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lundi 4 avril 2016

Francine Brunet nous étourdit encore une fois


FRANCINE BRUNET a de la suite dans les idées. Dans son premier roman, en 2014, elle nous transportait à La Tuque en Haute-Mauricie pour nous faire vivre des aventures assez particulières avec de vrais originaux. Elle a eu la bonne idée de faire appel à certains d’entre eux pour son tout nouveau roman. On retrouve Fernande Pouliot, l’infirmière, la coroner Alice Pelletier et même Tibi, un maniaque de musique un peu fêlé du chaudron. Je ne sais pas s’il y a une idée derrière ces publications, mais son premier ouvrage s’intitulait Le Nain et voici Le Géant. Toujours est-il que la Mauricie reste au cœur de ce nouvel ouvrage. Les migrations de Rosie, entre ses deux familles, les voyages de Victor au volant de son camion, les secrets de Franie et le curieux savoir de Babal nous poussent à la fois dans le monde autochtone et sur les grandes routes qui traversent l’Amérique du Nord.

Victor Scarpa, un homme plutôt impressionnant avec ses six pieds sept pouces, est camionneur et va pendant des jours sur les routes de l’Amérique au volant de son camion. De quoi faire saliver Serge Bouchard, celui qui s’intéresse à nos grandes figures du passé et qui adore les camions. Victor, un passionné de littérature, a fondé le ClubAudio et partage des enregistrements d’œuvres littéraires avec ses collègues qui se laissent charmer par une voix mystérieuse, celle d'une femme que tous voudraient connaître.
Belle idée que de partir comme ça sur les routes en écoutant un roman d’Agota Kristof ou de Yann Martel. Parce qu’un livre, après tout, est un voyage. Il faut une destination, un point de départ et un point d’arrivée. Comment ne pas penser à Jean-François Caron, cet écrivain devenu camionneur depuis peu et qui explore le continent au volant de son poids lourd ? Il était au Nouveau-Mexique aux dernières nouvelles. Je lui souhaite de rencontrer le géant Scarpa. Il pourra lui emprunter un roman et l’écouter en descendant lentement vers le Sud ou en remontant vers le Nord avec les outardes. Pourquoi pas l’un de ses ouvrages ? J’opterais pour Rose Brouillard, le film. Il pourrait rouler dans son imaginaire et « s'entendre » d’une autre manière.
Francine Brunet, dans Le Nain, multipliait les rebondissements et les intrigues. Elle fait preuve encore une fois d’une imagination débridée et bien des histoires se croisent, se bousculent pour nous dérouter. Rosie, Franie, Babal, Victor et Luciano, un policier qui se retrouve derrière un volant à cause d’une histoire d’amour, tous nous entraînent dans les courbes de la vie. Tous taisent des secrets qui, parfois, deviennent trop lourds. C’est le propre des livres que de révéler ce que l’on cache dans la vraie vie.

SUICIDE

La mère de Franie, Angela, s’est suicidée de façon spectaculaire en se jetant du haut du pont Mercier. Une triste histoire que personne ne veut évoquer, surtout pas sa fille qui amorçait une carrière de comédienne. Tout s’ouvrait devant elle, mais la vie lui a fait prendre une autre direction. Et elle a joué un rôle dans  cette tragédie qu’elle a du mal à avouer.
Il y a Rosie, la fille de Victor et de sa première épouse Madeline. L’adolescente vit en garde partagée et voudrait bien s’installer avec son père. Une jeune fille qui aime les chiffres et les mathématiques.

Aujourd’hui, assise en classe pour son cours d’algèbre et portée par cette inclination pour les mathématiques, Rosie trouve tous les x et les y infiniment poétiques. Bien entendu, elle s’émerveille en solitaire. Ses copines ne comprendraient pas. C’est un phénomène qu’elle goûte en secret afin de ne pas être étiquetée nerd et se retrouver seule. Elle a aussi appris à taire ce que le tableau rempli de chiffres produit dans sa tête. Les chiffres ont leur couleur propre et Rosie voit des couleurs qui se croisent, se tissent, s’entremêlent. Une équation se transforme en arc-en-ciel. (p.24)

Il y a aussi les tantes Anni et Couni, des Atikamekw revenues vivre dans le secteur de La Tuque, des jumelles qui ne se sont jamais quittées. Elles partagent des plaisirs secrets. Autant le dire, des enregistrements particuliers tout en buvant une tisane qui fait planer un peu. Elles ont un penchant pour les histoires érotiques et un peu corsées.
Victor est aux prises avec les problèmes de sa fille qui prend de la drogue, doit partir sur les routes, se lie d’amitié avec Luciano. Il y a les livres du ClubAudi, les découvertes, les rencontres avec les collègues, les échanges et les petites discussions, la voix envoûtante de celle qui les berce d’un océan à l’autre.
J’ai déjà fait l’expérience d’écouter un roman en circulant entre le Lac-Saint-Jean et Montréal. J’avais glissé le CD dans le lecteur en m’éloignant de la maison pour arriver sur le pont Jacques-Cartier à la fin de l’histoire. Une manière de basculer dans une autre dimension, de perdre la notion du temps et de l’espace. Une voix vous entraîne sur une route qui est peut-être celle de l’imaginaire et du bonheur.

ENQUÊTE

Il n’y a pas plus routinier que la vie d’un camionneur qui se retrouve seul dans l’habitacle de son gros véhicule et qui franchit des distances qui me font frémir. Je n’aime pas particulièrement être au volant et conduire un camion s’avérerait un supplice. Victor apprend que l’on fait le trafic de matériel pornographique entre les États-Unis et le Canada. Les camions sont fouillés aux frontières. Cela crée une certaine tension et les hommes deviennent un peu plus nerveux.

Luciano Vidal sirote son café. Son relais est en retard. Il pense qu’il n’aurait pas dû se confier ainsi à Victor. Mais qu’est-ce qu’il lui a pris ? Il se dit aussi qu’il devra donner un coup de fil à son ancien collègue Robitaille, pour le sonder à propos de l’affaire Chucky. Les gars commencent à jaser autour et à se poser des questions. Il se passe quelque chose. Une enquête doit être en train de se faire. Vidal ne peut le nier. Le boulot lui manque. (p.80)

Cette enquête va s’effilocher et disparaître tout simplement. Francine Brunet voulait nous pousser dans une fausse direction. Ça nous permet pourtant de cerner Franie et de découvrir peu à peu le drame de son enfance. Sa mère Angela était une droguée, une alcoolique et une itinérante qui souffrait de problèmes mentaux. Elle n’a pas su s’occuper de sa fille et ce sont les grands-parents qui s’en sont chargés. Les frasques de sa mère finiront par faire mourir son grand-père, un capitaine qui naviguait sur le Saint-Laurent. Il y a aussi un certain Franky Tousignant, un phénomène, avec qui sa mère avait des liens

Franky Tousignant mourra à l’âge incroyable de cinquante-six ans, au bout de trente-quatre jours aux soins palliatifs de l’hôpital de La Tuque. L’errance d’Angela et la rousseur de Franie l’ont toujours gardé à l’abri de la reconnaissance de sa paternité. (p.186)

Des attaches que Franie ne veut pas voir.

VOYAGE

Tout le monde voyage dans ce roman. Les tantes Anni et Couni, après une vie à Montréal, ne cessent de migrer entre le chalet du lac Vert et La Tuque. Rosie oscille entre ses deux foyers, connaît certaines expériences plus ou moins difficiles. Babal étonne un peu tout le monde avec sa propension à réciter des versions plutôt épicées de La Belle au bois dormant à la garderieSon prince ne se contente pas d’un chaste baiser pour réveiller sa dulcinée.
Bien des pirouettes, des fausses pistes avant d’arriver à cerner le personnage de Franie, de s’arrêter au drame qui a brisé sa vie. Elle est particulièrement marquée par sa mère. Heureusement, Victor est solide comme le roc. Rosie devient une complice et tout le monde l’aime même s’il y a une faille dans sa vie. Et peut-être qu’une thérapie va lui permettre d’éloigner la dépression qui lui tombe dessus avec l’automne.
Pour Francine Brunet la vie est une suite de récits qu’il faut écouter, réécouter comme le font les camionneurs quand ils s’isolent dans leur habitacle et qu’ils se laissent bercer par la voix enchanteresse de leur lectrice mystérieuse. Parce que c’est par elle que tout arrive et par elle que tout va. Cette voix qui aura des effets particuliers sur son bébé.
Il y a une effervescence dans les récits de madame Brunet qui peut créer la dépendance. C’est frais, souriant, pétillant malgré les drames terribles que chacun transporte. Un véritable bonheur que de se laisser emporter sur les routes de l’Amérique avec la voix de cette écrivaine que j’imagine riante et pleine de soleil. Un livre qui nous permet de plonger dans les secrets de ses personnages, comme on le fait quand on s’abandonne à une intrigue qui permet le plus beau des départs. Une écriture simple, quasi invisible qui cède toute la place à des personnages séduisants. Une plongée dans la littérature et la vie qui sont la source de toutes les histoires, bonnes ou mauvaises. Je me suis bien amusé malgré la gravité qui reste toujours présente dans les écrits de madame Brunet.

PROCHAINE CHRONIQUE : L’INTERROGATOIRE DE SALIM BELFAKIR d’Alain Beaulieu publié chez Druide.

Le Géant de FRANCINE BRUNET est paru chez Stanké, 224 pages, 24,95 $.

mercredi 10 septembre 2014

Une formidable façon d’entrer en littérature

Le frère Marie-Victorin affirmait : « On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas un territoire dont on ne connaît pas le nom ». Le Québec demeure un espace à dire par le roman, la poésie, l’essai ou le carnet. La Tuque est l’un de ces territoires où la littérature se fait discrète. Bien sûr, Félix Leclerc nous a présenté son pays et Louis Caron a sillonné le secteur de la Mauricie dans plusieurs romans. Quel auteur vit dans cette ville ? J’ai cherché. Francine Brunet, dans Le nain, nous entraîne dans cette agglomération située au cœur de la forêt, l’un des plus beaux lieux du Québec.

Il ne faut pas s’attendre à une description détaillée de la ville. Le secteur est évoqué, le moulin qui veille sur la ville de 15 000 habitants, recouvre tout de sa fumée et de son odeur. C’est une papetière après tout. Un espace, des personnages qui fascinent. Francine Brunet m’a accroché par son monde et son écriture. Il a suffi de quelques phrases et je savais que j’irais jusqu’au bout.

Edmond n’avait pas atterri dans le bon corps. En plus, on avait oublié de l’envoyer à l’école. Une chance qu’il avait conçu tout seul un code qu’il inscrivait dans un cahier à trois trous avec une couverture jaune. Ses notations étaient numérotées de 1 à 9, les seuls chiffres qu’il avait jugé nécessaire de connaître. (p.9)

Un ton, une galerie de personnages gravite autour d’Edmond que tous nomment le nain. Tante Nini se traîne par terre, ses jambes ne la portent plus à cause de la polio. Ti-Bi son cousin, un déficient léger est passionné par la musique, tante Marion se perd dans la fumée de ses cigarettes. Elle fume, fait des lavages et repasse des vêtements toute la journée. Que dire de Towing et Trois Gallons, la belle policière qui fait tourner les têtes et de Fernande Pouliot, cette infirmière qui sait tout… Il y a aussi Éva la mère d’Edmond avec son œil malade. Une sorte de pirate.
La Tuque, je disais, un pays de forêt, de montagnes. La rivière Saint-Maurice, l’une des plus belles du Québec.

L’air était froid maintenant. L’automne régnait et les couleurs des feuillus explosaient entre les conifères. Une saison parallèle s’édifiait à même cette nature : la chasse à l’orignal. Alice avait aperçu ses premiers panaches couronner le toit ou le capot des véhicules. Elle avait assisté à différentes parades de véhicules tout-terrain, ce qu’on appelait des VTT, et avait vu s’ériger la tente du Festival du Bûcheron. Les magasins de la rue Commerciale avaient déguisé leur devanture en forêt de contreplaqués. L’ambiance était festive, joyeuse. (p.62)

Et nous voilà dans une histoire étrange. Edmond collectionne tout ce qu’il trouve, surtout des clous. Il pratique le troc. Autrement dit, il échange des objets pour d’autres. Sa passion pour les trains miniatures l’obsède et il ne cesse de se procurer de nouveaux wagons pour allonger son réseau ferroviaire qui va finir par envahir toute la maison. Une façon de partir, de s’évader du quotidien peut-être.
Il faut autre chose pourtant pour faire un roman. Je n’avais pas prévu ça. J’étais en plein roman policier. Trop tard pour reculer, j’étais accroché. Je ne fréquente pas tellement le genre voyez vous, mais je ne pouvais plus abandonner le nain que Trois Gallons surveillait en imaginant les pires sévices. Les fausses pistes se multiplient. J’étais devenu un chien fou qui va partout en tentant de savoir ce qui était vraiment arrivé. J’en ai un peu honte maintenant.

Monde ordinaire

La population de La Tuque vaque à ses occupations. Les policiers patrouillent, la belle Alice, la jeune médecin légiste, arrivée pour un stage, cause un certain remous sur son passage. Même Edmond n’est pas indifférent. Pas de quoi impressionner Fernande Pouliot, l’infirmière qui pourrait en remontrer aux plus grands spécialistes.
Un accident de la route, un véritable carnage, la découverte d’une certaine quantité de drogues dans l’auto de Gérard Doucet, un citoyen au-dessus de tout soupçon. La Sûreté du Québec mène une opération partout en province pour démanteler un réseau de trafiquants. Nous avons l’habitude depuis quelques années. Trois Gallons, le frère du policier Harold Michaud est la victime toute désignée. Il rêvait de porter la veste de cuir des motards et a découvert très tôt qu’il aimait faire souffrir les gens. L’enquête traîne, le verglas fige tout le pays et peut-être aussi les cerveaux. On s’en souvient. Une étrange anémie frappe plusieurs jeunes. Qu’est-ce qui se passe ?
Des moments très beaux, tendres même, une poésie toute simple m’a retenu. On dirait ces relais le long de la route où nous pouvons nous arrêter pour respirer, regarder, être bien dans tout son corps.

Edmond éteignit la télé et se rendit à la fenêtre. La neige avait cessé d’imiter les lignes d’un cahier. Elle tombait debout en chancelant. Il supposa que la vie comme la neige ne passait pas en ligne droite. Elle ne venait pas de l’arrière et n’allait pas de l’avant. La vie descendait, même en tournant en rond, et disparaissait. Il se décolla de la vitre, fit sa ronde de pompier et se coucha. (p.93)

Tante Nini en a assez de vivre sur le plancher. On peut parler de suicide assisté. Ti-Bi déménage et délaisse son cousin. Il n’en a plus que pour son nouveau piano. Edmond est retrouvé mort dans le bain, vêtu d’un gros manteau de fourrure. Qui a tué le nain ? Trois Gallons ? Il est le coupable désigné. Et que racontent ces fameux cahiers à trois trous que l’on a trouvés chez le nain ? Des messages codés, une liste de transactions douteuses. Nous voilà à chercher partout, dans des histoires d’amour, des vengeances, des dépendances, des obsessions qui sont le lot de tout le monde.

Souffle

J’ai lu ce roman d’un souffle, me perdant volontiers dans les méandres d’une histoire qui semble tourner en rond et que l’écrivaine prend plaisir à pousser dans toutes les directions. Je suis redevenu un adolescent qui découvre des personnages et s’enfarge dans une intrigue qui ne cesse de s’embrouiller. C’est un art que de raconter une histoire, de faire vivre des marginaux qui restent crédibles. Francine Brunet réussit de manière étonnante. Une fin qui vous surprend et que l’on aurait pu deviner. Les indices sont là, dissimulés un peu partout comme les traces d’un orignal dans la forêt. J’aurais fait un bien mauvais enquêteur. Le coupable n’est pas le coupable. Un peut tout le monde est peut-être responsable de cette mort étrange. Une belle manière de parler de La Tuque et de la faire entrer en littérature. Que demander de plus ? Une histoire solide, des personnages fascinants, une écriture tout près de l’oralité, particulièrement efficace et qui trouve des accents poétiques qui sont de véritables petits bonheurs.

Le nain de Francine Brunet est paru aux Éditions Stanké. 
http://www.editions-stanke.com/francine-brunet/auteur/brun1101