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vendredi 1 octobre 2010

Les amours impossibles de Sophie Bouchard

Sophie Bouchard récidive avec un roman d’amour et de désespérance, deux ans après la parution de « Cookie ».
L’univers marin est plus présent que jamais dans « Les bouteilles ». La mer devient un personnage qui rythme les jours et les nuits, tord les êtres dans leur solitude. Un univers de fureur et de silence.
Il faut un temps cependant pour découvrir le drame de Cyril qui s’est exilé sur un piton rocheux au milieu du grand fleuve. Depuis des années, il vit en marge des humains.
« Je vis dans un enfer, un phare entouré d’eau. Pas de terre à des kilomètres. » (p. 11)
Tout change avec l’arrivée de Frida et Clovis, un couple que l’isolement défait rapidement. Elle est rêveuse, aimante et sensuelle. Lui devient muet et indifférent, ne rêvant que d’automatiser le phare et d’en chasser les humains.
« Clovis ne s’arrête pas à écouter cette substance tangible et figée dans les longs silences de son amoureuse. Il justifie son caractère discret en la décrivant comme une personne sereine. En paix. Il ne voit pas ses yeux toujours humides. Un regard qui désire s’accrocher à une parcelle de terre cachée derrière la brume. Les vagues. Les jours où la silhouette de son village apparaît dans les montagnes, Frida se dénoue. Sa tête se remplit d’odeurs connues et rassurantes. Elle transpire la libération. Elle habite son corps. » (p. 17)
Le couple est désarçonné par les vents, les brouillards et les marées. Il n’y a qu’Armand, le commissionnaire, pour apporter un moment de répit. Le passeur s’amuse de la fureur des eaux avec ses provisions de mots.

Défaite

Le lecteur comprend peu à peu que Cyril est allé au Sénégal avec Rosée. Un séjour qui a failli le tuer. La misère, l’exploitation, les « boat people » qui prennent la mer, les corps roulés par les vagues à chaque matin, il n’en pouvait plus.
« Il quittait le confort d’un pays dévasté. Jardiniers. Cuisiniers. Gardiens de nuit. Ménagères. Une qui lavait les vêtements. L’autre qui époussetait les meubles. Une autre pour les carreaux et les planchers. Encore une pour balayer la cour. Rosée et Cyril avaient goûté à la richesse et leur maison se gérait comme une entreprise. Des employés à payer. Ils ne savaient plus que faire de leurs dix doigts. Ils engageaient les voisins pour qu’ils puissent se sortir la tête de l’eau et nourrir leurs familles nombreuses. Rosée adorait cette fourmilière, cette maison toujours pleine. Cyril culpabilisait et participait aux tâches quotidiennes. »  (p.105)            
Il est rentré. Rosée est restée. Après des années, elle lance des appels à son amoureux. Elle coule, elle meurt. Cyril tarde à répondre.
La mer amplifie les tensions. La tempête se déchaîne. Des vagues comme on en voit seulement dans les romans. Le phare est détruit. Clovis est emporté par une vague. Cyril et Frida retrouvent la côte. Ils sont devenus des naufragés qui tentent de colmater leur vie. Elle va au Sénégal et lui arrive trop tard. Rosée s’est jetée à la mer. Peut-être que c’est elle qui est venue buter contre le pic rocheux dans sa folle désespérance. Frida et Cyril ne peuvent qu’être une présence à l’autre après tout ce qu’ils ont vécu. C’est ce qu’ils peuvent après les tempêtes de l’amour.
L’aide au pays en voie de développement est questionné, le déséquilibre planétaire, la répartition des richesses, les iniquités et l’exploitation. Sophie Bouchard questionne des façons de vivre. La planète est en danger et si plusieurs lancent des bouteilles à la mer, ils ne reçoivent des réponses que rarement.
Une écriture haletante, épousant les vagues qui butent contre le phare et imposent la cadence. Comme dans « Cookie », les relations amoureuses s’avèrent impossibles. Chacun s’enferme dans son soi et n’arrive pas à s’ouvrir à l’autre. Il est toujours trop tard quand l’un pose un geste ou répond à l’appel de détresse. Une vision pessimiste ? Peut-être mais combien riche. On le sait, les grandes histoires d’amour finissent mal. Un roman enlevant, dense et particulièrement fascinant.

« Les bouteilles » de Sophie Bouchard est publié aux Éditions La Peuplade.

jeudi 11 décembre 2008

Sophie Bouchard présente sa Cookie

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.
Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.

Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.

Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.