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lundi 20 septembre 2010

Ying Chen jette une douche d’eau froide sur le monde

Autant j’ai aimé « Immobile » et « L’ingratitude » de Ying Chen, autant j’ai eu du mal avec « Querelle d’un squelette avec son double » et « Quatre mille marches ». Assez pour ignorer la prose souvent alambiquée de cette écrivaine, ses parutions en 2006 et 2008.
Avec « Espèces », l’écrivaine d’origine chinoise signe un court texte étonnant comme toujours. Une femme disparaît aux yeux des humains, se réincarne en chatte et continue sa vie auprès de son mari. Une bête au poil soyeux qui se souvient de tout même si elle a perdu l’usage de la parole.
Rien n’allait plus avec A. le mari. Surtout depuis la disparition de l’enfant qu’elle avait trouvé sur le pas de sa porte et adopté. Comment se produit cette métamorphose ? Le lecteur ne le sait pas et ce n’est pas là le propos de la romancière.
« Je me félicite de ma renaissance un peu décadente si on veut le croire, apparemment peu prometteuse, mais qui m’assurera, telle une récompense matérielle, j’en suis persuadée par l’expérience de mes autres vies, une capacité d’idolâtrer, un pouvoir de séduire, une possibilité de rendre A. plus viril, plus à son aise, plus amoureux, en le laissant triompher sur moi. » (p. 14)

Découverte

Le félin goûte à la liberté de circuler et de jouer, aux odeurs de la ville, aux charmes de la nuit et du jour. Elle découvre la générosité des gens et les chats du quartier qui n’en mènent pas large. Tous sont castrés, repus, trop gras, dorlotés par des maîtres qui comblent ainsi un manque d’affection.
Cette entourloupette permet à Ying Chen de jeter un regard singulier sur les hommes et les femmes, leurs façons de vivre et leurs préoccupations souvent futiles.
« La communication n’est jamais possible avec l’autre parce qu’il n’écoute pas, que personne ne l’intéresse jamais vraiment. Sa tête est remplie d’idées à lui, il n’y a plus de place que pour les informations impersonnelles en tant que sources d’idées, que pour des citations d’étrangers, de préférence illustres, comme simples supports de sa pensée. » (p. 46)
La nouvelle représentante de la race féline a peu de considérations pour l’espèce supérieure de la création même si elle vénère son maître, plus même que du temps où elle était femme.
« Lorsque, du haut de ma fenêtre, j’aperçois leurs silhouettes et leurs mouvements à travers les arbres, à travers la vitre de ma fenêtre, je vois peu  de différence entre eux et la famille des rats, des oiseaux ou des fourmis. L’univers rajeunit quand il se libère des humains, de leurs regards réprobateurs pour je ne sais quelles raisons ni de quels droits, de leur pensée bruyante, assommante et savamment hypocrite, de leur mémoire et de leurs trésors pourris. » (p.62)

Rencontre

Peu à peu la jeune chatte apprivoise A. et c’est le bonheur parfait jusqu’à ce qu’une autre femme arrive dans la maison. Les deux femelles deviennent des rivales. C’est même amusant quand elle décrit les ébats amoureux de A. avec sa nouvelle flamme.
« Puis ils se précipitent dans l’escalier, appelés par une autre faim plus impérieuse. Bientôt la maison est remplie de bruits suspects, de gémissements et de respirations fortes, de frottements de pieds de chaises sur le plancher, de chocs de tête contre le mur… On croirait que les squelettes dans la cave se mettent à danser. » (p. 178)
Rien ne trouve grâce aux yeux de la chatte. Elle subit l’opération qui la rend stérile et se retrouve moins alerte et plutôt indifférente. C’est peut-être ce qui attend l’humanité.
Je ne sais pourquoi, j’ai eu l’impression tout au long de ma lecture de n’être pas dans le coup. Peut-être la façon de dire et d’écrire toute en circonvolutions qui tient à distance. Ce qui est souvent très dur et outrancier fait plutôt hausser les épaules.
Il s’avère difficile de suivre les personnages de Ying Chen, d’adhérer à ses curieuses histoires. Dommage parce que l’idée est excellente et le regard percutant.

« Espèces » de Ying Chen est publié aux Éditions du Boréal 

mardi 14 décembre 2004

Ying Chen trouve refuge dans l’écriture

Ying Chen, écrivaine d'origine chinoise, arrivait au Québec en 1989. Son entrée dans la littérature d’ici fut assez spectaculaire avec «Les Lettres chinoises», «L'Ingratitude» et «Immobile». Des ouvrages qui permettaient de découvrir une belle sensibilité et un monde fascinant. Dans «Quatre mille marches», elle explique son rapport à l’écriture et la vie.
«Je veux que pour une fois mon carnet soit exempt des éléments fictifs, qu'il serve de point final à une tristesse usée. Un enterrement peut être parfois un secours.» (p.9)
Lors d'un retour à Shanghai, le temps de tourner un documentaire, elle retrouve ses parents après dix ans d’exil. Pas de larmes, aucune exubérance! Ying Chen est devenue une étrangère au pays de sa naissance. Dorénavant, sa patrie est le monde de l'écriture.
«Aujourd'hui, j'ai l'impression de n'être pas vraiment née, de n'avoir jamais vraiment vécu avant vingt-huit ans, avant de m'être mise à écrire pour de bon.» (p.13)

Abandon

En quittant la Chine, Ying Chen abandonnait sa nationalité comme une vieille robe et plongeait dans une nouvelle langue pour s'y effacer. Il faut peut-être parler de mutation dans son cas. Comme si elle s’arrachait à tout ce qu’elle était pour se sculpter dans une nouvelle culture, d'autres langues devrais-je dire. Le « territoire des langues » donne dorénavant une direction à sa vie et contribue à former un nouvel être à chaque expression ou mot qu’elle découvre. Elle est heureuse dans ces glissements vers une autre identité. Comme une voyageuse qui se grise du vol de l’avion mais qui veut repartir aussitôt qu’elle a posé le pied dans l’aéroport.
«Mais l'écrivain par sa nature d'enfant sauvage est irrésistiblement attiré par la langue et la littérature, cette chose vague, indéfinie et sans cesse en devenir, qui risque à tout moment de lui filer entre les doigts. L'écrivain est en exil dans la langue.» (p.93)
Elle a d'abord apprivoisé le français mais ce n'était que le début d’une longue pérégrination. La migration la pousse encore et toujours vers «cette autre femme» qu'elle pourchasse en plongeant dans d’autres langues pour «renaître, avec une peau toute neuve, sans plaie et respectable?»

Le rêve

«Je rêvais et je rêve encore de franchir la barrière des langues, convaincue que toutes les cultures peuvent me nourrir, que je suis ma propre origine qui se forme, se disperse et se reforme au fur et à mesure que je voyage, que je suis moi avant d'être shanghaïenne, chinoise, québécoise, canadienne ou autre.» (p.48)
Comme si en explorant une autre langue, elle cherchait à oublier tout ce qui fait qu'elle  est Chinoise.  Il faut savoir que Ying Chen a grandi pendant la Révolution culturelle en Chine. Un régime politique où le je n’avait guère d’espace et de sens. Aujourd’hui, elle semble basculer dans l'excès contraire. Elle nie toute appartenance, toutes racines pour n’être plus qu’un moi errant. Elle peut sembler moderne à l’époque de la mondialisation mais rejeter l'histoire et tout nationalisme, est-ce raisonnable? Que serait Léon Tolstoï sans sa langue, son peuple et son milieu? Qu'aurait été Gabriel Garcia Marquez et Günter Grass sans des ancrages nationaux qui en ont fait les écrivains que nous connaissons. Danny Laferrière peut-il oublier sa naissance haïtienne? Est-ce que le glissement d’une langue vers une autre peut donner un ancrage à un écrivain? Arrivera-t-elle à «construire un abri pour mon corps méprisable.»
«On existe, n'est-ce pas, dans la langue et par la langue.» (p. 36) «Je ne sais plus trop où est mon vrai sol et quelle est ma vraie langue. Le passé et l'avenir se confondent.» (p.37)
Ying Chen s’accroche à ce présent qui file et s’échiffe. Un instant qui contient à la fois le passé et l’avenir. Une réflexion troublante et une haine dérangeante de ce qu’elle est «de ma peau avec son insupportable couleur, cette laideur et cette honte!».
L’esthétisme de Ying Chen me semble beaucoup plus une dérobade qu’un véritable approfondissement de ce qu’est l’écriture, cette quête de soi et du monde qui surgit et se transforme dans et par le langage. L’apprentissage des langues, de toutes les langues dans ce cas, devient un abandon et une négation de soi. Bien plus, c’est là une trajectoire qui risque de faire oublier l’écrivaine que nous avons découvert avec bonheur. Dans «Quatre mille marches» on ne retrouve pas la justesse de la langue de «L'Ingratitude», ni sa limpidité. Le français de Ying Chen semble s’étioler. Dommage! A vouloir posséder toutes les langues, on n'en maîtrise peut-être plus aucune.

«Quatre mille marches» de Ying Chen est paru aux Éditions du Boréal.