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jeudi 26 mai 2016

Hervé Bouchard nous entraîne dans un tsunami

J’AI HÉSITÉ AVANT de me décider à écrire sur Le faux pas de l’actrice dans sa traîne, la dernière parution de l'écrivain Hervé Bouchard. Tout au long de ce « dithyrambe beublique » comme l’écrit Victor-Lévy Beaulieu, j’ai eu l’impression de m’avancer dans une jungle où je risquais de me perdre de corps et d’esprit. L’adaptation pour la scène de Parents et amis sont invités à y assister est faite pour être dit et entendu. J’ai même eu le bonheur d’en voir une adaptation sur scène faite par Guylaine Rivard et le Théâtre Cri. Une expérience étonnante avec la mère figée dans sa robe en bois, la verbosité hallucinante et hantée de cet auteur. La manière de dire les choses par Bouchard étourdit par l’ampleur du propos et curieusement, par sa simplicité.

Hervé Bouchard est toujours demeuré très près du théâtre dans ses romans. Comme s’il se faufilait entre la fiction que l’on connaît et cette représentation qui repose sur un chassé-croisé de répliques. J’aime assez lire un texte destiné à la scène parce que ça me permet de créer un décor, d’imaginer un monde et de faire vivre des personnages. Comme si je pouvais enfin devenir un agissant dans une intrigue ou un drame.
J’ai eu aussi, l’occasion de voir l’auteur habiter Numéro six dans son corps et sa langue. Parce qu’un texte d’Hervé Bouchard ne se laisse pas incarner comme ça. Le comédien risque souvent d’être emporté par le tsunami.

Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge,

J’écrivais ce commentaire à la parution de Parents et amis sont invités à y assister en 2007. Rien n’a changé et tout nous pousse encore une fois dans ce feu d’artifice d’éblouissement et de fureur. Voilà le monde d’Hervé Bouchard.
Qui va oser diriger la circulation de cette foule ? L’aventure pourrait s’avérer fort hasardeuse par sa complexité, le nombre effarant d’intervenants qui marquent le rythme, relance sans cesse la vague déferlante du verbe de l’actrice. Véritable nid de fourmis, je me suis souvent demandé où l’auteur allait, particulièrement dans Chant premier des indications.
Et j’ai pensé à Valère Novarina, cet homme de théâtre franco-suisse qui a beaucoup marqué l’auteur de Mailloux, citoyen de Jonquière.

Je quitte ma langue, je passe aux actes, je chante tout, j’émets sans cesse des figures humaines, je dessine le temps, je chante en silence, je danse sans bouger, je ne sais pas où je vais, mais j’y vais très méthodiquement, très calmement…

Cet extrait de Pendant la matière peut s’appliquer à l’entreprise du Saguenéen.
Hervé Bouchard raconte souvent une histoire simple, un peu toujours la même. Une famille d’Arvida vit dans une maison trop petite où chacun devient une menace pour le corps et l’esprit. Le père est mort et les enfants sont abandonnés à eux-mêmes devant une mère avalée par la douleur et qui ne sait que la chanter dans une sorte de Stabat Mater.
L’écrivain travaille à la manière des artistes contemporains qui prennent un sujet et l’examinent sous tous les angles. L’œuvre d’art devient alors un discours et la réalisation concrète perd de son importance.

THÉÂTRE

Pour que la magie opère, il faut bien des intervenants au théâtre. Le directeur, les administrateurs, la direction artistique, l’appariteur, la maquilleuse, l’accessoiriste, le concepteur des costumes et des décors, le vendeur de billets, le concierge, le spectateur et l’auteur, tous ceux qui participent à cette fête de la parole et de la représentation. Tous préparent ce moment où une comédienne devient une autre dans ses déguisements et ses maquillages et existe devant des centaines de regards. Le comédien dans son corps et sa voix devient un autre. On y croit ou pas. Tout le défi est là.

Forcer l’acteur à se cacher en parlant, jusqu’à l’invisibilité.
L’acteur est invisible, je peux être assuré qu’il me voit, moi, qui suis là venu le voir et l’entendre.
Quand cela est, on peut commencer.
On peut conter l’histoire.
Le texte que les acteurs travaillent et apprennent par cœur et répètent avant le début des représentations raconte l’histoire de ceux qui viendront l’entendre. (p.25)

Le faux pas de l’actrice dans sa traîne permet à tout ce monde, avec l’auteur qui multiplie les recommandations scéniques, d’intervenir. Ce qui fait que nous avons plus d’une centaine de voix qui tournent autour de la veuve prisonnière de sa robe en bois.
On va jusqu’à s’attarder aux instruments de contention au cours des siècles. Cages, robes, engins où les bien-pensants tentaient par toutes les façons de nier le corps des femmes et de les punir dans leur existence. J’ai pensé à La Corriveau exposée aux yeux des passants pour l’édification des foules dans une cage qui ressemble à un attelage destiné à maîtriser une bête sauvage.
L’entreprise s’avère singulièrement complexe avec ces lanceurs de questions qui tournent autour de l’actrice et son neveu, relancent le témoignage à la manière d’un choeur.
Tout cela après les recommandations sur le jeu, la manière de dire un texte par une actrice qui joue et ne joue pas, étant une vraie actrice dans la vie et pas. Autrement dit, arriver à créer la vérité dans la plus terrible illusion du langage qui n’est toujours qu’une représentation du réel.

Les acteurs appartiennent à deux camps.
Dans l’un camp se trouvent ceux qui souhaitent la mort de l’actrice.
Dans l’autre l’actrice dans son camp seule. (p.11)

AVENTURE

Je pourrais m’attarder aux références ou aux allusions à Beckett par exemple, le couple étrange d’En attendant Godot que l’on retrouve ici dans l’actrice et son neveu, « les deux en espèce de couple de comédie ». Il y a aussi toute la symbolique de la robe en bois. Armure, protection, tour dressée pour repousser les attaques ennemies. Et cette manière de casser la phrase comme dans les grandes stances de Dante ou d’Homère qui nous emportent sur la mer du dire-dire pour emprunter une expression à Daniel Danis. Je parle donc j’existe peut répéter Hervé Bouchard. Que la parole soit et donne naissance à l’univers. Le verbe s’est fait chair, écrit-on encore dans la Bible.

Je ne suis même pas avec moi.
J’ai trop de peurs à nommer
J’ai trop de peurs à nommer, ça ne s’arrêtera pas.
Et chaque fois que je dis quelque chose, je parle.
Et je parle, et chaque fois je dis quelque chose et ça me fait une peur de plus et je vois et ça me fait peur.
C’est comme un don qu’on me fait.
Dans le noir où il y a tout à craindre. (p.105)

Un texte qui risque d’égarer bien des lecteurs qui ne sont pas familiers avec l’univers de cet écrivain qui échappe aux normes et qui, je l’avoue, m’a un peu étourdi. L’impression de me retrouver au cœur d’un accélérateur de particules.
L’écrivain joue le tout pour le tout dans Le faux pas de l’actrice dans sa traîne. Une éruption volcanique où les mots deviennent la fin et le commencement d’un univers toujours en expansion. Une entreprise fascinante qui s’adresse à des téméraires qui n’hésitent pas à vivre une expérience langagière. N’est-ce pas le but du théâtre ? Je rêve pourtant de me retrouver dans une salle et de me laisser emporter par cette dérive, la magie d’un texte qui vogue comme l’arche de Noé sur une mer démontée.

LE FAUX PAS DE L'ACTRICE DANS SA TRAÎNE d’Hervé Bouchard est paru au Quartanier, 208 pages, 18,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : J’ÉCRIS SUR VOS CENDRES de MARITÉ VILLENEUVE publié chez FIDES.

vendredi 17 octobre 2014

Hervé Bouchard est un prestidigitateur

Hervé Bouchard lors de la lecture publique de Numéro six
En ouvrant Numéro six d’Hervé Bouchard, je n’ai pu que fermer les yeux, l’imaginer sur la scène et entendre sa voix. La lecture publique d’une version de ce texte, réalisée en 2013 par l’auteur, m’avait plongé dans un monde familier et pourtant tellement étrange. Un garçon franchit toutes les étapes au hockey, de l’apprentissage du patin jusqu’au jeu dans une équipe reconnue. Hervé Bouchard, en grand sorcier qu’il est, nous étourdissait pour mieux nous tenir en haleine. Cette lecture devenait une performance physique, autant pour l’auteur que le spectateur. L’impression d’être bombardé de mots pendant deux heures, d’être attaqué par des essaims de guêpes qui viennent de partout.

Comment lire ce texte sans entendre sa façon inimitable de dire ? Je le vois au milieu des bandes de papier qui le cernaient. Il récitait de mémoire parfois, mais revenait toujours à ce texte sans fin pour s’accrocher à une réalité fuyante. Lecteur et auteur au milieu d’une toile d’araignée qui emprisonne. Chez Bouchard, les mots vous retournent, vous ligotent et vous libèrent aussi. Il suffit de les dire, de les scander pour être hypnotisé.
L’écrivain emprunte souvent la structure d’une pièce de théâtre pour asseoir ses ouvrages. Tout repose sur un texte jubilatoire même quand il aborde des sujets tragiques, comme la mort du père dans Parents et amis sont invités à y assister. Une tragédie qui transforme la vie des enfants et les laisse devant une mère de plus en plus inaccessible. Tous avalés par un drame qui défait leur univers. Ils ne peuvent s’en sortir qu’avec des phrases qui les soulèvent, les emportent et finissent peut-être par devenir une armure.

Je faisais la danse du tournoiement en retard de l’euphorie de ne pas être là et je n’étais pas là et ce n’était pas drôle et j’étais là et on riait et je ne riais pas et j’étais là et c’était pareil que de n’être pas là. (p.38)

Dans Numéro six, le garçon grimpe les échelons de différentes catégories au hockey en vivant des « pratiques » qui le laissent presque en dehors de son corps. Un monde en soi, le clan qui importe dans toutes les œuvres d’Hervé Bouchard. Après il y a la rue, le quartier qui servent d’ancrage et deviennent presque des personnages.

On donnait alors aux défenseurs les numéros du bas, ça n’avait pas toujours été comme ça. J’ai pensé qu’on donnerait le numéro six en dernier à celui qui ne savait rien de ce qui allait arriver et, comme je ne savais rien de rien, j’ai pensé que c’était le numéro qu’on me ferait porter si jamais je patinais assez et si jamais je réussissais à ne pas brûler mon espoir en voulant trop. (p.41)

La lecture publique épuisait, comme si vous aviez couru le marathon. J’ai eu la folie dans une autre vie de m’adonner à ce sport qui vous fait vous heurter un mur avant de toucher la ligne d’arrivée. Pendant 42,2 kilomètres, vous connaissez la joie, l’euphorie, le sentiment d’être un surhomme et aussi l’épuisement. C’est vivre un peu tout cela que de s’aventurer dans les textes d’Hervé Bouchard.

Histoires

Il y a des rituels, des habitudes, la fierté et les humiliations qui arrivent inévitablement quand on veut être du groupe. Les histoires les plus folles ne cessent de circuler autour de certaines équipes sportives.

J’ai vu des midgets courir nus, ce n’était pas des nains, c’était des midgets punis qui couraient nus dans les corridors. Ils couraient nus dans les corridors et dans la joie. Leur punition avait consisté en une séance d’entraînement particulièrement sévère, il s’agissait de patiner stopper repartir stopper etc. entre les lignes peintes sur la glace sous la surveillance d’un âne qui ne faisait rien sinon rester là au milieu d’eux. (p.50)

Un territoire précis aussi et une géographie importante, significative même. Il est possible de le suivre à la trace pour quelqu’un qui connaît Arvida et les environs.

Jouons à dire les noms des endroits comme si nous étions dans le char à l’écart du monde, comme si nous n’étions pas et qu’il n’y avait que les endroits que nous traversons pour construire le monde. Jouons à leur donner à ces endroits des noms qui nous font exister. (p.45)
 
Comme s’il tournait autour d’un sujet à la manière d’un peintre cubiste. Hervé Bouchard virevolte autour d’une situation, la traverse de part en part, la retourne pour faire voir une autre dimension ou une autre réalité. Parce que ce que l’on voit n’est pas ce que l’on voit et ce que l’on dit n’est pas toujours ce qui s’entend. Les mots peuvent dire une chose et son contraire, créer un univers parallèle qui peut nous avaler ou nous rejeter.

Magie

Il faut parler d’un art qui invente un langage qui emporte tout comme un tsunami. Une voix originale, certes, une démarche qui ne cesse d’étonner et de surprendre.
— Je reste l’écrivain des écrivains, confiait-il au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Peut-être, mais est-ce que cela a de l’importance ? Les écrivains, les vrais, ceux qui se confrontent au langage, cherchent tous une manière, une couleur, une musique singulière.

Ma Clairon se couvre les lèvres d’un vernis à la fraise. Quand elle approche la cigarette de sa bouche, ses ongles aussi vernis en rouge lui font briller les yeux. Ses baisers ont le goût des baisers quand on pense aux baisers et qu’on a la bouche pleine de mots d’amour physique. Les mots d’amour physique, c’est ceux qu’on dit dans un bain de salive claire et chaude et fruitée. (p.108)

Il est de la race des Marie-Claire Blais qui depuis Soif ne cesse de nous faire perdre pied dans une fresque qui atteint la dimension de l’Amérique. Tout comme madame Blais, Hervé Bouchard me fait connaître des moments de pure joie. C’est encore le cas avec Numéro Six. C’est peut-être moins tragique. La mort n’est plus au cœur de l’aventure, mais le garçon apprend à aimer, à souffrir, à se faufiler dans l’âge adulte sans trop s’écorcher. C’est humain, peut-être un peu plus jubilatoire que les œuvres antérieures, mais c’est du Hervé Bouchard, un regard unique et singulier.

Numéro six d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier, 20,95 $.

dimanche 23 août 2009

Hervé Bouchard revient nous hanter

Je ne sais s’il faut parler de bande dessinée dans le cas de «Harvey, comment je suis devenu invisible». Le texte d’Hervé Bouchard permet à Janice Nadeau de créer une fête d’images. Une histoire qui fait un clin d’œil à  «The Incredible Shrinking Man», un film de Jack Arnold réalisé en 1957. Scott Carré, le héros, rapetisse après avoir été frappé par une poussière cosmique.
Nous retrouvons la manière d’Hervé Bouchard, ses stances, sa façon de raconter en bousculant la vie pour mieux la dire. Tout va bien chez les Bouillon, une famille comme les autres. Harvey et son frère Cantin découvrent le printemps et la vie avec les copains du quartier.

Harvey, plutôt petit pour son âge, voue un véritable culte au personnage de Scott Carré, l’homme qui rapetisse, cherchant à l’insérer dans ses histoires et ses aventures quotidiennes.
Un jour, en rentrant à la maison, les frères retrouvent un grand rassemblent devant la maison familiale. Tous les voisins sont là, l’ambulance et le vicaire. Le père Bouillon vient de faire un infarctus. Mort instantanée. La vie bascule. Il faut s’arranger, faire face même si les enfants ne comprennent pas trop. Comment ne pas songer à «Parents et amis sont invités à y assister» où la famille Beaumont vit une situation similaire.
«J’ai entendu que notre porte s’ouvrait avec fracas puis ma mère Bouillon qui criait le nom de mon père Bouillon. Et j’ai entendu qu’on dévalait les marches en bois de la galerie puis qu’on roulait quelque chose dans l’entrée, qui passa tout près de nous. Et j’ai entendu des voix d’hommes que je ne connaissais pas et d’autres bruits de portes. J’ai réussi à me défaire de la prise du vicaire, j’ai tourné la tête et là, j’ai vu les deux brancardiers qui embarquaient la civière dans le fourgon. Une couverture cachait entièrement le corps. Ma mère Bouillon, elle était comme folle, elle criait à tout rompre le nom de père Bouillon. Mais lui, mon père Bouillon, on ne le voyait pas.» Vous avez là l’univers de Bouchard.
Il faut bien l’affronter cette mort voleuse de père. On retrouve les tantes Mélina, Ritalinée, Fionalinée, Ionalinée et Madelinée, des personnages que nous avions côtoyés dans le roman précédent de cet écrivain.
Harvey vit cette épreuve en ne comprenant pas trop ce que la vie veut lui enseigner. À la fin, au salon funéraire, dans les bras de son oncle Raymond, il regarde le mort qu’est son père. Il devient invisible alors, s’efface devant la douleur parce que son père ne peut plus le voir peut-être. Un orphelin perd-il son identité, son être ? La fin étonnante laisse le lecteur avec des questions qui ne trouvent pas de réponses.

Illustrations

Janice Nadeau donne une facture cinématographique à cette histoire avec des illustrations évocatrices. Un grand plan au début et un zoom nous pousse vers la petite ville d’Harvey, la rue et sa maison. En quelques séquences, le lecteur est plongé dans la vie du jeune garçon. L’illustratrice utilisera le procédé à quelques reprises, clin d’œil au monde du cinéma. Belle façon aussi d’évoquer le film d’Arnold en utilisant les ombres et des planches en noir et blanc. Un travail particulièrement réussi.  
Dessins épurés qui s’intègrent au texte et le prolonge, tel un accord qui résonne longtemps à la fin d’une pièce musicale, laissant l’auditeur entre deux gestes et deux respirations.
Hervé Bouchard garde le lien avec son univers, la mort qui bouscule et transforme la vie. Une lecture oui, mais aussi un voyage avec des images qu’il faut prendre le temps de voir s’animer devant soi. Du très beau travail, évocateur, original et particulièrement inventif. Un régal que cette rencontre entre Nadeau et Bouchard. Un plaisir qui passe trop vite malheureusement, un instant que l’on aimerait prolonger. La magie bouchardienne est là, intacte.

«Harvey, comment je suis devenu invisible» d’Hervé Bouchard et Janice Nadeau est paru aux Éditions de La Pastèque. 

jeudi 14 décembre 2006

Quand le monde se fait chant et parole

Hervé Bouchard est entré en littérature en 2002 avec «Mailloux citoyen de Jonquière». Une épopée d’enfance, d’amitié et de misère qui décrit un univers étrange et familier. Une sorte de carrousel où toutes les facettes de la vie s’incarnent dans le langage.
Ce «toujours citoyen de Jonquière» récidive avec «Parents et amis sont invités à y assister», drame en quatre tableaux coupé par «six récits au centre» précise l’auteur en page couverture.
Avec Hervé Bouchard, tout est parole et tout va à la parole. Le verbe éclate, s’emballe et provoque un débordement qui transporte les personnages dans une autre dimension.
Théâtre… Difficile de cerner cette histoire tragique, jubilatoire et incantatoire qui prend la couleur d’un récit biblique aux accents sauvages. Malgré les nombreuses indications scéniques, l’action ou le jeu s’avère à peu près impossible sur une scène. On flirte avec le conte, le récit, le prêche, le monologue, l’incantation, les récitatifs, les stances et les litanies. Un souffle pur, un rythme difficile à soutenir.

La mort du père

Une histoire simple pourtant. Le père Beaumont meurt subitement dans son fauteuil. Rien ne sera pareil pour la veuve et les six orphelins. Perte irrémédiable, peine, douleur, quête de sens, «stabat mater», chants de vie et de mort, de deuil et de réparation, complaintes haletantes et hallucinatoires. Le monde est déboussolé.
Les quatorze personnages se dédoublent et finissent par constituer un chœur où chacun y va de son récitatif. Une fresque bouleversante.
«Je l’ai voulue pour fille malgré sa peau de rousse, sa taille de brin d’herbe, ses doigts de fée, tout ce que je lui imagine qui est loin de moi. Salie Baribeau elle avait un arbre qui lui poussait croche dans le tronc, elle a vécu couchée dans un corset de métal au sortir de l’enfance jusqu’à l’âge de quatorze ans, il me semble. Tant que j’ai eu des bras, je l’ai aimée, j’ai toujours aimé les arbres, moi. J’aurais bien voulu d’une Nellie que j’aurais appelée Nellinée, d’une Mélie que j’aurais appelée Mélinalinée, d’une petite Oumalinée, d’une Maralinée que j’aurais câlinée, d’une Minalinée, d’une Rinalinée, d’une Sabihalinée, d’une Élinalinée, tous noms ailés que je voyais passer, que je revois encore quand je retourne parmi les framboisiers en moi.» (p.56)

Hervé Bouchard explore les replis du langage avec une virtuosité déconcertante. Il échiffe le langage pour mieux le reconstituer, le tord et le ramène à chaque fois à l’amour, la mort, la douleur et le deuil. L’impression de glisser sur un fil tendu à se rompre. Les mots explosent, vibrent, tournent et éclatent pour dessiner une autre réalité. Il faut seulement se laisser envoûter par ces stances. Tout y est excessif, démesuré et frénétique. C’est ce que j’aime par dessus tout.

«Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier.

Grandeur et misère de l’enfant Mailloux

Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière, a remporté le Grand prix de la Ville de Montréal avec «Parents et amis sont invités à y assister». Lettres québécoises s’y attardait dans son numéro hiver 2006. Cet ouvrage a aussi raflé le prix roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«Mailloux, histoire de novembre et juin» a été réédité par les éditions Le Quartanier. La première mouture était parue à l’Effet pourpre en 2002. Comme on s’en doute, il ne s’agit pas d’une biographie du célèbre Doc Mailloux.
Le roman présente une famille de Jonquière. Tout est vu et filtré par Jacques, l’aîné de la tribu, qui décrit différents moments de sa vie. Un petit garçon qui combat de terribles carences. Il ne peut s’empêcher de perdre sa mère dans les magasins et de mouiller son lit.
«Tu demanderas à ton mari de mettre de l’huile aux poulies de ta corde à linge car elle est plus bavarde qu’une vieille femme et attire sur les draps que tu laves les regards des passants et de tout le voisinage. Un pissou loge en ce lieu, disent-ils, cette maison est maudite.» (p.78)
Les similitudes sont grandes entre ce premier ouvrage de Bouchard et le second roman qui l’a propulsé à l’avant-scène de la littérature québécoise. Même langage éclaté, même regard halluciné sur le monde et l’environnement, même rap rugueux qui explose dans un débit verbal étourdissant. Tout est abordé sans discrimination: l’amour, le pipi et le caca, les premiers baisers ou la première érection. Une même manière aussi de tordre le cou au langage et de retrousser la phrase qui bascule dans une stance haletante.

Moments intenses

Le roman offre des pages exceptionnelles. Celles par exemple où la famille Mailloux part fêter Noël à la campagne dans une voiture «sans chaufferette», aussi froide qu’une banquise.
«La maison du parrain était seule au bord de la route, nue, comme arrêtée au milieu du champ. Elle n’était même pas éclairée, il n’y avait même pas son char dans la cour au parrain. Le père Mailloux est sorti, il est revenu, personne dans la maison. Probablement partis à la messe. On a attendu dans le noir. Avec l’hiver de Noël qu’il y avait dans la nuit. On s’est mis à geler plutôt sérieux et à se plaindre, surtout le Jacques de quatre et sa mère, des plaintes juste ce qu’il faut pour embêter le père Mailloux, pour qu’il se sente bien coupable de l’inconfort qu’on vivait.» (p.142)
Ici et là, dans ce premier ouvrage, Bouchard se laisse emporter par le plaisir de jongler avec les mots et s’égare dans des phrases ou des segments qui deviennent incompréhensibles. Un excès d’enthousiasme qu’il a maîtrisé dans «Parents et amis sont invités à y assister».
Il s’avère obligatoire de lire «Mailloux, histoire de novembre et juin pour se familiariser» avec l’univers d’Hervé Bouchard, un écrivain particulièrement original qui va marquer la littérature au Québec et nous entraîner dans des mondes que l’on attend avec la plus grande impatience.

«Mailloux histoire de novembre et juin» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/bouchard.htm

jeudi 23 novembre 2006

Hervé Bouchard réalise un véritable exploit

Hervé Bouchard raflait le Grand Prix du livre de Montréal la semaine dernière avec «Parents et amis sont invités à y assister». Quelques mentions ici et là, trois petits tours et puis le silence. Les médias du Saguenay-Lac-Saint-Jean ne semblent pas avoir réalisé l’importance de cet événement et l’exploit que vient de réaliser Hervé Bouchard. Remporter ce prix en étant «citoyen de Jonquière» s’avère un tour de force. N’importe quel médaillé sur patin aurait fait la Une. Il a pourtant été choisi parmi 200 ouvrages soumis par près de 50 maisons d’édition.
«Pour son audace, la magie à la fois lumineuse et ténébreuse de sa langue- pure invention, mêlant langue parlée et écriture forgée solide, ce roman-théâtre-poème, à la fois livre du jour le jour et construction mythique, a conquis le jury», lançait Robert Lalonde en commentant ce livre. Bien plus, il le comparaît à Réjean Ducharme, l’auteur de «L’avalée des avalés» qui ébranlait les années soixante en jonglant avec la langue française comme personne ne l’avait fait auparavant.
Il faut applaudir Hervé Bouchard, lui faire une fête et lui offrir les clefs de la ville. L’exploit de ce magicien de la langue «vivant en région», et non «écrivain régional», nous insuffle une belle dose de fierté.
Lise Tremblay, Pierre Gobeil, des écrivains de la région qui ont migré à Montréal, ont déjà remporté ce prix prestigieux. Nicole Houde, Jean-Rock Gaudreault, Gérard Bouchard et Daniel Danis ont aussi raflé un prix du Gouverneur général. Cinq écrivains de la région ont remporté le prix Robert-Cliche. Signe que les auteurs d’ici font preuve d’originalité et se distinguent dans une production nationale de plus en plus diversifiée. Plus de 4000 titres par année.
Hervé Bouchard remporte ce prix prestigieux en publiant dans une toute petite maison d’édition, Le Quartanier qui mise sur la qualité et l’originalité. Autre signe qui démontre les qualités exceptionnelles de «Parents et amis sont invités à y assister». Il reste à souhaiter qu’une troupe de théâtre ait l’audace de s’attaquer à ce texte et le fasse vivre sur scène.

Indifférence

Si on se pète volontiers les bretelles avec les chanteurs et les comédiens qui font carrière à Montréal, on accorde peu d’importance à ceux qui ont choisi de vivre dans la région. Combien de fois, j’ai dû faire face à des journalistes qui me qualifiaient d’«écrivain régional». De quoi avaler sa prose de travers. Comment réagiraient ces journalistes, les médecins et les gens d’affaires si on les qualifiait de locaux ou de «travailleurs de région»…
Les créateurs, qu’importe leur lieu de résidence, sont des Québécois à part entière et ceux qui vivent hors de Montréal ne sont pas affligés d’une déficience quelconque. Ils sont «assez bons» pour s’imposer à Montréal et partout dans le monde.
Heureusement, certains n’attendent pas que la «reconnaissance» arrive de l’autre côté du parc des Laurentides pour apprécier le travail des créateurs d’ici. Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean attribuait son prix du roman à Hervé Bouchard, en septembre.

Grande fierté

Larry Tremblay, Michel Marc Bouchard et Daniel Danis échappent au «ratatinement» en sillonnant le monde. Ce sont de grands créateurs qui fascinent à juste titre. Des écrivains d’ici, Élisabeth Vonarburg entre autres, sont traduits en plusieurs langues et portent une vision du monde qui captive Français, Anglais, Allemands, Italiens et autres.
Il faut développer un sentiment d’appartenance et une fierté en s’intéressant aux créateurs d’ici dans les quatre cégeps et à l’université. Qu’attendons-nous pour imiter l’Abitibi qui a cru bon de mettre «ses écrivains» au programme au cégep. D’autant plus que le nombre d’écrivains au Saguenay-Lac-Saint-Jean est plus grand et plus diversifié qu’au pays de Suzanne Jacob.
Pour mousser nos lauréats qui raflent des prix un peu partout, une sélection des ouvrages primés pourrait remplacer avantageusement ces «cadeaux fades» offerts par nos institutions, les villes et les villages lors de certains événements.
On pourrait aussi faire un petit effort d’achat chez-nous. Si seulement deux pour cent des résidants du Saguenay-Lac-Saint-Jean collectionnait les œuvres des écrivains d’ici, nous donnerions un souffle formidable à notre vie littéraire.
Les livres cultivent l’appartenance, décrivent des modèles et explorent des mythes nécessaires à toute collectivité. «Parents et amis sont invités» à lire les écrivains d’ici, à les promouvoir dans les institutions d’enseignement et toutes les bibliothèques. La région ne s’en portera que mieux.

«Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier. 
http://www.lequartanier.com/catalogue/parents.htm

jeudi 11 mai 2006

Hervé Bouchard propose une aventure

Je rêve de voir «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard sur scène. Il faudrait peut-être demander à Loco Locass d’incarner ce délire verbal et halluciné. Je rêve de m’enfoncer dans ce texte immense et échevelé, ce chant polyphonique qui désarçonne afin de vivre une émotion pure.
Je me calme. Je reprends mon souffle! Parce que s’aventurer dans un texte d’Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière, reste une véritable aventure. «Toutes les chaises sont identiques et pourtant, pas une qui soit à la même place.» Il nous bousculait tout autant dans «Mailloux», sa première histoire. «J’ai été Jacques Mailloux, comédien de naissance, enfant sans drame, dehors tout le temps.»
Je me rebiffe souvent devant les écrivains qui étouffent dans les habits de la langue française. Le français a tellement de détours et de subtilités, il me semble, que la littérature n’a guère besoin de «patenteux de langages». Hervé Bouchard a vite fait de me retenir pourtant. «Aussi la veuve Manchée porte-t-elle une robe de graisse jusqu’aux genoux.» Comment résister? Peu importe les personnages ou l’histoire, Hervé Bouchard échiffe la langue et la réinvente dans un souffle coriace et rugueux comme un vent du nord.

Références

Dans «Parents et amis sont invités à y assister», Bouchard présente une famille d’orphelins d’Arvida. Les références géographiques sont toujours importantes chez lui. Comme si l’écrivain avait besoin d’assurer son contact avec le sol avant de lancer sa complainte. Le père meurt, la mère se retrouve en institution et les tantes innombrables s’occupent des enfants. Les narrateurs sont peut-être des idiots, des attardés ou des adultes qui oublient de grandir. Mais laissons la raison raisonnante et basculons dans ce chant insolite.
«Elles descendirent  et tout alentour était vrai : l’usine au large de leur regard dans un voile de fumée qui sentait, la poussière en gris pâle, l’asphalte conjugué en mou, les poteaux gros de créosote, les murs en brique teintée en trente, les escaliers premiers du nom, des corneilles bleues, des moineaux à motifs et des fils de corde et des fils de fils maintenant tout au sol dans la musique qu’il faut, des érables à hélices, des saules en phase brune, des peupliers prêts à neiger, des ormes à bras, des sorbiers portant grappes, des pommetiers en pleurs, des cerisiers à romances, des terre-pleins à ras bords…» (p.84)
Nous nous enfonçons dans les strates du langage et l’auteur nous emberlificote dans une pâte onctueuse. Un texte qui s’entend fort bien. Il faut voir Hervé Bouchard sur scène, endossant ses textes. Je l’ai écouté plusieurs fois, à Québec comme à Jonquière. À chaque fois il réussit à nous égarer dans sa jungle textuelle et sa transe chamanique.
Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge.

Texte sauvage

Il faut revenir encore et encore sur les phrases de Bouchard pour en goûter la texture et l’inventivité. Je songe à la beauté touffue des lettres de la mère Manchée à ses enfants et à la réplique des fils. À couper le souffle! Ou encore cette véritable litanie autour de Lazare, le ressuscité. Un pur bonheur!
«Levez-vous et frémissez, frémissez, mes amis, car la résurrection du Lazare n’est pas un conte innocent sur lequel on se repose avant d’ensevelir notre frère là. Écoutez-le, lui, qui parle dans sa boîte en peuplier avant son heure, et préparez-vous à fuir.» (p.200)
Un blues qui ne laisse pas de répit. C’est dense, dur, chaque récitatif est écrit à la pointe du diamant. Une forme d’exorcisme qui passe par tous les replis de la vie et de la mort. Tout est là! Du plus cru à la trouvaille poétique qui s’invente des chemins de traverse.
Une souffrance terrible marque les écrits d’Hervé Bouchard. Elle n’est pas sans rappeler Samuel Beckett qu’il ne manque jamais d’évoquer comme l’un de ses maîtres. Une douleur d’être malgré les rires qui peuvent éclater. Ce «citoyen de Jonquière à carnet» est vraiment plein de ressources.

«Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier.