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dimanche 21 mars 2010

Alain Gagnon met cartes sur table


Les carnets et le journal, pour un écrivain, s’avèrent un risque. Sa pensée et son vécu deviennent écriture et matière à réflexion. C’est ce qu’ose Alain Gagnon dans «Le chien de Dieu», des carnets écrits entre les années 2000 et 2004.
 Cet écrivain solitaire et un peu irascible n’y va pas par quatre chemins. Il met les cartes sur table dès le début.
«Toute ma vie, toute mon écriture, j’ai pisté Dieu sans relâche sous toutes ses formes, toutes ses apparences, dans l’espoir de découvrir le Dieu sans nom. C’est ce que révèlent de moi à moi ce journal, et plusieurs des autres ouvrages que j’ai écrits», explique-t-il.
On pourrait parler de conscience qui échappe à la matière et au temps ; d’un souffle qui pousse l’espèce humaine vers une forme d’accomplissement.
«La personne est un ostensoir. De vil métal, mais en transmutation constante. Un pont entre deux conditions d’existence, pour paraphraser Nietzsche.» (p.58)
L’auteur de «Sud» et de «Thomas K» ne peut oublier la société et les événements qui font les manchettes et s’indigne devant un appareil étatique de plus en plus interventionniste, le «totalitarisme soft».

Le fleuve

L’écrivain avoue un amour quasi physique pour le fleuve Saint-Laurent et ne manque aucune occasion de se rendre à Notre-Dame-du-Portage, son lieu de prédilection pour des séjours plus ou moins prolongés.
«L’eau salée est une drogue, une toxicomanie insidieuse et indéracinable. Je fréquente de façon assidue l’Estuaire et le Golfe que depuis le milieu des années 1980. Sur le champ, l’eau douce a perdu pour moi tout attrait. Je lui reproche l’absence de ces odeurs iodées – si près de la cyprine. L’absence de marées qui, jour après jour, ramènent et retirent des trésors. L’absence de ces oiseaux plongeurs, nombreux et criards, de ces phoques et baleines blanches, de ces larges varechs qui dans la houle ondulent…» (p.16)

Questions

Alain Gagnon s’attarde surtout à ses lectures, aux penseurs qui le nourrissent depuis toujours. Plutôt éclectique, il aime fréquenter des penseurs qui ont marqué leur temps et leur époque, s’attarder auprès des peintres qui bousculent les concepts du réel. Il rôde autour de Marc Aurèle, Heidegger, Borges, Caton, Plutarque, Hegel et Montaigne. La liste est longue.
«L’Être ne se définit pas, il préoccupe; il est celui qu’on interroge. Et les voies les plus sûres demeurent la musique et la poésie. Le roman et la peinture sont encore trop chargés de l’étant, de ce qui provient de l‘Être, mais n’est pas lui, du contingent. Héraclite, Hegel et Heidegger ont le mieux parlé de l’Être, de ce qu’il représente – à la fois innommable et engendrant ces tentations  / tentatives de le nommer qu’on appelle arts.» (p.289)
Il lit avec attention des écrivains québécois souvent oubliés du XIXe siècle, Arthur Buies, Louis Fréchette, Faucher de Saint-Maurice et Henriette Dessaules.
«Plus je connais la prose de notre dix-neuvième, plus j’enrage de lire et d’entendre ces professeurs qui font coïncider la naissance de notre littérature avec celle de la Révolution tranquille. J’écris bien prose. La poésie de cette même époque, j’ai déjà eu l’occasion de dire ce que j’en pense : en bref, elle fait dur!» (p.126)

Étonnant

L’écrivain prolifique s’attarde peu à ses propres livres, tout comme aux obligations de son métier qui le font ronchonner. Il tient aussi des propos sur ses collègues qui peuvent étonner.
«Je pourrais le paraphraser et écrire : «Longtemps, j’ai détesté les écrivains…» Et je les déteste encore? Moins qu’avant. Je les ai haïs à vouloir les faire bouillir (lorsqu’Ils sont en groupe), jusqu’à ce que je comprenne: ils n’ont rien à dire et ils possèdent de gros ego, donc ils énoncent n’importe quoi, pour l’esbroufe, ou ils cassent du sucre sur le dos des collègues absents et celui des éditeurs – race honnie entre toutes!» (p.281)
«Le chien de Dieu» révèle un travailleur infatigable, un écrivain un peu secret, toujours en quête de vérités qui ne fait pas de compromis. Un périple où nous découvrons l’homme dans ses hésitations et ses faiblesses. Il faut une belle générosité pour se livrer à un tel exercice.

«Le chien de Dieu» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram.

dimanche 21 décembre 2008

Alain Gagnon suit les traces de Faulkner

Obsédé par son coin de pays, William Faulkner n’a cessé de parcourir le Sud des États-Unis, le vaste état du Mississipi que hante la famille du vieux John Sartoris. Il est allé jusqu’à rebaptiser cette région pour en faire un lieu littéraire qui a fasciné le monde entier. Victor-Lévy Beaulieu a fait des Trois-Pistoles la région la plus fréquentée de notre littérature, autant par l’angle de la télévision que par ses œuvres de fiction. Dans la région, Michel Marc Bouchard ne cesse d’explorer le vaste espace du Lac-Saint-Jean dans ses œuvres pour la scène et le cinéma. On peut aussi mentionner Jacques Poulin qui fait de la ville de Québec son lieu d’écriture. Certains respectent la toponymie des lieux, d’autres ne peuvent résister au plaisir de tout rebaptiser comme l’ont fait les explorateurs en débarquant en Amérique.
«En toute franchise, je crois avoir écrit «La langue des Abeilles», «Le truc de l’oncle Henry», «Kassauan» et ces «Chroniques d’Euxémie» pour me promener, par l’imaginaire, dans mes paysages premiers», avoue Alain Gagnon dans l’avant-propos de «Chroniques d’Euxémie» paru récemment. L’écrivain natif de Saint-Félicien pourrait ajouter à cette liste «Thomas K» et dans une certaine mesure «Le gardien des glaces».

Espace d’écriture

L’auteur de «Sud» - le clin d’œil à William Faulkner est évident - a choisi de renommer le vaste territoire qui s’étend entre la rivière aux Saumons et le lac Saint-Jean pour en faire son espace d’écriture. Cette façon de faire lui permet de s’enfoncer dans la région à la manière d’un chasseur qui connaît les moindres replis du terrain et tout ce qui l’habite. Avec cette nouvelle topographie, il échappe à «l’histoire réelle et au temps chronologique». Il peut alors tout réinventer et suivre les méandres de son imaginaire.
Dans «Le dévot d’Is», la première nouvelle du recueil, le personnage choisit de devenir scribe, d’être marginal parmi les siens. «Tellement sont morts – et meurent encore – pour cet acte si simple que je me mets à l’écriture ou à la lecture avec une solennité dans les gestes, avec une pensée respectueuse pour tous ceux qui, avant moi, ont tracé des caractères et transmis l’expérience humaine jusqu’à nous.» (p.17)

Le gardien des glaces

L’écriture devient un des éléments essentiels de la trame dramatique de plusieurs ouvrages d’Alain Gagnon. Dans «Le gardien des glaces», un roman publié une première fois en 1984 et réédité en 2008, son héros, un avocat au passé nébuleux, part avec armes et bagages pour construire un relais le long de la piste des glaces, entre Roberval et Péribonka. «Sitôt les glaces suffisantes à porter hommes, bêtes et traîneaux, j’arrive. Et je m’installe au milieu de ce désert à surface lisse et dure… …Avec une sourde mélancolie, je retrouve mes ombres familières, et le vent qui bientôt poussera les neiges en des tourbillons démentiels, et les lourds craquements du froid qui torturent les glaces aux longues nuits de janvier.» (pp.11 et 12)
Le gardien accueille des personnages inquiétants, se bute à une montagne de lettres, évoquant l’écriture en vrac que l’écrivain doit dompter pour faire œuvre. Le lac Saint-Jean se transforme en une incroyable page blanche où tout peut arriver. Confrontation avec la mort, plongée dans un monde onirique semblable à celui de «L’odyssée», le livre de chevet du gardien irascible. J’ai relu «Le gardien des glaces» pour une troisième ou quatrième fois avec le même plaisir.
L’écrivain, pour Alain Gagnon, est celui qui exerce un pouvoir magique, invente des personnages en risquant sa vie. «Au début de mon âge adulte, j’ai demandé à devenir scribe, c’est-à-dire celui qui a le droit de désigner et d’engranger la réalité par des chiffres et des mots», écrit le narrateur du «dévot d’Is».  
Ce droit Alain Gagnon l’exerce avec une ferveur exceptionnelle. Ses romans demandent d’oublier nos références, de s’aventurer dans l’inconnu où agissent des forces malfaisantes et bénéfiques. Pour fixer la vie et se coltailler avec la mort, sa sœur siamoise. Une forme d’initiation à chaque fois.

«Chroniques d’Euxémie» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram et «Le gardien des glaces» a été réédité aux Éditions SM.

jeudi 15 mai 2008

Alain Gagnon ajoute une page à sa cosmogonie

La «vraie histoire américaine», pour certains, débute il y a cinq cents ans à peine, avec le débarquement des Français à Gaspé ou des Espagnols au Mexique. Avant ce contact, les historiens sont longtemps demeurés muets. Heureusement, les documents sur la présence amérindienne se multiplient depuis quelques années pour nous faire connaître ces nomades ingénieux.
L’installation des Blancs en Amérique entraîna un choc de civilisations. Des manières de faire et de voir scandalisèrent les Européens qui ont tout fait pour éradiquer ces croyances et les juguler. Comme par miracle, ces nations ont résisté à toutes les agressions. Ils survivent, dépossédés de leur âme et de leur territoire comme le montre Richard Desjardins dans «Le peuple invisible». La grande tragédie américaine, celle des Amérindiens et des esclaves noirs, aura marqué le dernier millénaire, qu’on le veuille ou non.
Alain Gagnon a toujours été fasciné par ces «présences» qui hantent des territoires que nous croyons connaître. Il se plaît à nous rappeler que nous vivons dans un pays au passé méconnu que nous refusons d’envisager. Comme si l’homme de maintenant écrivait sur des pages déjà écrites sans qu’il ne le sache. Tout un espace et un temps échappent à l’Amérique contemporaine qui fait trembler la planète.
Heureusement qu’il y a des écrivains comme Alain Gagnon. Parce que même s’ils sillonnaient ce continent depuis des millénaires, les Autochtones n’ont laissé aucune ruine comparable à celles des Grecs ou des Romains pour nous rappeler leur existence et leur ingéniosité. Bien sûr, l’architecture des Incas ou des Aztèques impressionne, mais en Amérique du Nord, «les signes» se sont vite évanouis et on a tout fait pour les effacer.

Pays inventé

Saint-Euxème, ce pays du Lac-Saint-Jean réinventé par l’écrivain originaire de Saint-Félicien, vit des moments pénibles. Un être inconnu, venu d’un autre temps, sème la mort. Plusieurs victimes sont trouvées ici et là dans un état lamentable. La population n’ose plus sortir. Une telle violence est inexplicable. D’où viennent ces traces aux abords des cours d’eau, ces empreintes de canard gigantesque... Il n’en faut pas plus pour qu’Olaf Bégon, le chef de police nouvellement à la retraite, futur époux de la belle Markita, sorte de l’ombre. Alain Gagnon a trouvé dans le roman policier un terreau fertile qui permet d’évoquer l’inexplicable et de résoudre toutes les énigmes.
Olaf doit abandonner sa «raison raisonnante» et laisser agir ceux qui savent visiter le monde des esprits. Il faut contrer une sorte de sorcier qui provoque des choses terribles à Saint-Euxème en jonglant avec des forces qu’il maîtrise mal. Olaf suit la voie amérindienne, se laisse guider par la jeune Kassauan pour repousser l’action néfaste de l’oncle Louis. La tente tremblante devient la clef d’une autre dimension et permet de découvrir l’autre réalité.
«En rien, elle ne voyait ni n’entendait l’Esprit des eaux. Elle porta son attention sur les bouleaux jaunes de l’autre rive. Ils demeuraient silencieux. Elle ne percevait pas leur respiration. Les bouleaux et les cyprès étaient pourtant les arbres qu’elle ressentait avec le plus de facilité auparavant, c’est-à-dire lorsqu’elle se promenait seule et libre en forêt. Un couple de sarcelles vint la distraire. Elle les suivit du regard. La femelle s’approcha. Elle cancanait. La jeune fille se surprit à rire et, entre les sons nasillards, elle crut entendre: «Sauve-toi, petite. Sauve-toi.» (p.109)

Grande maîtrise

Alain Gagnon jongle avec ce puzzle avec beaucoup d’habileté. Il le faut pour plonger dans cette histoire où plus rien n’est certain. Comme Olaf, le lecteur écoute la rumeur publique qui permet de suivre des personnages qui vivent des aventures qui sortent de l’ordinaire.
L’auteur de «Sud» et du «Gardien des glaces» démontre sa grande maîtrise. Il possède le don de raconter la plus invraisemblable des histoires et de la rendre plausible. Il nous emberlificote. Et même s’il rôde dans des territoires que nous commençons à mieux connaître depuis «Le truc de l’oncle Henry», la magie opère encore. Un plaisir, une écriture, un monde étrange et familier. Alain Gagnon construit son pays imaginaire et nous entraîne dans une autre dimension, pour notre plus grand plaisir. 

«Kassauan» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions du Cram.