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mercredi 21 février 2018

ALAIN BEAULIEU SONDE L’ÉCRITURE

ALAIN BEAULIEU nous offre un roman plutôt intrigant avec Malek et moi. Je dis bien roman, parce que j’ai pris la peine de vérifier plusieurs fois, me demandant tout au long de ma lecture, si j’avais affaire à une histoire vraie ou à une fiction. J’imagine que l’écrivain souhaitait semer le doute chez son lecteur, qu’il se demande qui est cette Nadine qui l’a choisi pour écrire son histoire. Un peu réticent, l’écrivain accepte de plonger dans l’aventure et une sympathie certaine se développe entre les deux, même s’il fait tout pour garder ses distances et s’en tenir au rôle de narrateur. Une histoire toute simple qui bascule rapidement dans une suite d’événements plutôt rocambolesques.

J’ai terminé ma lecture de Malek et moi avec bien des questions et peu de réponses. J’ai eu beau secouer le livre, me dire que c’était un roman, me répéter que l’auteur a tout inventé, je suis resté sur mon quant-à-soi. L’écrivain a réussi son coup en me déstabilisant de la sorte, en me laissant croire que la narratrice est une femme réelle avec une carte d’assurance-maladie et un NIP.
Pourtant…
Mon inconfort vient certainement de l’architecture du roman. D’un côté, les histoires de Nadine, ses relations impossibles avec ses parents, sa peine d’amour, son avortement, son départ du Québec pour oublier, son errance en Europe dans un anonymat total pour retrouver son soi, son équilibre et son regard sur le monde. De l’autre, un journal où Beaulieu décrit minutieusement ses rencontres avec Nadine, jongle avec ses questions et ses hésitations devant la jeune femme atteinte d’un cancer. D’un côté, une histoire qui ressemble à un polar où les poursuites et les rebondissements se multiplient et de l’autre, la lutte d'une jeune femme contre le cancer, l’approche de la mort. Et  un écrivain au milieu qui fait tout pour garder ses distances.

MALEK

Malek change tout. Un premier regard, un mot et tout bascule. Les amours doivent bien commencer quelque part. Nadine est séduite par cet homme même si elle comprend rapidement qu’il trempe dans des affaires louches. Trafiquant, mafioso, espion, terroriste, on ne saura jamais.

Je peux te promettre une chose Nadine, c’est que si tu te colles à moi, tu ne t’ennuieras pas. Faudra te préparer à bouger, accepter de ne pas tout comprendre, donner du temps au temps, le bousculer parfois un peu. Je suis souvent en déplacement, plus colibri que gros bourdon, aujourd’hui ici, demain là-bas, dans un avion supersonique ou à dos de chameau dans le Sahara, et ce n’est pas une image, je te jure. J’ouvre mon jeu pour toi, Nadine, pour que tu saches dans quelle galère tu montes si jamais tu décides de me suivre. Tu as planté ta flèche là, a-t-il ajouté en se tâtant le thorax, entre ma sixième et ma septième côte. (p.56)

C’est ce que demande Beaulieu à son lecteur : « accepter de ne pas tout comprendre, donner du temps au temps ». Je veux bien, mais je n’ai jamais réussi à m’abandonner et à lui faire confiance.
Cette alternance entre le témoignage de Nadine et le journal d’Alain Beaulieu a pour effet de casser le rythme et m’a empêché de m’accrocher à l’un ou à l’autre. Et il y a deux Nadine. La jeune femme amoureuse de Malek, celle qui fuit avec son amant et l’autre qui lutte contre une maladie mortelle. 
Quelle histoire ! Malek fuit pour des raisons qui restent floues. Plus, la police française recrute Nadine comme agent double. Tout le monde fait partie des services secrets à un moment donné. Alors pourquoi cette cavale ?
Et que dire de la fausse mort de la jeune femme organisée par la police ? En quoi elle met l’État français en danger ? Ça fait beaucoup de questions et peu de réponses. J’avoue avoir souvent perdu pied.
Elle rentre au Québec, s’installe à Saint-Fulgence, au Saguenay, dans une solitude assez terrible. Elle est morte officiellement, n’a plus de famille, de sœur et d’amis, n’est plus personne près des battures de l’Anse aux foins et rien ne dit qu’elle fréquente la Bibliothèque Nicole-Houde. L’auteure de La vie pour vrai aimait les polars et je me demande ce qu’elle aurait pensé de la présence de Nadine dans son village. Une belle occasion ratée de réfléchir à la perte d’identité, surtout que Nadine semblait vouloir échapper à tout en fuyant en Europe. Elle réussit son projet en rentrant au Québec avec un autre passeport, une autre vie.

ÉCRITURE

Beaulieu multiplie les leurres, s’amuse à déconstruire son récit pour s’attarder à sa démarche d’écrivain, aux hésitations qui secouent le créateur quand il plonge dans un ouvrage de fiction. Ce que nous lisons et prenons pour une aventure policière n’est pas la véritable histoire. Le travail de l’écrivain constitue le vrai sujet de ce roman. Assez étrange, je prenais la même direction dans Anna-Belle en 1972. Le narrateur retourne dans son village mythique de La Doré, amorce l’écriture d’un roman et vit un amour particulier avec Anna-Belle, un personnage de fiction. Il fait le vide autour de lui pour se plonger totalement dans l’aventure de l’écriture et il fantasme sur son personnage. Ma démarche était de l’ordre de l’imaginaire quand Alain Beaulieu tente de nous faire croire que tout est bel et bien réel.

Depuis que j’avais participé à une série d’entretiens dans le réseau des bibliothèques de ma ville pour parler de mon plus récent roman, un chapelet de questions plus ou moins existentielles me taraudaient l’esprit. La plupart concernaient mon rapport à l’écriture, comme si chacune de mes œuvres devait s’inscrire dans un grand dessein qui la transcenderait et lui donnerait un sens au-delà de ce qu’elle représentait en elle-même, à l’image d’une vie prédéterminée dont chaque épisode répondrait au plan liminaire. (p.85)

Le roman réside dans « ce rapport à l’écriture ». Pourquoi alors l’écrivain n’est jamais arrivé à me convaincre ? Même le journal m’a laissé sur ma faim, Beaulieu se contentant souvent de généralités, restant sur ses gardes. Même le suicide de Nadine m’a fait hausser les épaules.
Une idée intéressante, mais l’impression qu’il manque de la chair pour croire vraiment au personnage de Nadine, à cette cascade d’événements incontrôlables qui va dans toutes les directions. Comme si j’étais demeuré coincé entre la fiction et les préoccupations de l’écrivain. Et quelle écriture relâchée ! Je suis habitué à mieux chez Alain Beaulieu.
L'écrivain est assez habile pour relancer son récit, mais il oublie d’ancrer son personnage dans une réalité où le lecteur se sent à l’aise et peut y croire. C’est toute l’aventure de l’écriture après tout : convaincre un lecteur que tout est vrai même quand tout vient de l’imaginaire. Ça s’appelle l’art du roman. Je pense à Paul Auster qui nous plonge souvent dans des situations invraisemblables et impossibles, mais il a l’art de convaincre et nous le suivons.


MALEK ET MOI d’ALAIN BEAULIEU, une publication de DRUIDE ÉDITEUR.


jeudi 7 avril 2016

Alain Beaulieu cherche les morceaux manquants


NOTRE ÉPOQUE EST un puzzle dont les morceaux se retrouvent partout sur la planète. Alain Beaulieu a certainement voulu témoigner de la cassure qui touche les familles dans L'interrogatoire de Salim Belfakir, un roman qui nous permet de suivre trois personnes qui s’intéressent à la mort d’un jeune homme, après une arrestation et un interrogatoire de la police. Le jeune Salim, bien sûr, parce que tout tourne autour de lui, Éliane Cohen et Julien Foch le policier, témoin du drame. Les pièces de ce casse-tête nous permettent de reconstituer l’histoire et de trouver les morceaux manquants. Beaulieu nous entraîne peu à peu dans une histoire de ruptures, d’abandons, de solitude et de retrouvailles, tout en se déplaçant entre la France, le Maroc et le Québec.

Ce fut difficile. Je ne suis pas arrivé à me faufiler dans ce roman d’Alain Beaulieu du premier coup. J’ai lu quelques phrases, refermé le livre, pour passer à la lecture du carnet de Monique Brillon. Le début m’a repoussé.
La plupart du temps, c’est le contraire. Une phrase et je suis happé. Toute la magie de ces quelques mots vous pousse comme un grand vent fou de mai. Certains débuts de roman sont devenus célèbres. « Longtemps je me suis couché de bonne heure » de Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann, ou encore l’amorce de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Il y a aussi Prochain épisode d’Hubert Aquin. Alain Beaulieu ne semble pas vouloir aller de ce côté.
Et après mes errances, mes infidélités je dirais, je suis revenu vers ce très beau livre, un petit bijou d’édition comme je les aime. Druide fait bien les choses. J’ai retenu mon souffle avant de plonger dans le fragment consacré à Éliane Cohen. Toujours sur mes gardes, pendant quelques pages, avant de bondir du côté de Julien. Toutes mes réticences sont tombées alors. Je me suis reproché mon peu de patience après une dizaine de pages. Le tango entre la Bretagne et le Québec devient fort intéressant. Les personnages s’imposent et j’ai aimé suivre Julien dans l’autobus pour me retrouver au bout du monde, près du grand fleuve aux eaux mouvantes, dans une maison propice aux recueillements, à la lecture de romans québécois que notre inspecteur de police découvre. Pas nécessaire d’être étranger pour ne pas connaître la littérature du Québec. Les Québécois ignorent leurs écrivains et leurs œuvres. Il y a bien quelques vedettes que l’on surprend à la télévision de temps en temps, mais pour les autres, c’est l’anonymat. Nous sommes un peuple qui ne sait guère se souvenir et surtout qui oublie qu’il existe. Je me suis senti à l'aise dans la maison de Cap-Santé que Julien loue, le genre que les écrivains aiment pour se glisser dans une histoire et bousculer des personnages.

MORT INEXPLIQUÉE

L'interrogatoire de Salim Belfakir tourne autour d’une enquête policière qui soulève bien des questions. Pourquoi Salim est décédé après son arrestation, pourquoi il serait allé dans un hôtel, saoul mort, quand il habitait tout près avec son amie ? Pourquoi on a dit qu’il était ivre quand le coroner n’a trouvé aucune trace d’alcool dans son organisme ?
Blanche Gallet, la mère, veut savoir la vérité. Son fils n’avait rien à voir avec les voyous avec qui il a été arrêté. Ses amis d’enfance, il ne les fréquentait plus depuis des années et avait une vie bien rangée, travaillait comme boulanger dans l’entreprise familiale et surtout vivait le grand amour avec Élodie.
Que s’est-il passé ? Éliane Cohen rencontre des gens, écoute, fait des liens. Petit à petit, la lumière va se faire.

En y mettant les manières, elle avait orienté Le Poulpe 474 sur une ou deux pistes qui n’avaient rien donné. Il avait fouillé des dossiers, ceux de la morgue et du médecin légiste, relevé une série de courriels des services policiers, mais tout cela ne l’avait mené nulle part. Négatif. C’est tout ce qu’il répondait à Éliane quand elle lui demandait où il en était. Elle avait bien tenté d’établir un contact plus amical avec lui, lui avait poussé une blague ici et là pour détendre la conversation, mais le mur était demeuré sans fenêtre. Négatif. (p.37)

Éliane Cohen a l’impression de se retrouver devant son miroir. Salim n’a jamais connu son père et a vécu depuis toujours avec sa mère. Son père à elle est parti avec une autre femme. Elle lui en veut pour cette fuite, refuse de lui pardonner quand il revient après la mort de l’autre.
Et pourquoi le policier chargé de l’enquête a disparu sans laisser d’adresse ? A-t-il quelque chose à cacher ? Le seul contact est sa fille Irène. Elle aussi en veut à son père qui a toujours été absent. Sa mère a accepté ces absences sans rien dire, mais la fille non. Elle refuse de vivre avec un fantôme, a coupé tous les contacts avec lui.
Blanche Gallet, la mère de Salim, a rencontré son père et est tombée enceinte. Ahmed Belfakir est retourné au Maroc pour vivre avec sa première femme. Un fils abandonné, deux filles en froid avec leur père. Beau portrait des familles disloquées et reconstituées de maintenant.

FAMILLE

Éliane enquête plus sur ces enfants qui ne savent plus comment empoigner leur vie parce qu'ils ont été abandonnés comme une bouteille à la mer. Combien de jeunes de maintenant doivent retracer l’histoire de leurs parents ?
Nous connaîtrons à peu près tout du père marin, le retour dans son pays du Maroc, la conspiration du silence organisée par sa tante Amina. Ahmed ne saura jamais qu’il a eu un fils en France. Salim fera la connaissance de sa demi-sœur Nadoua lors du décès de son père à El Jadida. Il s'en suivra une relation plutôt trouble.

Pour tout dire, je ne savais pas très bien moi non plus ce qui me poussait à me rendre aux funérailles de cet homme que je n’avais jamais vu, pas même en photo, et dont je n’avais jamais entendu la voix, pas même au téléphone. Sans doute était-ce ma manière de dire au monde, et en particulier à ceux qui l’avaient connu et aimé, je suis là, j’existe, et c’est à son passage sur cette terre que je le dois. (p.83)

Éliane Cohen se bute à sa propre histoire en quelque sorte. Son enquête lui dit pourquoi elle reste farouche, incapable de faire confiance aux autres. Irène et elle pourraient devenir des amies. La solitude rapproche. Si l’absence du père semble avoir marqué les filles, c’est moins évident du côté du garçon.

CASSURE

On a demandé à Julien de se taire lors de la mort de Salim et il a accepté. Peu après, il a démissionné pour fuir au Québec. Il sent le besoin de comprendre pourquoi il a triché, de renouer avec sa fille si cela est encore possible et surtout, peut-être que la vérité éclate, de retrouver un centre à sa vie.

Il lui raconterait sa vie, pas si compliquée que ça tout compte fait, lui parlerait de sa fierté d’avoir contribué par son travail à assurer la sécurité des citoyens de son pays, tout cela sans bavures et sans injustices, même s’il avait fallu forcer les choses de temps à autre. Peut-être essaierait-il de lui dire pourquoi il avait choisi de quitter la France, de lui parler de cet interrogatoire qui avait mal tourné et de ce que ses supérieurs lui avaient imposé, le mensonge et la dissimulation, auxquels il avait préféré la retraite et l’évasion. (p.146)

Nous allons de l’un à l’autre et le portrait d’ensemble se précise. Julien, dans son village du bord du fleuve, croise des personnages singuliers. Un garagiste qui garde une étrange collection dans le sous-sol de son établissement, un curé qui conserve des « bouts » de personnages célèbres du Québec dans un musée des horreurs.
L’enquête permettra d’avancer dans les silences, les trous qui hantent les personnages. Il y aussi Marise Frenette qui attire Julien, une artiste qui se déshabille devant les œuvres connues pour se dire dans son corps et sa féminité.

Cette femme se suffisait à elle-même, assumait pleinement l’entièreté de sa personne, son corps, ses actions et sa pensée, sa manière de voir le monde, et mettait cette affirmation de soi à la portée de tous, voilà ce que je suis, voilà ce que nous sommes, pas qu’un sourire, pas qu’une image à encadrer, pas qu’un fantasme masculin. Je suis moi, avec mon corps et sa porte magique, écrin de chairs roses pour la semence, voie d’entrée dans l’existence, vous venez en moi, vous venez de moi, je suis la nourrice de ce que l’univers connu a produit de plus extraordinaire, alors cessez de me considérer comme un instrument à votre service, voici mon corps ouvert devant vous, il m’appartient et j’en fais ce que je veux. (p.141)

Un roman qui s’attarde aux rapports que nous entretenons avec nos proches, les pères absents et les mères qui se débrouillent seules, les enfants qui cherchent maladroitement souvent à devenir des hommes et des femmes. Un questionnement sur la vie de maintenant. Éliane enquête peut-être beaucoup plus sur la mort de la famille que sur Salim Belfakir. C’est ce que j’ai aimé dans ce roman qui ne perd jamais l’essentiel de vue, malgré bien des détours et des méandres. Être pleinement dans son corps avec Marise Frenette, mais aussi être bellement dans sa têt, en équilibre entre le père et la mère.

PROCHAINE CHRONIQUE : CHEMIN SAINT-PAUL de Lise Tremblay publié chez Boréal.


L’interrogatoire de Salim Belfakir d’ALAIN BEAULIEU est paru chez DRUIDE, 296 pages, 22,95 $.

lundi 1 octobre 2012

Alain Beaulieu : la vie est un boomerang


«Quelque part en Amérique» d'Alain Beaulieu nous emporte dans une société malade d’elle-même et de ses lubies.

Lonie et son jeune fils réalisent un rêve en se retrouvant aux États-Unis, là où tout est possible. Elle a quitté sa famille, ses amis et le Bélize pour se donner un nouveau destin. Elle suit ainsi les traces de sa cousine Liana qui a osé couper ses entraves pour vivre une vie différente. Du moins, c’est ce qu’elle croit. La réalité lui apportera bien des désillusions.
Elle se retrouve quelque part dans une petite ville du Sud et personne ne l’attend à la gare. Tout bascule. Seule avec son fils et quelques dollars, que va-t-elle devenir? Le destin frappe comme il ne peut le faire qu’au pays de Barack Obama.
Nick Delwigan, un policier, chapeau vissé sur la tête, mange dans le restaurant où elle se réfugie. Il décide d’agir. Cette femme, il le sait, va être avalée par un réseau de prostitution s’il ferme les yeux. Il sauvera la jeune mère et ce petit garçon curieux. Peut-être qu’il cherche à oublier sa lâcheté. Depuis un bon moment, il n’a rien fait pour contrer les proxénètes qui font la pluie et le beau temps dans sa ville.
Ils prennent la route, traversent presque le continent, changent de monde pour que les réfugiés soient à l’abri.

Prison

La jeune mère se retrouve dans une prison dorée où elle doit jouer à la servante. Bill, le mari de la sœur de Nick, est prédicateur. Il incarne pleinement le «rêve américain». Maison immense et voiture de luxe. Sa conscience à deux vitesses le sert bien. L’une pour ses fidèles et une autre pour sa vie privée. Il trompe sa femme tout à fait naturellement et se montre particulièrement raciste.
Maureen s’étiole dans ce nid douillet. Névrosée, dominée par son religieux de mari, elle fait face au vide de sa vie. Lonie et Ludo ravivent une grande frustration, celle de ne pas avoir eu d’enfant.

Fuite

Elle s’enfuit avec le jeune garçon. Ils vont d’une ville à l’autre, changent de noms, brouillent les pistes et finissent par se refaire une vie. Ludo, allias Koby, devient un adulte qui ignore tout de son passé. C’est peut-être aussi cela l’Amérique, la possibilité de devenir un autre, de se forger une existence en laissant son passé derrière soi. Devenir amnésique en quelque sorte. Ici, je ne peux que songer à Paul Auster où des personnages changent littéralement de peau.
Lonie épouse Nick. Le couple a des filles, mais la blessure ne se referme pas. Comment serait-ce possible? Le policier finit par retracer sa sœur et le fils kidnappé. Est-il possible d’effacer ce drame et tout recommencer?
Maureen a élevé Ludo seule et ce garçon est devenu le centre de sa vie. Comment organiser les retrouvailles avec la vraie mère sans bousculer le jeune homme? Une rencontre fait tout basculer. La voleuse d’enfants sera punie comme il se doit. Le bien triomphe en Amérique, du moins on aime le croire ou le laisser croire.
Monde

Alain Beaulieu nous emporte dans un récit polyphonique où chacun donne sa version des faits. Le lecteur noue les fils d’une histoire qui devient un véritable suspense. Je me suis laissé prendre par ces personnages qui ne sont jamais tout à fait mauvais ou bons. Une certaine zone d’ombre permet d’aimer ces hommes et ces femmes, de plonger dans un rêve qui se casse de toutes les manières. Maureen ne peut vivre sans faire face à ses gestes. Sa vie éclate un matin comme un miroir. Elle le prévoyait, elle l’a toujours su.
Beaulieu démontre que nul n’échappe à ses actes et qu’il est impossible de devenir un autre. Un jour ou l’autre, il faut assumer ses gestes et ses décisions. Tout revient vers soi pour le meilleur et le pire. La vie est un boomerang.
Une lente dérive dans une Amérique tourmentée qui vacille entre le rêve et l’utopie, la déception et le mythe.
Et Druide ne fait pas les choses à moitié. Cette nouvelle maison d’édition croit que le livre est un objet qui doit plaire. Comment être contre cela? Un début prometteur et une facture qui se démarque déjà.

«Quelque part en Amérique» d’Alain Beaulieu est paru chez Druide Éditeur.