprouvant à la campagne la convainc de partir.

MOMENT

La même année que la parution du Refus global, un jeune homme de Saint-Félicien lance un recueil de poésie qui en fera l’un des poètes les plus importants de sa génération. Paul-Marie Lapointe publie Le Vierge incendié grâce à Claude Gauvreau. Ce poète est originaire du même coin de pays que moi et son frère m’a enseigné à Saint-Félicien au secondaire. Il ne participera pas aux activités du groupe cependant.
Suzanne écrit, peint, mais on ne la prend guère au sérieux. Les femmes font face à des hommes qui retrouvent souvent leurs réflexes même s’ils cherchent une autre façon de dire et de vivre.

Borduas s’approche alors du cercle. Il jette un œil à l’encre de Marcel qui, sous tension, se suspend à ses lèvres. Puis il te regarde. Tu soutiens son attention. Tu dis que tu trouves ça beau. Que tu as très envie de te coucher dedans et de te faire avaler. Borduas rit. Un rire sobre et spontané. Ça semble rare, car tout le monde reste d’abord choqué, avant de se donner la permission d’en faire autant. (p.84)

La fatalité biologique bouscule les rêves. Les moyens de contraception n’existent pas alors. Un enfant, ça retourne le corps et change le quotidien. Un petit être qui exige tout de Suzanne, une petite fille qu’elle nomme Mousse, qui deviendra la mère d’Anaïs. Un fils aussi.
Suzanne n’en peut plus de sa vie de misère pendant que Marcel tente sa chance à New York. Ce n’est pas ce qu’elle voulait en migrant à Montréal. Elle a l’impression de basculer dans la vie de sa mère qui a renoncé au piano pour s’occuper des siens. Elle veut vivre sans avoir à plier devant les obligations et les devoirs.
Elle part aux États-Unis, participe à la marche historique pour l’égalité des Noirs, vit bien des péripéties et des amours. Elle publiera ses poèmes des années plus tard et vivra en marge, défendant farouchement sa liberté, repoussant tous les rapprochements avec ses enfants. Elle reste une sauvage, fait des efforts terribles pour s’affirmer et protéger son indépendance. Une indomptable. Peut-être la plus radicale du groupe des automatistes.

LIBERTÉ

Anaïs Barbeau-Lavalette reconstruit la vie de sa grand-mère à partir de ses lettres et de la documentation qu’elle trouve dans l’appartement d’Ottawa où Suzanne a fini ses jours. Une véritable enquête pour comprendre cette femme mystérieuse. L’écrivaine et cinéaste découvre une figure qui lui plaît malgré les souffrances qu’elle a infligées à sa mère. Elle comprend sa vie difficile, ses frustrations parce que dans le groupe des automatistes, elle n’a jamais compté. Elle était la femme de Marcel Barbeau.
Je pense à ce moment terrible où Suzanne peint un grand oiseau qui porte son désir de liberté. Marcel s’empare de sa toile. C’est brutal, douloureux. Terrible.

Quand tu rentres à la maison, tu trouves Marcel en train de peindre. C’est âpre et ardent. Tu t’apprêtes à lui annoncer que ses toiles reposent dans le bureau du directeur du Musée des beaux-arts. Quand, sous les éclats cyan et magenta, tu décèles l’aile rouge de ton oiseau. C’est tout ce qu’il reste de son envol momentané. Marcel te dit simplement qu’il manquait de toile, qu’on doit les compter, qu’elles sont denrées rares. (p.174)


Plusieurs tragédies secouent les amis. Le suicide de Murielle Guilbault et de Claude Gauvreau qui ne s’est jamais remis de la mort de son amoureuse, le départ de Borduas pour la France. L’histoire secoue chaque phrase. Des rencontres lumineuses comme celle de Marcelle Ferron ou encore l’ombre de Jean-Paul Riopelle qui s’envole vers la gloire.
Une écriture minimaliste. C’est quasi un scénario tellement le roman est concis, fait de courtes scènes qui se succèdent comme des miniatures. L’histoire d’une femme fascinante, mais aussi d’une époque. Un regard émouvant et d’une justesse qui coupe le souffle. Il y a tout pour faire un film de cette histoire, raconter cette époque mal connue et importante dans la psyché québécoise. Un roman à lire absolument.
Tout de suite après, je me suis tourné vers la correspondance de Marcelle Ferron pour avoir un autre point de vue sur cette période qui marque la modernité et la liberté d’expression au Québec.
Peut-être que je vais être moins méfiant dorénavant quand on louange un ouvrage. La femme qui fuit mérite l’attention qu’on lui porte parce que c’est un récit magnifique, une plongée dans la vie d’une femme qui a assumé sa liberté sans faire de compromis et qui en a payé un prix terrible. Elle n’a jamais eu la reconnaissance qu’elle aurait pu avoir. Personne n’a respecté ce qu’elle était, le talent qu’elle avait. Peut-être que nul ne lui a pardonné sa fuite. Une tragédie.
La liberté dans le cas de Suzanne Meloche a été un poids terrible à porter. Il était temps qu’on lui rende justice et Anaïs Barbeau-Lavalette le fait magnifiquement.

LA FEMME QUI FUIT d’ANAÏS BARBEAU-LAVALETTE est publié chez LE MARCHAND DE FEUILLES.


PROCHAINE CHRONIQUE : Le droit d’être rebelle de MARCELLE FERRON, paru aux ÉDITIONS du BORÉAL.



dimanche 23 décembre 2012

Éric Dupont est un romancier remarquable


«La fiancée américaine» d’Éric Dupont est un merveilleux roman à dévorer absolument avant qu’il ne séduise les lecteurs du monde entier. Voilà, une fresque exceptionnelle dans la littérature québécoise par son sujet, son imaginaire, ses dimensions et ses rebondissements. Ce livre échappe à toutes les balises, survole le siècle dernier en passant par l’Amérique et le monde. Une lecture qui m’a subjugué pendant deux semaines, incapable que j’étais de quitter les Lamontagne. Un émerveillement pour tout dire.

Rivière-du-Loup, début du siècle dernier. La famille Lamontagne connaît une vie tranquille jusqu’à ce que Louis-Benjamin épouse Madeleine l’Américaine. Il le faut, pour maintenir la tradition.
«Madeleine Lamontagne — dite Madeleine-la-Mére, mère de Louis-Benjamin Lamontagne, grand-mére, pardon, grand-mère de Louis Lamontagne et arrière-grand-mère de Madeleine Lamontagne — avait souhaité que son fils Louis-Benjamin, né le 14 janvier 1900, épousât comme son père une Madeleine.
— Les Lamontagne, y leur faut une Madeleine par génération, avait-elle clamé.» (p.16)
L’arrivée de cette petite femme fragile qui sait mijoter des plats que personne ne connaît transforme la famille. La naissance des jumeaux, un 25 décembre dans l’église Saint-François-Xavier, prend des couleurs bibliques. La pauvre Madeleine y laisse la vie au grand désespoir de Louis-Benjamin qui ne peut envisager l’avenir sans elle.
Le bébé survivant, un autre Louis, deviendra un homme fort et un citoyen respecté après avoir réalisé de nombreux exploits aux États-Unis et vécu la guerre en Europe. À son retour, après avoir épousé Irène Caron, il exerce le métier d’embaumeur. Les morts attendent dans le salon et «vivent» avec la famille pour ainsi dire.
«Louis et Irène avaient aménagé un petit salon avec des fauteuils et des chaises où parents et amis pouvaient s’asseoir en attendant la prière, discuter et boire un café que leur servait Irène avec quelques biscuits secs. Madeleine-la-Mére, présente à presque toutes les funérailles, devint la clé de voûte du succès de l’entreprise de Louis. Elle se prêtait avec une patience infinie à l’interrogatoire des parents attristés sur toutes les affaires entourant le trépas. Est-ce douloureux? Pas plus que l’enfantement. Est-ce vrai qu’on voit une lumière au bout d’un tunnel? Non, on ne voit rien, surtout si ça se passe le soir. Entend-on en vérité un chœur d’anges? À moins de mourir pendant la messe comme ma première bru, non. Seriez-vous prête à mourir une seconde fois, la Mére? Naturellement. Mourez tranquilles! J’ai adoré l’expérience et je la recommande à tout le monde, mais il faut laisser les choses venir en leur temps.» (p.117)
Madeleine-là-Mére est morte, mais elle continue de hanter la famille et de se mêler des affaires des vivants. On peut tout oser dans un roman. Dupont ne se gêne pas.
Madeleine, la fille d’Irène et Louis, la troisième du nom, aura également des jumeaux. Une autre caractéristique de la famille. Ses fils s’illustreront à leur manière. Michel deviendra chanteur d’opéra et Gabriel, la réincarnation de son grand-père Louis, professeur d’éducation physique. Un séducteur qui collectionnera les conquêtes et certains livres qu’il dérobe à ses amoureuses.
Tout cela en passant par Montréal, Toronto, New York, l’Allemagne et l’Italie. Dupont ne s’embarrasse d’aucune frontière.
 
Continent

Comment cerner ce roman vaste comme un continent? Le phénomène des jumeaux, des couples peut-être... Ils s’attirent, se repoussent, ne peuvent être l’un sans l’autre. Madeleine et Solange, la voisine, deviendront des inséparables. Tout comme la religieuse Marie-de-l’Eucharistie et sa sœur tuée à Nagasaki au Japon lors de l’attaque américaine. Michel et Gabriel n’arrivent pas à couper les liens même s’ils ne cessent de se vilipender.
Les Lamontagne ont des ancêtres allemands, une famille parallèle que Gabriel retrouve par hasard à Berlin. Magdalena Berg a vécu le pire comme le meilleur. Deux branches d’une même famille qui ont évolué des deux côtés de l’Atlantique.

Aventure

J’ai adoré ce monde réaliste et invraisemblable, me suis laissé happer par un récit qui échappe à tout ce que j’ai lu au Québec. Voici un romancier rare qui possède un pouvoir d’évocation formidable. Un conteur né, un fabulateur que rien ne fait reculer.
L’aventure nous fait passer de la littérature orale à l’époque contemporaine. Tout cela avec en trame de fond «Tosca» de Giacomo Puccini, drame de passion et de jalousie, de mort et de vengeance.
Un joyau qu’il faut lire à petites doses pour savourer toutes les dimensions d’une équipée littéraire étonnante et unique. Un plaisir rare pour le lecteur.

«La fiancée américaine» d’Éric Dupont est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

lundi 15 août 2011

William S. Messier explore le quotidien


Que voilà des récits étonnants et séduisants! William S. Messier, dans «Townships, récits d'origine» nous entraîne dans les Cantons-de-l’Est pour y faire des découvertes étonnantes.
Le narrateur s’égare dans un puzzle inextricable de chemins et de routes. Une manière de surprendre des villages discrets, des hommes et des femmes qui vivent en marge du monde.
 «Sainte-Cécile-de-Milton doit être la ville la moins bien définie des Cantons-de-l’Est. Le genre de village qu’on traverse d’une limite à l’autre avant d’avoir fini de prononcer le nom au complet. Comme Saint-Cyrille-de-Wendover ou n’importe quel autre Saint-Quelque-chose-de-Quelque-chose-d’autre ; des noms de villages qui ne deviendront jamais des noms de grandes métropoles.» (p.12)
Il suffit pourtant de s’arrêter à un relais et l’étrangeté s’approche le sourire aux lèvres. Dans «Cantine 12, Sainte-Cécile-de-Milton», le narrateur fige devant des serveuses siamoises.
«Puis, je les ai vues passer de l’autre côté du comptoir, toujours collées. Les deux sont allées à la cafetière. Une a ramassé une tasse sur l’étagère, l’autre y a versé du café. Et les deux avaient la main dans la même poche du tablier de celle qui versait le café – je ne sais plus si c’était Lina ou Diane. Une des deux a remarqué  que je les fixais.» (p.14)
Elles sont soudées par le petit doigt et semblent s’accommoder parfaitement de leur situation.

Art

Le merveilleux accompagne souvent les gens qui vivent simplement et qui n’apparaissent jamais aux nouvelles télévisées. Le fabuleux se niche là où on ne l’attend jamais.
«Il avait une bosse en dessous du bras qu’il cachait avec une espèce de linceul. C’était le fœtus semi-vivant de son frère jumeau François-Claude Bouchard. Il lui mettait toujours un linceul ou une nappe ou un foulard ou une napkin ou un drap ou quelque chose, parce que sa peau était très sensible au soleil. Il le nourrissait avec du beurre de pinottes qu’il ramassait autour de son pouce. Quand tu voyais Charles-Arthur Bouchard se promener avec une main en dessous du linceul, dans l’aisselle, accotée sur la bosse, tu pouvais être certain qu’il y avait au bout de cette main-là une bouche de fœtus semi-vivant qui se tétait un snack.» (p.70)
Des souvenirs d’enfance, des découvertes, des initiations à l’amour, des pertes aussi quand il se souvient du jour où il a appris la mort de Gerry Boulet. Une belle flânerie qui permet d’écouter une émission de radio en parcourant un rang d’un bout à l’autre ou encore un match de hockey qui ressemble à un combat extrême.
Des surprises qui se cachent dans la vie de tous les jours et surtout une écriture qui frappe à grands coups de marteau. Un écrivain attentif aux gens, sensible à la géographie qui forge peut-être les individus. Un humour incomparable. 

«Townships, récits d’origine» de William S. Messier est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

http://www.marchanddefeuilles.com/marchanddefeuilles_038.htm

vendredi 7 septembre 2007

Suzanne Myre a trouvé une bonne recette

Suzanne Myre a fait une entrée remarquée en littérature en plongeant dans des textes mordants, enrobés d'humour, marqués par un cynisme qui malmène ses contemporains. Un ton, un style qui plaît en ces temps où l'humour corrompt tout avec plus ou moins de discernement. Comme si elle avait dépoussiéré l'approche Saïa en tentant de lui donner une patine personnelle et plus raffinée.
Il suffit de soupeser son dossier de presse pour croire que nous avons trouvé l'écrivaine du siècle ou presque. Attiré par cette agitation, je me suis aventuré dans ces textes pour être déçu rapidement. Que ce soit dans «Humains aigres-doux» ou «Nouvelles d'autres mères».
Les commentateurs, il me semble, en ont trop fait avec cette écrivaine. Il arrive que des auteurs soient nettement surévalués par certains médias.
Bien sûr, au début, cette prose parsemée d'humour et d'humeur, un peu baveuse même, plaît. Elle butine sur tout ce qui fait mode et actuel. Des sourires dans les premières phrases mais après quelques pages, on s'impatiente. À la fin, on referme le livre en se demandant ce qui est arrivé.

Recette

Suzanne Myre a trouvé une recette qu'elle étale d'une nouvelle à l'autre. Un personnage revenu de tout, une femme dans la trentaine, un ton et un cynisme qui n'épargne rien. Jeux de mots qui tombent à plat très souvent. Comme si l'auteure faisait le pari de toucher à tout dans une sorte de goinfrerie un peu dérangeante.
«- Ça m'étonne que ta langue accepte de suivre ton cerveau et de dire autant de bêtises. À sa place, je me suiciderais en m'éjectant de ta bouche. Bon, il faudrait que j'ajuste l'appareil à ton poids, ça me prendra quelques minutes.» (p.138)
Comme cela dans toutes les nouvelles, peu importe le personnage qui nous pousse à le suivre. Des dialogues plaqués et gonflés aux hormones!

Le peignoir

Son dernier recueil offre six nouvelles. Le texte principal, «Le peignoir», coiffe le livre. Nous y retrouvons la narratrice qui râle sur la vie, l'amour, la bouffe, les hôtels, ses orgasmes, son chum, les jeunes, ses poils et les femmes mûres qui tentent une cure de jouvence. Un milieu propice à toutes les moqueries. Le propos est sans pitié. Une fois que l'on a saisi la manière Myre, on ne peut que hausser les épaules...
Bien sûr, il y a un certain effort pour donner du poids à ses personnages mais elle ne parvient jamais à les lester vraiment. Des hommes cartes postales et des femmes qui n'ont guère plus d'intérêt.
Madame Myre répète ses figures imposées sans vraiment prendre le risque de plonger dans le mal être de son personnage par crainte, peut-être, de se perdre dans le vide. Même les finales de ses textes, qui tentent de pousser le lecteur dans une dimension plus introspective, tombent comme un pavé dans la mare. Que dire de ce texte loufoque d'une excursion à la campagne qui reprend cliché après cliché. «Le moustique erre» a failli me faire abandonner ma lecture.
«Pour m'éviter d'interminables discussions post-coïtales, je poussais quelques gémissements dans le ton de ceux qui l'ont toujours rassuré sur ma faculté de m'abandonner à lui. L'utilisation de vocalises judicieuses en période de stress, si cela peut éviter la panique et ménager la sensibilité de l'homme, pourquoi pas?» (P. 59)
Voilà une habile technicienne qui lasse rapidement. Il faut plus de poids, plus de senti pour donner à ce genre d'entreprise une aura humaine, dérangeante et un peu déstabilisante. Suzanne Myre se contente de patiner à la surface.
Véritable littérature jetable, écriture qui ne lève à peu près jamais, images et jeux de mots prévisibles. Cette jeune auteure m’a déçu. Plutôt désolant.

«Le peignoir» de Suzanne Myre est paru aux Éditions Marchand de feuilles.