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vendredi 20 novembre 2020

LA MORT ANNONCÉE DES MÉDIAS


NOUS MÉRITONS MIEUX de Marie-France Bazzo, un essai paru il y a quelques jours, questionne les médias, particulièrement la radio et la télévision. J’y retrouve des propos que je ne cesse de ressasser depuis des années. Ce livre est venu me bousculer, comme si la réalisatrice de Y a du monde à messe mettait le doigt sur une foule de sujets qui me hante. «Repenser les médias» est une obligation. Je l’ai fait pendant toutes les années où je travaillais au Quotidien du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il faut se méfier de ses habitudes quand on fait métier d’informer. Il est tellement facile de sombrer dans les formules et les clichés. Moi qui ai passé ma vie à lire les journaux, à écouter les bulletins de nouvelles, je me sens de plus en plus orphelin. 


On le répète depuis un certain temps, les entreprises de communications sont mal en point. Les effectifs fondent dans les salles de rédaction et les revenus des commanditaires ont migré vers les grandes plateformes électroniques, autrement dit les géants du Web. Cette publicité, qui a toujours été un mal nécessaire, pousse les médias sous un respirateur artificiel. Que dire de la banqueroute de Capitales Médias et de la disparition brutale du journal dans lequel j’ai œuvré pendant plus de trente ans. Il survit sur le Web, mais ce n’est pas celui où j’ai mis tant d’efforts d’imagination. Je ne me sens pas d’atomes crochus avec cette bibitte que je regarde sur écran en faisant du vol à vue. 

C’est tentant de trouver un bouc émissaire et de pointer les GAFFA qui avalent tout et régurgitent n’importe quoi aux «amis» insatiables. Il faut aller plus loin et les propos de madame Bazzo peuvent servir de balises. Le problème des médias n’est pas juste une question de commanditaires infidèles. Et subventionner ces diffuseurs sans leur imposer des devoirs ne réglera guère la question. Nous devons nous pencher sur le contenu, cette façon de varloper les émissions (surtout à la télévision et à la radio) en répétant à peu près toujours la même chose. Les responsables ne cessent de jongler avec des formules qu’ils maquillent de saison en saison. Tous ces dirigeants venus de nulle part savent ce que veut le peuple, c’est connu. Tous ne jurent que par ce mal qui répand la terreur : l’opinion, la connaissance fast-food servie à chaud avec un peu de mayonnaise. Une façon de faire peu coûteuse qui tue la réflexion et le dialogue où germe la pensée. 

 

Nous vivons donc aujourd’hui l’apothéose de l’opinion. C’est un système bien huilé, qui fonctionne à merveille, vers lequel tout le milieu des médias pousse, autant que les algorithmes des réseaux sociaux. Très régulièrement, le rédacteur en chef d’une émission, le responsable des réseaux sociaux d’un média, le cher recherchiste d’un show vous engagera, subtilement ou non, à aller vers des propos plus punchés, plus spectaculaires. C’est souvent implicite, mais on comprend : la concurrence a engagé des grandes gueules… parce qu’elles sont de grandes gueules. Il y a émulation dans l’intensité et, du coup, le niveau sonore monte. (p.78)

 

Ces machines à opinions s’éloignent de plus en plus de l’information de fond. On l’a vu lors des dernières élections américaines. Une semaine après le trois novembre, moment du scrutin, les canaux d’information en continu répétaient que le compte des votes se poursuivait pendant que Donald Trump martelait qu’il s’était fait voler la victoire. Sept jours où tous les spécialistes ont défilé en affirmant à peu près la même chose. Est-ce là une nouvelle ou un lavage de cerveau?  

L’élection de Donald Trump, ses quatre ans de «trweetologie» à la Maison-Blanche, ont transformé les médias en un cirque où l’on s’accroche à la moindre insignifiance pour la secouer jusqu’à la nausée. Il me semble que l’information repose sur des faits et non sur des ragots. En s’abreuvant aux réseaux sociaux, on colporte des rumeurs et des faussetés sans avoir pris le temps de faire les vérifications nécessaires. Est-ce un travail sérieux? Les médias se sont coupés de la vie citoyenne et de la culture, refusent de témoigner en devenant des moulins à vent qui font tout pour attirer l’attention. 

 

ORPHELIN

 

Après avoir passé une partie de ma vie dans les médias, je me sens de plus en plus trahi. Bien plus, je délaisse la radio et la télévision parce que je n’y trouve plus rien de stimulant. Comment résister à un Téléjournal truffé de publicités d’automobiles qui polluent la planète au point de nous rendre asthmatiques? Le camion RAM, le dur de dur, je le regrette, mais ne me fais pas rêver. 

Le journal papier, qui était la référence jadis, se fait de plus en plus rare. Il ne reste que quelques journaux pour maintenir la tradition. Je n’en peux plus des citations tronquées dans un bulletin d’information, d’être pris en otage par un «envoyé spécial» qui donne de moins en moins la parole à son locuteur. Ces spécialistes du monologue expliquent les propos des élus en leur laissant parfois une demi-phrase. Il a fallu la pandémie pour entendre plus de trois mots de François Legault et ses ministres. Bien plus, ces connaisseurs s’accrochent à une image et tout bascule. On pourrait mentionner nombre d’exemples où des journalistes ont fait dérailler un débat délicat à l’Assemblée nationale. Je pense à l’acharnement qui mobilise la horde depuis quelques semaines. Tous veulent que François Legault avoue que le Québec pratique le «racisme systémique». Vous vous souvenez comment on a pourfendu le projet de loi sur la laïcité du gouvernement du Québec et comment on est parvenu à le démoniser. 

 

MARCHÉ PUBLIC

 

On parle de plateformes où tous se servent gloutonnement. Plus besoin d’être abonné à une revue ou un journal, on retrouve à peu près tout sur Facebook ou les autres réseaux. Les travailleurs de l’information deviennent les «n» de ces sites (vous voyez que je suis politiquement correct) qui avalent tout et déclenchent le manège des opinions et des insultes. Trump a satisfait l’appétit des médias pour l’insignifiance en les nourrissant à la petite cuillère. Tous les journalistes savaient que le président mentait et disait n’importe quoi dans ses messages du matin. Il a fallu sa défaite pour que les grands réseaux des États-Unis cessent de diffuser ces faussetés. L’information n’est pas un espace à ragots ou à rumeurs, mais une recherche de vérités qui éclairent un auditeur ou un citoyen sur l’état de la planète, les conflits, la pollution, le sort des migrants et des éclopés, l’environnement social, politique et écologique. Le métier de journaliste est celui d’un explorateur qui va sur les lieux pour raconter ce qu’il voit et entend. On «couvre» une guerre au Moyen-Orient maintenant en direct de Montréal. On tapisse les bulletins d’informations de bouts d’entrevues en anglais, faisant ainsi la promotion du bilinguisme étatique canadien, sans sourciller. Une dérape sur Facebook ou Instagram fait les manchettes et Tout le monde en parle ouvre ses portes. 

 

MALADIE

 

Marie-France Bazzo ne peut ignorer la dictature des vedettes. Les mêmes figures défilent dans toutes les plateformes et tous les médias. Les humoristes dictent leurs lois et animent les émissions, écrivent des téléséries, sont invités partout tout le temps. Des comédiens publient leurs mémoires ou leur biographie et envahissent les salons du livre. 

 

L’humour est le petit frère de l’opinion. C’est sa version ludique, décalée, dont les émissions raffolent et qu’elles aiment programmer, un clin d’œil qui permet de mettre en perspective les questions sérieuses. Le foisonnement d’humoristes au Québec n’est par ailleurs pas étranger à notre refus du débat. C’est tellement plus convivial de clore un argument avec une joke… Il est indéniable qu’une des principales ressources naturelles du Québec réside dans ses exceptionnels gisements d’humoristes. Et un des plus importants débouchés de cette matière première est la radio et les médias en général. (p.83)

 

Les vedettes, les classés A comme la viande dans le comptoir d’un boucher, imposent leur grande et petite misère. Ça devient loufoque. Même qu’ils ont réussi à rendre obsolète le métier d’animateur à Radio-Canada. Une Myra Cree et une Aline Desjardins n’y trouveraient plus leur place. Il faut être pétillant, amusant, riant avec des collaborateurs omniprésents sans jamais parler aux vrais intervenants de la culture. Quand entend-on un écrivain à la radio ou à la télévision? Bien sûr, il y a Danny Laferrière, il est classé A. 

 

L’ATTAQUE

 

Marie-France Bazzo s’attarde à la pensée emballée sous vide, prête à être avalée sans avoir besoin de la mastiquer. Ils sont tellement nombreux à sévir dans les radios, à s’indigner, à pourfendre, à matraquer. Le pire de tout se retrouve dans ces radios dépotoirs, impossibles à recycler. 

Les médias nous ont transformés en maniaques, en drogués aux messages de 140 caractères. Comment réfléchir à l’avenir du monde ou sur un essai en pitonnant? La meilleure manière de tuer la pensée, c’est de la diluer en la répétant de façon obsessive jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une rumeur pour fouetter les disciples qui ne demandent qu’à tourner le dos à la réalité. Trump est le gourou de ces négationnistes.

Malheureusement, on va vite oublier le questionnement de Marie-France Bazzo. Un roman ou un essai ne dure pas plus de deux ou trois semaines dans l’actualité. Il faut du neuf, ou du vieux qui n’a rien de neuf, un jeune, un rire dans la voix et une rapidité d’élocution qui donne le vertige. La caméra n’aime pas les rides, surtout quand vous êtes une femme. La chirurgie esthétique, on connaît dans les médias de maintenant. Que dire de l’échec de Télé-Québec qui ignore toujours les régions, l’évacuation de la culture au profit de l’humour, la mort de l’animation intelligente à la chaîne musicale de Radio-Canada, l'anglais de plus en plus présent dans la chanson québécoise, l’obsession étasunienne, le mépris pour les créateurs d’ici.

Pourtant, c’est la radio et la télévision qui m’ont éveillé au théâtre et à la musique classique, au temps «des mammouths laineux.» Je ne crois pas que les médias de maintenant peuvent revendiquer le titre «de passeur de culture». Et certainement que nos «diffuseurs de contenus» sont le reflet d’un monde qui va tout croche et qui a vendu son âme aux écrans de tout acabit et aux cotes d’écoute. Nous vivons désormais sous la loi du clic, qu’on se le dise. C’est pourquoi je suis un réfugié du blogue où je continue à m'intéresser aux écrivains du Québec et aux livres publiés ici. Mon journal Le Quotidien ne voulait plus de moi. La littérature, ça n’intéresse personne, disaient-ils. Je n’avais pas assez de «j’aime» sur la plateforme. Madame Bazzo aussi s’est fait montrer la porte à Radio-Canada. Ça me console un peu.

 

BAZZO MARIE-FRANCENous méritons mieuxÉDITIONS DU BORÉAL, 216 pages, 19,95 $.


 https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/nous-meritons-mieux-2759.html

lundi 11 novembre 2013

Les Québécois ne connaissent pas leur pays


Bonne idée que de questionner des hommes (une seule femme?) de différents horizons et de leur demander de quoi le Québec a besoin pour s’affirmer dans le concert des nations, sortir d’une morosité qui le paralyse depuis des décennies. Les participants, malgré des vies différentes et des parcours singuliers, en arrivent à un même constat. Les Québécois connaissent peu ou mal leur pays, ses frontières floues et son histoire.

«Voici un livre écrit en chaussures de marche, le nez dans le vent, avec boussole et GPS. Un livre pour rouler, survoler, connaître. Un incitatif à s’enfoncer dans les villes ou les épinettes noires. Parce que la géographie, c’est le berceau d’un pays», explique Marie-France Bazzo dans une courte préface. Les Québécois sont vraiment en manque de connaissances géographiques. Leurs lacunes cognitives en ce qui concerne le territoire ne cessent de s’accumuler.
Le Nord, l’exemple le plus frappant. Les trois quarts du territoire du Québec restent inconnus et mystérieux. Cet espace mythique, sauvage, propice aux fantasmes miniers et hydro-électriques, devient un lieu d’exil temporaire, le temps de faire «la passe» et d’accumuler un pactole avant de revenir vers la civilisation.
«Les Canadiens et les Québécois ont bien évolué dans le sens de peupler les régions les plus tempérées, les plus au Sud, les plus liées à la richesse du sol et aux réseaux de communications, mais ces réseaux ne sont jamais allés, jamais, vers le Nord. Ils vont vers le Sud, ou vers l’Europe.» (p.18)
Une grande majorité de la population québécoise vit dans la vallée du Saint-Laurent et les territoires bordant certains affluents. Après Chibougamau, c’est l’inconnu, les vents, les épinettes, la toundra qui attire les plus braves…
«Non. Je pense que nous n’avons jamais eu conscience du territoire. Le Nord, pour nous, est une absence. Fondamentalement et historiquement, ce sont les Autochtones qui l’habitent.» (p.94)
Pourtant, ceux qui ont arpenté ce pays sont devenus des amoureux du Nord. Pensons à Jean Désy, Louis-Edmond Hamelin et Serge Bouchard. On pourrait aussi s’attarder au territoire fantasmé d’Yves Thériault qui en a fait le lieu de toutes les sauvageries et des pulsions.

Passé

Les Québécois ignorent leur histoire, encore plus celle des autochtones, leur mythologie, leur conception du pays, les rapports avec la nature et la vie. Nous sommes affligés d’une amnésie qui nous empêche de prendre les bonnes décisions.
«On l’a bradé, notre territoire. On l’a donné. On l’a mauvaisement prêté à des gens. Loué, vendu même: le fond des rivières, certains droits de coupe, le sous-sol, le pétrole, certains métaux. Toujours uniquement sous des auspices et des justifications économiques. Parce que malheureusement c’est seulement là, dans l’économique, que l’on dresse des bilans.» (p.130)
Les gouvernements ressassent des idées peu adaptées à l’époque contemporaine et à sa géographie. L’idée même des régions ressources empêche le développement intelligent des territoires périphériques et du Nord. Un concept venu du colonialisme peut-être qui fait que l’on pille les ressources de ces contrées au profit des habitants du Sud et des villes. Cette vision bancale ne peut que donner des interventions néfastes. L’exploitation de la forêt, des mines dans les régions est un véritable gâchis que beaucoup refusent de voir. L’erreur boréale de Richard Desjardins, par exemple, a montré une réalité que nombre de décideurs et de commentateurs ont refusé d’accepter. Ils ont préféré pourfendre «le poète».
De quoi le territoire du Québec a-t-il besoin? amorce une réflexion qui mérite d’être poursuivie et étoffée. Ces témoignages font prendre conscience des lacunes, des trous de mémoire qui peuvent expliquer nos flous identitaires, notre incapacité à se définir et à s’affirmer. Ce brouillard on le retrouverait autant du côté de la culture, de la littérature en particulier, que l’on ne fréquente guère, que l’on ne diffuse pas et que l’on oublie d’enseigner.
Les politiciens devraient lire et relire ce collectif, les enseignants devraient le mettre dans les mains de leurs étudiants dans les cégeps et les universités. Un incontournable pour ceux et celles qui s’intéressent à la vie d’ici, au territoire immense du Québec réel et à inventer.
Enfin des textes qui font appel à la lucidité et à l’intelligence. C’est quand même rare dans une époque où être, c’est devenir consommateur. Une entreprise nécessaire.

De quoi le territoire du Québec a-t-il besoin? de Marie-France Bazzo, Camil Bouchard, René-Daniel Dubois et Vincent Marissal est paru aux Éditions Leméac.