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vendredi 15 avril 2011

Éva et Ruda Roden témoignent de l’horreur

L’holocauste ne cesse de refaire surface dans des films, des ouvrages de fiction, des récits et des témoignages. Ces écrits donnent encore la chair de poule, plus d’un demi-siècle après la Deuxième Guerre mondiale et les folies nazies.
Éva et Rudolph Roden ont d’abord publié leur récit en 1984. Vingt-six ans plus tard, la traduction française demeure percutante et bouleversante. Les deux voix se relancent et s’entremêlent, décrivent l’horreur. Une formidable histoire d’amour entre deux idéalistes, un rendez-vous avec la folie des hommes obsédés par le racisme et la haine.

Tchécoslovaquie

Ils vivaient en Tchécoslovaquie, dans un milieu aisé avant ces événements qui ont déchiré l’Europe et marqué toutes les mémoires.
La signature des accords de Munich sonnait le glas pour ce pays. Les Allemands occupaient la Tchécoslovaquie qui était, pour ainsi dire, démantelée. Les citoyens juifs devaient porter l’étoile de David sur leurs vêtements. Ils perdaient leurs droits civiques et devaient partager leurs demeures avec d’autres familles. Un père était arrêté, un oncle disparaissait. Les plus folles rumeurs circulaient. Peu à peu, tous furent déportés dans des camps de concentration. Des populations entières se sont retrouvées dans ces trains de la mort.
Éva et Ruda se retrouveront à Auschwitz, le lieu même de l’horreur. Difficile d’imaginer que l’on envoyait, avec une logistique et une efficacité démentes, vingt mille personnes à la mort à tous les jours. Un raffinement dans la barbarie qui dépasse toutes les limites.
«Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de penser à Auschwitz, je ne vois que les grandes cheminées à moitié dissimulées par les bouleaux, crachant des flammes et de la lumière âcre. Je sens l’odeur fétide des os carbonisés et mes bras se couvrir d’une très fine poussière poudreuse, le résidu des cendres humaines qui se déposait sur nous et sur tout ce qui nous entourait. Je pense à l’éternelle boue, ressemblant à du sable mouvant, qui nous avalait jusqu’aux genoux. Mais plus que tout, je vois les enfants.» (p.112)

L’enfer

Le travail quotidien, la faim, l’humiliation, la délation, les délires des gardiens, la peur, la promiscuité, l’humidité et le froid deviennent le quotidien. Et la faim, toujours la faim, cette faim qu’il est impossible de satisfaire. La cruauté, l’aveuglement et la haine poussés à leur paroxysme.
Les écrits d’Éva et de Ruda décrivent les camps dans les gestes les plus simples, s’attardent à la lutte pour un peu de nourriture et des vêtements. Ce sont des héros qui se sont battus au jour le jour. L’espoir survit malgré tout. L’amour et l’amitié entre les prisonniers peuvent triompher de tout. Éva et Ruda ont peut-être été chanceux de connaître cet amour inébranlable.
«Nous le constatons tout autour de nous, et nous avons peur ; peur pour tout le monde, mais surtout l’un pour l’autre. Tant que nous sommes ensemble, nous y arriverons, mais si… je ne veux seulement pas y penser – je ne crois pas que je le supporterais, si nous étions séparés – je crois que je cesserais d’exister. Je ne voudrais pas vivre.» (p.64)
Ils ont pu garder l’espoir et la volonté de survivre. Ce n’est pas le cas de tous. Ils vivront la libération avec l’impression de quitter l’enfer.

Migration

Le couple migre au Canada pour se donner un autre avenir et se refaire une vie. Ils n’oublieront pas, comment pourraient-ils? Il faut se souvenir pour empêcher que de semblables horreurs se répètent. Malgré tout, l’histoire démontre que ces crimes ne cessent de se multiplier partout sur la planète. L’humain apprend difficilement de ses folies.
Un incroyable message d’espoir et d’amour qui résiste à tout. Assez pour croire à un avenir meilleur.

«Éva et Ruda» d’Éva et Rudolph Roden est paru Éditions du Passage.

mardi 13 décembre 2005

Regards et jeux dans l’espace des corps


L’essentiel de ce très bel ouvrage, même si Daniel Danis, le dramaturge, y signe une douzaine de textes poétiques, est consacré à Louise Masson, peintre.
Louise Masson expose depuis une vingtaine d’année et a connu différentes mutations dans sa vie d’artiste avec tous les créateurs qui, jour après jour, questionnent la réalité. Figurations au début, paysages qu’elle a voulu reproduire, comme si l’art se trouvait dans la nature, à l’état sauvage. Des études, plus tard, bousculeront sa manière de faire. Des voyages encore et une quête spirituelle lui permettront «rencontrer» les estampes japonaises. Un choc qui marquera «le regard» de cette artiste toujours en changement.
«Les figures de Neuf-vues proviennent de formes humaines découpées à partir de reproductions de shunga que l’artiste a empruntées puis librement disposées sur une feuille : ces papiers découpés et superposés ont formé une épaisseur qui, lors de l’impression, s’est transférée sur la surface du bois gravé et est devenue texture dans le grain du papier, modulant le noir de l’encre.»
Les shunga sont des xylographies japonaises à caractère érotique «d’un réalisme spontané, elles se présentaient sous forme de séries de douze images, sortes de feuilletons érotiques, de manuels sexuels dont le but était éminemment initiatique et didactique».

Mythologie

La sexualité, au Japon, serait «une mythologie qui fonde le monde terrestre sur la rencontre du couple divin Isahaghi-Izaami». Des estampes particulièrement lyriques, des scènes érotiques foisonnantes de détails et d’anecdotes qui mettent en scène un homme et une femme. Des contacts sexuels, des postures acrobatiques et souvent fantaisistes créent une véritable fiction. La sexualité devenant expérience physique, spirituelle et mystique. On peut longtemps fantasmer à partir de ces prémices.
Louise Masson a étudié ces estampes pour rôder à la racine des rencontres intimes. Elle en a biffé l’anecdotique ou le narratif, éliminé tout ce qui pouvait rappeler le réel pour ne garder que des formes qui bougent et s’imposent dans l’espace. L’effet est étonnant et ses gravures deviennent particulièrement suggestives dans une sorte de ballet où les silhouettes humaines se détachent, se retrouvent et se cherchent. Des ombres qui prennent du poids quand elles se touchent et inventent des expériences ou des moments intimes.

Démarche


Un cheminement artistique mais aussi une rencontre avec Daniel Danis. La jonction de l’écrit et du visuel se réalise particulièrement bien cette fois. Des poésies qui collent aux illustrations deviennent l’incarnation, par et dans les mots, des univers suggérés par ces grandes silhouettes qui se joignent, se figent dans le recueillement des corps lors de la rencontre amoureuse. L’œil va de l’un à l’autre et invente un espace, un lieu où le mot et la forme se confondent. Le texte et l’ombre dialoguent, chuchotent et inventent la danse nuptiale. Le contact le plus intime de l’homme et de la femme passe dans ces grandes ombres qui s’effleurent ou se fondent. Daniel Danis signe des textes évocateurs et très suggestifs. Tout à fait dans l’esprit de l’ouvrage.
«Le carillon de bois suspendu à la porte arrière chante au diapason du vent. La maison respire un devenir doux.»
Des textes qui évoquent un haïku qui aurait perdu ses contraintes pour dériver dans la joie pure du dire.
«Derrière une butte, un lac d’eau limpide. Tu me dis : on pourrait s’y baigner tout deux. Alors, j’entrouvre mes lèvres, ta langue pénètre lentement dans ma bouche, devient sexe ; le jeu des entrelacs d’images se déploie sous mes yeux. Tous mes sexes éclatent pareils aux jardins de ma grand-mère. Je te ressens si près, si profondément en moi. Unis, unis en une seule terre et chair. Ô mon amour, mon amour.»

Démarche

Rose-Marie Harbour présente la démarche de cette artiste qui, par sa naissance et son cheminement, a été à la «jonction de deux mondes ou de deux imaginaires». Elle explique son questionnement à partir des paysages de l’enfance, les horizons plats de ses étés au lac Saint-Joseph qui ont modulé les premiers regards et les premières tentatives de saisir le monde.
Et puis la présentation de quelques shunga permet de visualiser d’où viennent les ombres suggestives de Louise Masson.
Un dernier texte plus substantiel ferme le livre. Une réflexion sur le temps et l’espace, deux éléments qui ne cessent d’intriguer et d’angoisser les humains.
Un très beau livre, grand format, une présentation soignée et de belle qualité. Papier glacé et reproductions impeccables des œuvres qui marquent le cheminement d’une artiste exceptionnelle.

«Neuf-vues» de Daniel Danis et Louise Masson est paru aux Éditions du Passage.

vendredi 15 avril 2005

Suzanne Jacob nous invite à la méditation

Nous entrons dans «La part sans poids de nous-mêmes» comme dans une cathédrale. Un moment de recueillement. Le silence. Après, l’escalier nous aspire vers les hauteurs. Nous grimpons en cherchant notre souffle. Nous tenons le texte à deux mains, un présentation très soignée de Marie-Christine Lévesque. Rien de trop appuyé ou de trop incisif.  Il faut se faire économe devant une artiste qui niche sous le toit des églises.
Tout en haut, après avoir poussé la porte de l’atelier, une femme nous regarde, sourire doux. Un ange. Elle semble venir d’une autre époque ou plus simplement elle a glissé hors du temps. Cheveux blancs, vêtements qui dissimulent un corps que l’on sent puissant et plein d’énergie. Le visage rayonne. Nous sommes devant la femme «qui parle avec les anges». Il ne reste plus qu’à écouter. Le guide s’avance. Il se nomme Suzanne Jacob.
«L’ange est la part sans poids de nous-mêmes. La part qui se soulève et qui s’échappe. Celle qui prend son essor et vole, dans l’éveil ou dans les rêves. Pourtant, quand on est soulevé et qu’on échappe au poids, dans l’éveil ou dans le rêve, ce ne sont pas des ailes qui nous meuvent, qui trompent le temps et la distance, qui abolissent tout effort, toute fatigue.» (p.19)
Le ton  est donné. Il ne s’agit pas d’une étude minutieuse du travail de Muriel Englehart mais d’une réflexion sur un monde qui a habité l’imaginaire pendant des siècles. Les anges, ces compagnons si près des humains et si conscients de l’Au-delà. Les passeurs, les témoins qui consentaient à suivre les vivants et qui les quittaient dans la mort, au dernier souffle.

Questionnement

Suzanne Jacob, dans un texte précis, magnifiquement écrit, questionne, nous pousse vers ces grandes figures paisibles qui constituent l’univers de Muriel Anglehart. Cette part de soi qui aspire à la légèreté et peut-être aussi à l’immortalité. Ce côté de l’humain qui ne trouve plus sa place dans un monde entièrement voué au commerce. Quelques pages mais c’est suffisant pour «entrer en méditation». Lecture mais aussi prière.

«Comment t’éveiller quand tu ne sais pas où tu dors», dit l’ange à Gitta Malasz. L’ange, c’est la voix qui s’est ouvert un passage jusqu’à Gitta à travers le vacarme de la guerre. Cette voix, si elle a traversé le vacarme de la guerre, peut donc franchir le vacarme des pires tempêtes de décibels, peut donc arriver jusqu’aux oreilles d’un homme ou d’une femme du XXIe siècle.» (p.21)
Au bout du texte, le visiteur regarde les sculptures filiformes de Muriel Anglehart comme s’il était dans son atelier. Les photographies nous portent et guident le regard. J’ai fait le parcours, plusieurs fois, m’attardant à une longue main ouverte, à une paume tendue pour le don ou l’obole, m’arrêtant à un visage perdu dans un bonheur paisible. Et après, encore Muriel Anglehart devant son miroir. Oui elle voit les anges, surtout quand la lumière prend plaisir à inventer des formes. A la sortie du livre, nous plongeons dans l’escalier, apprenant à redevenir lourd, vivant. Peut-on quitter une femme qui sait voir ce que nous ne voyons plus.
Suzanne Jacob, Muriel Englehart et la photographe Dominique Malaterre offrent un livre impeccable et nécessaire. Un plaisir pour qui veut voir.

«La part sans poids de nous-mêmes» de Suzanne Jacob est paru aux Éditions du Passage.