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vendredi 28 juillet 2023

JEAN DÉSY A MAL À SON PAYS DU NORD

JE CONSTATE en m’attardant à la biographie de Jean Désy qui apparaît à la fin de Être et n’être pas qu’il y a plusieurs de ses titres que je n’ai pas lus même si j’ai parcouru la plupart de ses romans, ses récits et ses essais avec plaisir. Nos rencontres, toujours intéressantes et fort intenses, permettent de combler mes lacunes. Parce qu’avec Jean Désy, nous allons rapidement à l’essentiel, à ce qui fait que la vie est étourdissante et fascinante. Nous venons de passer un beau moment ensemble. Un groupe d’une dizaine d’écrivains et écrivaines, malgré le smog, a débarqué sur l’île Connelley, l’une des nombreuses îles du lac Saint-Jean, dans le secteur de Saint-Gédéon. Charles Sagalane faisait office de guide. Un endroit où une de ses bibliothèques de survie occupe un lieu de rêve sur une courte plage piquée de pins qui poussent dans le sable, jusqu’à la frange de l’eau. 

 

Jean Désy m’a offert Être et n’être paschronique d’une crise nordique que je n’avais pas parcouru lors de sa parution en 2019. Le texte vient d’être réédité par Bibliothèque québécoise dans un format de poche, propre à la lecture nomade comme je le fais souvent dans le parc de la Pointe Taillon par cet été chaud et imprévisible. Un coin à l’ombre devant le lac et un moment de recueillement dans le plus beau des silences. 

La page couverture présente nanuq, un ours blanc assis sur sa terre de glace de plus en plus menacée par le réchauffement climatique. Il nous regarde droit dans les yeux. Une bête dangereuse qui semble si douce pourtant. Il incarne bien le Nord du Québec, ce pays magnifique aux humeurs changeantes qui ne font jamais de quartier. 

Un livre rédigé pendant ses séjours à Salluit situé au nord du Québec, tout au bord du détroit d’Hudson. Jean Désy, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, y travaille comme médecin, effectuant des remplacements pendant de courtes périodes. Des récits écrits entre 2016 et 2018. Il était alors de garde à Salluit, mais devait répondre aux appels qui proviennent de tout le secteur et réagir aux urgences qui ne manquent jamais de survenir, surtout au milieu de la nuit. Beaucoup de consultations par téléphone. Des décisions à prendre rapidement malgré les aléas du climat qui immobilise la communauté pendant des jours quand le vent se met à souffler et paralyse tout dans le pays.

 

«Dans le cas de ce présent essai, j’ai colligé plusieurs faits et anecdotes qui me sont arrivés dans le Grand Nord, notant ce qui me passionnait, m’émouvait, mais aussi me dérangeait ou me troublait. J’ai voulu plonger dans ces “écrivages” d’abord parce que le Nord avec ses espaces infinis, souvent faits de toundra, m’a toujours puissamment inspiré, tout comme il continue de fournir un sens magnifié à mon existence.» (p.9)

 

Pratiquer la médecine dans ce coin de pays, c’est faire face à des situations difficiles. Des accidents et contrer si possible les effets de l’alcool et des drogues qui constituent un véritable fléau dans cette partie du Québec. On le sait maintenant. Les Québécois qui ont séjourné dans ce pays ont donné un bon aperçu de la vie des Inuit d’aujourd’hui. Ils sont désorientés, perdus sur un territoire qu’ils avaient pourtant réussi à apprivoiser au cours des siècles. Le Nord va mal. Que ce soit Jean Désy, Juliana Léveillée-Trudel ou Félicia Mihali, tous décrivent une société en proie à des problèmes de violence et un désarroi indicible.

 

«Que se passe-t-il au Nunavik, particulièrement autour de l’adolescence, pour que ces êtres si naturellement joyeux plongent dans de tels états de détresse, parfois en l’espace de quelques semaines, sombrant dans les innombrables addictions qui deviennent de réelles “antichambres” du suicide?» (p.31)

 

Le médecin réagit aux cas les plus urgents, mais il n’a pas beaucoup de ressources pour soigner l’âme de ce peuple qui ne sait plus à quoi s’accrocher. Femmes battues, violées, accidents de VTT, que l’on conduit saoul à une vitesse folle, maladies mentales, alcoolisme qui use rapidement les adultes. Des enfants abandonnés, une détresse qui pousse des jeunes à en finir. En plus, la tuberculose en recrudescence dans ce coin de pays. Un fléau que l’on croyait disparu depuis un moment de la surface du globe.

 

«Une centaine de cas auraient été diagnostiqués au cours des trois dernières années. J’ai du même coup appris que c’est à partir des “smoke houses” que se déclareraient les principaux foyers. Dans ces petits cabanons à peine chauffés, faits de simples panneaux en contreplaqué, s’entassent des dizaines de jeunes fumeurs de marijuana ou de haschich qui jouent aux cartes en toussant. La consommation de “mari” fait particulièrement tousser.» (p.136)

 

Jean Désy aime le Nord, les grands espaces, la lumière singulière des jours sans fin, sa splendeur, son calme et aussi ses humeurs. La toundra est devenue nécessaire à cet agité qui se dit nomade et qui est toujours prêt à aller voir ce qu’il y a derrière une colline ou une chaîne de montagnes. Il doit y séjourner plus ou moins souvent pour s’apaiser et se ressourcer, pour sentir «son âme s’envoler». Parce que l’endroit est propice au recueillement et à la méditation, aux excursions où l’on se retrouve face à soi-même.

 

RÉFÉRENCES

 

Bien sûr, le Nord est désemparé et déboussolé. Le peuple inuit a perdu ses ancrages en devenant sédentaire après avoir parcouru ces vastes territoires pendant des millénaires, s’y adaptant parfaitement malgré un climat très rude. Le Nord est malade de tous les maux du Sud. Les jeunes sont branchés sur les réseaux sociaux qui les mettent en contact avec un univers d’abondance et de consommation qui les coupe de leur réalité. Surtout, ce peuple est en voie d’oublier son passé et n’a plus guère d’emprise sur son présent. Une situation tragique qui ne peut laisser indifférent. Jean Désy en est pleinement conscient et il ne peut que se sentir impuissant devant ces hommes et ces femmes qu’il aime par-dessus tout. 

 


PROBLÈMES

 

Tout au long de ses récits, l’écrivain suggère des solutions qui touchent la configuration des villages par exemple. On a importé la banlieue du Sud dans le Nord sans consulter personne. L’éducation qui est la clef de l’avenir, doit être repensée. Les jeunes finissent rarement leur secondaire et quand ils veulent poursuivre des études, ils doivent s’exiler à Montréal souvent où ils ont beaucoup de mal à s’adapter. 

Le médecin connaît bien les problèmes et les ravages causés par l’alcool, mais nul ne peut sauver quelqu’un contre son gré. Ce sont les Inuit qui doivent trouver des manières de se guérir de leurs dépendances et de leur mal-être. 

Un récit humain, à la limite du tolérable avec des cas de violence qui vous laissent sans mots. Que dire des suicides qui se font dans l’indifférence presque? Désy raconte qu’un jeune s’est pendu dans une chambre, pendant que ses amis attendaient dans la pièce d’à côté. 

Un livre important pour comprendre les tourments du Nord et les ravages que les Blancs ont causés chez cette population que nous avons infantilisée et rendue dépendante. Une nature dure, époustouflante, fascinante, mais un peuple en plein désarroi qui a peut-être perdu le Nord. Un clin d’œil à Shakespeare, bien sûr avec ce titre, mais il y a pire que la grande question que posait William. Que faire quand on vit, mais qu’on n’est rien, que l’on a égaré son âme, sa culture, son regard sur son environnement et même sa langue? Des textes perturbants. Jean Désy y dévoile sa sensibilité et son empathie pour ce peuple en plein désarroi. À lire absolument.

 

DÉSY JEANÊtre et n’être paschronique d’une crise nordique, Bibliothèque québécoise, Montréal, 200 pages.

http://www.livres-bq.com/catalogue/355-etre-et-n-etre-pas.html 

vendredi 21 octobre 2016

Jean Désy se laisse emporter par sa pensée nomade

JEAN DÉSY AIME le Nord et en a souvent parlé dans ses romans et ses récits. Les habitants de ces lieux qui ont su s’adapter à un climat particulièrement rude le fascinent. Il en a tiré une manière de vivre, une façon de voir qui lui procurent des « vibrations d’âme ». Certains lieux vous emportent et permettent, peut-être, d’atteindre une autre dimension quand le ciel multiplie les étoiles, quand dans le désert le silence devient palpable. Dans Amériquoisie, Jean Désy regroupe des textes écrits au fil des ans, réfléchit à l’esprit nomade, le monde autochtone et métis qui pourrait changer notre regard et nos façons de vivre en cette terre d’Amérique.

Le terme Amériquoisie témoigne de la quête du pays « qui n’est toujours pas un pays », d’une patrie que l’on ne cesse de chercher et d’inventer, de trouver et de perdre, d’une réalité qui reste au cœur du devenir de tous les résidents du Québec. L’histoire a cherché de nouveaux qualificatifs pour dire cette terre d’Amérique, la présence des Européens francophones et des Autochtones. Il y a d’abord eu le terme canadien qui désignait les premiers Blancs à vivre au Canada. Après la Conquête, ce fut les Canadiens français pour différencier la présence française de celle des anglophones. Au début des années soixante, le terme québécois est apparu pour désigner les habitants du territoire du Québec. Faut-il trouver un autre nom pour englober les nations indiennes qui vivent ici depuis des millénaires ?
Gilbert Langevin, dès les années 1970, parlait d’Amériquois dans sa poésie. Un poème tiré de son anthologie PoéVie témoigne de sa pensée.

Amériquois
avec ou sans fusil
par gestes et par cris
plaise à tous que notre vie
donne aux racines
suprématie

Jean Désy reprend le terme et en donne une définition qui correspond à cette volonté de dire le Québec de maintenant dans toutes ses dimensions.

L’Amériquoisie, c’est le pays rassemblant les gens des Premières nations comme ceux qui vinrent en terre d’Amérique après Christophe Colomb… … On peut imaginer que l’Amériquoisie pourrait représenter le territoire de tous les Québécois à travers l’Amérique du Nord. (p.6)

Une idée inclusive pour employer un mot à la mode qui englobe tous les résidents du Québec, surtout les nomades qui parcouraient cette terre du nord au sud, de l’est à l’ouest, avant l’arrivée des Européens.
Jacques Cartier, dans son journal, n’arrête pas de baptiser les lieux qu’il découvre en remontant le fleuve Saint-Laurent. C’est le début de la dépossession pour les Autochtones. Les Européens feront partout la même chose, en Amérique ou en Asie, convaincus que le monde leur appartenait.

AUTOCHTONES

Désy est fasciné par les pays du nord qui ont longtemps été négligés. Ils ont fait fantasmer des écrivains comme Yves Thériault dans Agaguk, ou encore Paul Bussières dans Mais qui donc va consoler Mingo ? Un pays rêvé, un pays qui englobe tous les vivants de ce territoire qui est le dernier refuge de la vie sauvage.

Le métissage, c’est l’union physique de deux personnes de groupes ethniques différents qui permet la venue au monde d’un être neuf, issu de deux univers, mais fraîchement ouvert à un univers plus large, plus libre, plus aéré. La métisserie, c’est le métissage, mais culturel, affectif, spirituel, idéel. (p.7)

Ce métissage a été important au début de la présence française. On encourageait des jeunes à faire des séjours prolongés dans les tribus indiennes pour y apprendre la langue et pratiquer le métier de « truchement ». Ce fut la naissance des coureurs des bois qui ont choisi souvent de vivre à l’indienne, adoptant leurs mœurs et en épousant des autochtones. Ils devenaient « des ambassadeurs » entre les nombreuses tribus qui se partageaient le territoire et les Français qui faisaient le commerce des fourrures. Ils explorèrent l’Amérique du Nord, parcourant les fleuves et les rivières, étendant les frontières de la Nouvelle-France à la grandeur du continent.
Le cinéma américain nous a montré souvent des chariots avançant lentement dans les plaines de l’Ouest. Les migrants se butent souvent à des tribus indiennes avant de s'approprier leurs terres. On oublie que ces vallées ont été parcourues par les coureurs des bois francophones, formant une nouvelle société métisse où le français et les langues indiennes se mélangeaient. Ce personnage du coureur des bois a été biffé de nos manuels d’histoire, étant mal vu par le clergé qui imposait la vie sédentaire pour mieux contrôler ses ouailles.
Une époque fascinante que Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque ont fait revivre dans Elles ont fait l’Amérique ou dans la série radiophonique De remarquables oubliés animée par Bouchard. De véritables héros qui ont exploré un continent. Je pense à Émilie Fortin, originaire d’Alma, et Nolasque Tremblay de Chicoutimi qui ont marché l’Amérique du Nord. Émilie Fortin a été la première femme blanche à vivre au Klondike. 

MAINTENANT

On peut rêver devant les exploits des coureurs de bois et des découvreurs, mais qu’en est-il aujourd’hui ? Un courant de pensée voudrait que le Québec soit une terre métisse. Des films, des essais tentent de prouver cette réalité. Des regroupements de métis demandent d’être reconnus par les gouvernements. John Saul, dans ses ouvrages, tente de démontrer que le Canada a hérité de la pensée indienne par sa manière de voir la réalité et de régler les conflits. La fameuse pensée circulaire, une certaine volonté de conciliation et la recherche du consensus. Les Casques Bleus seraient nés de cet esprit. On peut ajouter au Québec notre désir de vivre pendant la période d’été près de la nature, notre passion pour la chasse et la pêche, le goût du voyage qui viendrait de notre héritage nomade.
Je veux bien que l’on fasse tout pour que les Autochtones retrouvent leur pays, qu’on abolisse les frontières des réserves et qu’ils deviennent des citoyens de première instance dans le Plan Nord qui fait saliver les exploiteurs du Sud. Je m’inquiète cependant. Le Plan Nord risque de détruire un dernier refuge. Les entreprises vont là pour s’approprier les ressources naturelles, raser les forêts, détruire souvent l’habitat des autochtones et des animaux. Un plan d’invasion qui va mener à la destruction de territoires fragiles. Les habitants de ces pays n’ont pas été consultés, il va sans dire. Comme quoi les erreurs historiques se répètent.

ESPRIT MÉTIS

Il est vrai que les Innus s’expriment de plus en plus, particulièrement dans la poésie et la chanson. Tout comme certains le font dans l’Ouest canadien et en Colombie-Britannique. Je pense à Thomas King, un romancier et essayiste remarquable, qui décrit la réalité révoltante des peuples premiers.
Ces voix autochtones expriment leur réalité et aussi la nôtre, forcément, après plus de 400 ans à vivre sur un même territoire.

Je suis d’une Amérique poussée vers ses côtes les plus déchiquetées. Cela me force à travailler dur, à me battre avec mes rêveries les plus bizarres, les plus délirantes et les plus créatrices. Je rêve d’une métisserie amériquoise. Je rêve d’une Amériquoisie que j’habiterai avec passion. Et quant à l’anglo-saxonie mondialisante contemporaine, je me dis qu’avec les amours et les amis, nous finirons bien par l’amadouer sans y sombrer tout à fait. (p.37)

ESPRIT NOMADE

Jean Désy jongle avec l’esprit nomade, ce désir de départ, de mouvement qui est la vie. Cette envie d’aller marcher sur les glaciers, de voir la toundra, de grimper au sommet des montagnes, de sentir sur sa peau l’air chaud de la Vallée de la Mort, d’écouter ce pays oublié qui a laissé des traces partout dans l’Ouest américain.

Le ciel des déserts, qu’ils soient chauds et faits de sable, ou froids, comme la toundra arctique, invite à la contemplation. Comme si l’aridité des lieux ainsi que l’absence quasi totale de végétation commandaient un mouvement de repli vers le « ciel intérieur », pour immédiatement retourner vers le « ciel extérieur », les deux  « cieux » rassemblés favorisant la contemplation. Les déserts furent de tout temps des lieux de prédilection pour les anachorètes. (p.64)

Je me souviens d’un arrêt à La Grange en Géorgie. Un serveur ne savait pas ce que signifiait le nom de sa ville. Il était tout étonné d’apprendre que c’était un nom français et que des Francophones s’étaient installés là avant les Anglophones. Des noms comme des épitaphes que peu d’Américains savent lire de nos jours.
À vrai dire, je me méfie un peu de ceux qui se disent métis et réclament des droits. Je me méfie parce que ce peut être une autre manière de spolier les Autochtones. On connaît les débats où des métis réclament des territoires de chasse et de pêche, veulent participer aux négociations avec les Innus dans l’Approche commune. Il me semble que cela risque de chambouler tout un processus de reconnaissance.

BONHEUR

Jean Désy livre ici des pages magnifiques sur son bonheur de parcourir le Grand Nord, d’oublier les frontières sous un ciel qui semble se rapprocher de la terre pour mieux l’envoûter. Il vibre quand il s’attarde dans les déserts de l’Ouest américain. J’ai connu des moments fabuleux en Arizona, sur une mesa, ou encore en traversant la Vallée de la Mort. Nul ne sait ce qu’est le silence, s’il ne s’est pas arrêté au milieu de cette vallée où le sel fait des plaques blanches sur l’horizon. Un silence qui envoûte, vous transporte dans une dimension capable de vous effaroucher.
Jean Désy est un rêveur qui n’aime pas les frontières. Je le comprends parce que j’ai bien du mal avec les enfermements. L’Amériquoisie reste à définir. C’est peut-être une étape vers la reconnaissance du pays du Québec. On peut se sentir chez soi dans l’Ouest américain, mais les coureurs des bois n’y ont fait que passer, y laissant des noms que peu de gens savent décrypter maintenant. L’écrivain et poète rêve l’utopie pour qu’elle advienne, mais c’est une approche individuelle où il trouve sa pleine satisfaction dans des lieux peu fréquentés, face à une nature qui fait croire qu’il y a peut-être une autre dimension à la vie.


AMÉRIQUOISIE de JEAN DÉSY est paru chez MÉMOIRE D’ENCRIER.

PROCHAINE CHRONIQUE : PASSION CHRONIQUE de JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU publié aux ÉDITIONS TROIS-PISTOLES.

vendredi 13 novembre 2015

Jean Désy nous injecte une bonne dose de vie.


Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
numéro 160.

JEAN DÉSY a beaucoup écrit sur le nord du Québec et ses voyages où il va à la découverte du monde. Ce nomade respire mieux quand l’espace s’ouvre autour de lui et que la vie sauvage se manifeste dans toute sa splendeur et sa dureté. Le nord du Québec se prête bien à ce genre d’expériences où la mort rôde. Il s’est même aventuré au Népal et a failli y laisser sa peau. Il est demeuré beaucoup plus discret cependant sur son travail de médecin qui lui a permis de connaître des gens qui vivent en marge du monde, subissant les ressacs d’une société de consommation et de gaspillage des ressources ; des lieux menacés par un Plan Nord qui va se faire aux dépens des populations autochtones qui ne comptent jamais dans ce genre d’entreprise. Pratiquer la médecine dans ces espaces où il faut se débrouiller avec peu de moyens n’attire pas beaucoup de postulants, on le comprendra.

Jean Désy est un homme de la Côte-Nord du Québec et du Nord, ce pays de rêveries, de dureté où la vie se recroqueville et où la survie exige souvent toutes ses ressources et son imagination. C’est une manière de retrouver la vie des Européens qui sont venus en ne sachant comment survivre sur un continent où des peuples nomades composaient avec les saisons et des déplacements bien définis. Ces arrivants ne pouvaient que bouleverser l’ordre américain. C’est encore ce qui se vit dans le Nord où le quotidien n’est plus le même depuis que les Blancs sont débarqués avec leurs machines et leurs habitudes de conquérants. Nous leur avons légué le pire de notre civilisation.
La quarantaine de courts textes que Jean Désy offre dans L’accoucheur en cuissardes nous transporte sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord du Québec, des villages qu’il a visités à de nombreuses reprises. Des pays rudes, peu habités où la nature s’impose, où il faut puiser dans toutes ses ressources pour survivre. C’est peut-être encore l’un des rares endroits au monde où il est possible de se mesurer aux saisons et en réaliser toute la force. Une expérience que la vie en ville a souvent dénaturée. Ce monde fascine Désy depuis toujours et après ses heures de garde dans des dispensaires, il s’évade dans la toundra ou encore va en mer pour taquiner la morue ou l’ombre de l’Arctique. Il aime ces moments où il a l’impression d’être un survivant dans une nature qui l’enveloppe, où il est possible de démêler tout ce qui encombre l’esprit. Ce besoin de solitude, d’être totalement dans son corps, d’habiter ses jours du matin au soir, le fait revenir dans ces lieux peu fréquentés pour comprendre peut-être la nature humaine, son propre regard sur les êtres et les choses.

Une mésange entre et se perche sur la table, comme si elle était une habituée. Rosaire lui tend un morceau de pain qu’elle picore volontiers. Je finis par repartir, mais avec l’idée de revenir pêcher en compagnie du plus vieux de mes garçons, l’autre étant trop jeune, pour jaser encore avec Rosaire à propos d’une existence qui m’a tenté toute ma vie, en plein bois, au cœur des épinettes, des orignaux et des mésanges. (p.57)

Il concilie ainsi la pratique de la médecine, son amour de la nature indomptée, y trouvant matière à ses romans et ses récits, parvenant à aider les Autochtones, les regardant se débattre avec leurs terribles difficultés, la perte d’être qui hante ces gens qui ont perdu leur équilibre, leur pensée et leur regard sur le monde.

L’HUMAIN

Désy nous entraîne ainsi dans des situations amusantes, souvent tragiques, toujours étonnantes où il doit improviser et ignorer souvent les directives des spécialistes du Sud qui ne comprennent pas la situation dans laquelle il se trouve. Il fait savoir que dans ce coin du monde, tout près de nous, la médecine est un sport extrême, celle que les médecins de campagne pratiquaient à l’époque de nos grands-parents, que des hommes et des femmes de notre pays sont aussi différents que ces peuples de Mongolie ou du Tibet. L’étranger vit au Québec depuis toujours.
Dans le Nord, le médecin et le personnel des infirmières affrontent la folie, la démence souvent, les accidents qui arrivent après tous les excès et une terrible violence. En décrivant ses journées de travail, l’auteur fait prendre conscience qu’un médecin agit pour sauver la vie de ses semblables, fait le bon geste devant un être en détresse. Il faut avoir des réflexes et surtout ne jamais perdre son sang-froid devant une femme qui n’arrive pas à accoucher ; un homme incontrôlable après avoir ingurgité une drogue et qui bascule dans le coma. Tous les écrivains qui ont parcouru ce territoire le répètent : le Nord vit un problème d’alcool et de drogues qui détruit la vie sociale et communautaire. Juliana Léveillé-Trudel en parle avec une justesse terrible dans Nirliit, un récit émouvant sur le Nord. Le reportage de Radio-Canada portant sur la situation des femmes autochtones en Abitibi n’est que la pointe d’un iceberg.

Elle ne comprend pas ce qui se passe. Selon elle, c’est à cause de la nouvelle drogue qui est entrée au village, par avion. Bien sûr, tout ce qu’il y a de toxique pénètre ici par la voie des airs. Je me dis qu’un beau jour il faudra absolument s’adonner à une fouille obligatoire des bagages et des colis pour déceler les substances délétères qui empoisonnent le Nord. (p.190)


Le personnel infirmier peut faire des miracles, mais tout est toujours à recommencer. Le mythe de Sisyphe prend un sens singulier quand on pratique la médecine à Salliut ou à Kuujiuaq. Il faut être particulier pour agir dans des conditions où risquer sa vie pour secourir une femme dans la toundra ou aller chercher un blessé dans un blizzard qui efface ciel et terre fait partie du quotidien. Certains n’en reviennent pas, l’avion s’étant écrasé contre le flanc d’une montagne.
Se faire médecin dans ces communautés, c’est changer de siècle, vivre dans un monde autre et apprendre à se débrouiller avec peu de moyens, faire confiance à son instinct et aux autres. Et peut-être aussi renoncer à comprendre devant des problèmes sociaux et humains qui dépassent l’entendement. Certainement que Désy a laissé ses grilles d’évaluation au Sud pour vivre l’expérience du Nord et y trouver des leçons de vie.

HUMANITÉ

Jean Désy est un conteur né, capable aussi de méditer sur ce qu’il vit sans jamais perdre le sourire même s’il devra faire face jour après jour aux mêmes problématiques de violence et d’intoxication.
Des situations qu’il raconte à ses étudiants en médecine de l’Université Laval de Québec pour leur faire comprendre qu’il faut plus que des connaissances techniques pour exercer ce métier pas comme les autres. Un futur médecin doit lire de la fiction et de la poésie pour en savoir plus sur ses semblables, ceux et celles qui se retrouvent devant eux dans un état de détresse. La médecine n’est pas une suite de gestes mécaniques, mais un contact particulier et souvent unique avec un être qui vous confie sa vie. Cela demande beaucoup de générosité, de compréhension et surtout beaucoup d’empathie.
Je me suis consolé en me disant qu’il y a encore des hommes et des femmes qui veulent aider les autres et qui n’empruntent pas les chemins de la politique pour mieux les contrôler. Gaétan Barrette et Philippe Couillard auraient avantage à lire ces récits pour comprendre ce qu’est la vie chez des gens démunis, ou encore délaisser leur limousine pour s’aventurer dans la brousse, circuler sur un tout-terrain et croiser des humains qui ont besoin d’aide. Surtout, j’aime à savoir qu’il y a encore des médecins qui sont des humanistes qui se penchent sur la condition humaine et qui tentent de comprendre la différence. Jacques Ferron se réjouirait, certainement, et peut-être aussi, Normand Béthune.

L’accoucheur en cuissardes est paru chez XYZ Éditeur, 232 pages, 22,95 $. 

samedi 19 novembre 2011

Jean Désy explorateur du monde et de la vie

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui tentent d’effleurer l’essentiel et de trouver un sens à la vie.  
«Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

Trouver une direction, un certain apaisement peut-être, effleurer une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.»  (p.25)
Désy s’attarde à certains écrivains, les poètes surtout, ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Ses angoisses se calment quand il se retrouve dans le Nord où la nature force les êtres humains à échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, un cheminement exemplaire.

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 14 août 2011

Jean Désy est un écrivain nécessaire

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui regroupent l’essentiel de l’écrivain, font part de ses questionnements, ses hésitations et aussi sa manière de répondre et d’être solidaire de ses frères et de ses sœurs les humains. «Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

La démarche de Désy peut étonner dans une époque où la pensée et la réflexion ont du mal à trouver une place. Les femmes et les hommes sont aspirés par les distractions et les gadgets qui se multiplient. Télévision omniprésente et musique qui vous suit partout dans les magasins et les places publiques. Cellulaires, IPod, Black Berry font de la solitude une abstraction. Que dire de la course effrénée vers la consommation ?
Jean Désy, au contraire, cherche le silence, les grands espaces du Nord où il a l’impression de s’approcher d’une force qui l’aspire et le dépasse, où la nature permet aux êtres humains d’échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
«Que la souffrance soit le lot de l’humanité en marche, soit ! Mais que l’absurdité retire toute valeur à la souffrance, et conduise à tous les suicides, je dis non, je veux dire non, je souhaite me révolter, je me révolte, bien que cela me demande une puissante énergie qui doit quotidiennement être renouvelée.» (p.11)
Trouver un certain apaisement peut-être, tenir une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.» (p.25)

Les voyants

Ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, une démarche exemplaire.

« Vivre ne suffit pas » de Jean Désy est paru chez YXZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html

dimanche 27 juin 2010

Jean Désy explorateur de l'âme

Il suffit de plonger dans un livre de Jean Désy pour prendre conscience que nous connaissons bien mal notre pays et que la plupart des Québécois ne savent rien des territoires nordiques et de ses habitants. «L’esprit du Nord» nous entraîne dans ce vaste espace qui me fait rêver depuis toujours. Il semble que là-bas, tout est encore possible. Un espace mythique avec les chantiers de la Baie-James et les ressources minières qui font saliver multinationales et gouvernements. Même que, depuis quelques années, certains pays se disputent ces territoires où ne germaient que de la glace et où les ours polaires imposaient leur présence.
Il en est autrement pour les hommes et les femmes qui habitent le sommet du monde. Inuit et Cris voient la vie d’un autre œil. C’est peut-être ce qui rend si difficile les négociations entre Autochtones et Blancs. Deux conceptions, deux pensées se confrontent dans des échanges qui tournent en rond.
Les Blancs ne pensent qu’à organiser le territoire avec leur approche de sédentaires. Cris et Inuit ont l’esprit nomade. Pour eux, la propriété personnelle n’a aucun sens. La Terre appartient à tous et nul ne peut prétendre en être propriétaire.
«Des groupes humains se trouvent ainsi en opposition, le plus souvent selon des fonctions enfouies dans les couches les plus lointaines de l’esprit : les fonctions nomade et sédentaire. Il existe en chaque être humain, et le plus souvent inconsciemment, une fonction nomade, tout comme il existe une fonction sédentaire, chacune se trouvant plus ou moins développée selon les personnalités, les racines, les origines, l’éducation ou la culture.» (p. 41)
Voilà  la source de bien des incompréhensions. Une prise de conscience de ces points de vue serait déjà un grand pas vers l’écoute et la tolérance.

Cul-de-sac

Jean Désy, dans cette suite de textes, survole plusieurs de ses ouvrages. Signalons «Coureur de froid», «L’île de Tayara», «Au nord de nos vies» et quelques autres. Il raconte le plaisir qu’il ressent quand il descend une rivière en canot, part avec un guide pour traverser tout le continent. Il faut une bonne dose de courage et de témérité pour plonger dans une aventure semblable. Les glaciers bougent, des murs de glace se dressent sous l’effet des marées et du froid, le vent paralyse en quelques minutes. Le téméraire y trouve une joie immense à se laisser bercer par le froid et le silence. Un pays où la nature exulte dans toute sa force et sa beauté, où l’homme doit se centrer, prévoir, penser devant les éléments qui peuvent l’écraser en quelques secondes. Une expérience qui happe et marque à jamais. Jean Désy raconte aussi ses traversées du lac Saint-Jean en hiver, ses nuits de tempête et de vents où il retrouve un aspect du Nord, ses beautés et ses dangers. Une occasion d’aller au-delà de soi et de ses préoccupations quotidiennes.

Pays rêvé

C’est découvrir aussi un vocabulaire, y entendre des mots qui traduisent une autre réalité.
«Parmi les mots les plus étincelants de la langue québécoise nordique, il y en a un qui allie extraordinairement glace et firmament, glacique et ciel du Nord : c’est glaciel. Ce mot se calque et craque et se retrousse et descend les cours d’eau comme il les remonte.» (p.143)
Une initiation pour le sédentaire qui ne s’est jamais aventuré plus loin que Chibougamau. Un univers qui moule l’être et fait croiser des femmes et des hommes que les temps modernes risquent de briser. Peut-être une façon de vivre qui va disparaître avec l’arrivée des gens qui auront le Plan nord dans leurs bagages. Sans compter que le réchauffement de la planète permet d’inventer les pires scénarios.
Jean Désy témoigne de son amour pour la vie nomade qui confronte les mystères de la vie et de la nature. Un véritable bonheur que de plonger dans ces pages qui questionnent l’humain, son rôle et sa place dans un univers toujours en changement. Un monde que nous ne cessons de vouloir transformer et domestiquer par crainte, par angoisse peut-être, par prétention ou par une folie qui nous fait croire que tout est possible, même travailler à sa propre destruction. Un livre nécessaire.

« L’esprit du Nord » de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html

dimanche 19 avril 2009

Jean Désy cherche la petite lumière

Jean Désy, médecin et écrivain, pousse son lecteur devant la maladie, la mort, la misère physique et spirituelle, un monde qui a perdu toute assurance dans «Entre le chaos et l’insignifiance».
Nous l’oublions souvent, le médecin confronte la maladie au jour le jour, le vieillissement et souvent l’horreur. Que dire à une jeune femme qui a tenté de mettre fin à ses jours? Comment regarder un homme et une femme dans les yeux et lui annoncer le pire?
«Comment réagir quand on rencontre pour la première fois une mère qui rejette brutalement son bébé? Comment annoncer à quelqu’un que le cancer qui le ronge va bientôt le tuer et que les miracles sont épouvantablement rarissimes?» (p.11)
Notre société demande au médecin de réaliser justement «ces miracles» tout en soutenant une cadence folle dans des hôpitaux où les spécialistes deviennent des «performeurs». Nous n’entendons parler que des heures d’attentes dans les urgences ou encore de certaines erreurs qui ne peuvent que se multiplier avec des horaires de plus en plus frénétiques. Pas étonnant que des jeunes se questionnent ou décrochent. Des infirmières à bout de patience décident de partir.

L’exil

Certains médecins décident d’aller servir dans le Grand Nord comme Désy l’a fait pour y nourrir leur imaginaire et trouver un ancrage à leur vie. D’autres s’exilent dans des pays qui distillent la misère ou des folies guerrières qui ne savent plus comment prendre fin.
«Vois-tu, en Afrique, j’ai côtoyé le Mal. Je suis content d’être revenu chez moi. Mais j’ai envie de repartir. De fait, je repartirais demain matin. Bizarre non ? Pourquoi ? Parce qu’il me semble que je perds le sens de ma vie dans mon pays, même si c’est paisible. C’est un cadeau du ciel de pouvoir vivre dans un lieu en paix. Mais dès que je remets les pieds chez moi, je ressens le vide. Un grand vide…» (p.23)
Jean Désy empoigne le mal du siècle peut-être, ce vide qui frappe à peu près tout le monde dans des sociétés où il faut gaspiller furieusement pour relancer une économie qui souffre d’hyperventilation.
Dans neuf textes, le médecin nomade affronte la plus incroyable des misères humaines en Haïti ou dans le Grand Nord où la folie emporte les jeunes dans un tourbillon plus dangereux que le blizzard. Des situations extrêmes qui permettent curieusement de mettre un pied au sol.

La quête

Dans plusieurs de ses ouvrages, surtout dans «Âme, foi et poésie» paru en 2007, Jean Désy cherche un sens à la vie. La foi est-elle une réponse quand la misère frappe toujours les mêmes pays du Tiers-Monde? Dieu ou un Être suprême peut-il apporter un certain apaisement? Comment trouver une certitude quand le chaos s’installe? L’écrivain retourne ces questions sans jamais être convaincu des réponses. Il jongle avec ces énigmes d’un livre à l’autre, tente de trouver une direction dans un monde qui se plaît à inventer l’horreur.
«Le Mal, à mon sens, n’est essentiellement qu’humain. Rien d’autre, mais c’est bien assez! Âme et cosmos et nature, et a fortiori Dieu, ne font qu’un pour créer la vie. Notre tâche, à nous, les humains, n’est peut-être essentiellement que de montrer la beauté du monde. De la montrer en la magnifiant. C’est peut-être là que se trouve notre plus grand Bien, le seul qui puisse contrer le Mal ambiant.» (p.25) 

Mal de l’âme

Le médecin et philosophe questionne le mal de l’âme qui secoue nos sociétés, surtout la jeunesse. Comment contrer le «mal d’être»? Il faut peut-être se tourner vers les poètes et les penseurs pour deviner la petite flamme qui vacille.
«Je ne sais pas. Je ne suis sûr de rien. Pourtant, il semble exister un baume pour chaque plaie du monde. Ce baume est souvent un langage. Et ce langage est souvent poésie. Et la poésie, la vraie, ressemble souvent à de l’amour.» (p.87)
Jean Désy recommande l’humilité devant sa profession de médecin. Tout comme Jacques Ferron l’était. Il croit qu’il faut cultiver l’amour de ses patients et avoir la certitude d’être utile. Malheureusement, la médecine industrielle s’éloigne de plus en plus de cet artisanat nécessaire, de «cette compassion humaine» qui aide plus que les appareils les plus sophistiqués.

«Entre le chaos et l’insignifiance» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 13 septembre 2007

Peut-on expliquer l’univers et la vie

Pour Jean Désy, la planète Terre est un immense territoire qui permet à l’homme de se confronter avec la vie, avec la mort aussi, de se retrouver devant soi à la limite de ses possibilités, de ses peurs et de ses angoisses. Les pays doivent servir à se définir, à se trouver par le voyage, l’aventure, la confrontation avec les éléments qui servent de catalyseur et à montrer ce que le vernis de la civilisation a masqué en nous ou refouler au plus profond de notre être. Ce n’est souvent que devant les situations extrêmes que des aspects d’un individu s’expriment.
Dans «Âme, foi et poésie» Jean Désy se questionne, se regarde, interroge l’univers, les textes de réflexions et ces poètes qui rêvent le monde et le sentent peut-être encore plus qu’un scientifique ou un supposé rationaliste. Il est rare aujourd’hui de surprendre un écrivain qui s’attarde aux croyances, qui tente de donner un sens et une explication à l’univers. Un écrivain qui ose utiliser le nom de Dieu et qui parle de foi. Cela semble un peu anachronique mais Jean Désy ne maquille rien, tente dans cet essai de trouver du sens dans une vie qui a de plus en plus de mal à trouver une direction et à s’accrocher à des vérités qui expliquent la terrible aventure de la vie qui s’étire entre la naissance et la mort. Un paradoxe que pas un penseur, pas un savant n’a réussi à expliquer totalement sans qu’il ne subsiste de doutes. L’homme reste un cas, un anachronisme peut-être qui a conscience d’être dans le monde, qui sait qu’il va mourir et qui doit se débrouiller pour faire face à l’absurdité de la vie si on pense qu’elle aura une fin. Le contraire serait peut-être tout autant fou et absurde.

Territoire

Jean Désy, poète, romancier, essayiste, médecin, ne cesse de se mettre en situation de réfléchir. Il aime se fier à ses forces physiques tout autant que psychiques pour découvrir quel être est profondément enfoui en lui, cet être que la civilisation et le monde matérialiste a tendance à étouffer. Il est attiré par les pays de contrastes, les extrêmes, où l’humain a l’obligation de se questionner, de penser chacune de ses sorties parce que la nature ne pardonne pas. La mort est là, devant, à bout de regard. Vivre devient une lutte de tous les jours, une réflexion essentielle.
Jean Désy aime ces territoires nordiques où les horizons se brisent, ces étendues de pierres et de neige où le vent menace de vous emporter. Il aime ces gens qui ont survécu avec peu, se fiant à leur instinct, à leur intelligence, à une intuition unique. Un peuple aussi que la civilisation du Sud menace dans son esprit et dans son corps.
Jean Désy est un poseur de questions, un agitateur de textes. Il fouille les grandes philosophies, s’attarde à Nietzche, Platon, Aristote, garde un amour tendre pour les poètes qui font table rase de connu comme s’ils se retrouvaient au milieu de la toundra et qu’ils devaient inventer une autre façon de faire. Il aime particulièrement Arthur Rimbaud et Saint-Denis-Garneau. Il revient à ces poètes qui touchent l’essentiel.
Bien sûr, Jean Désy n’apporte pas de preuves irréfutables à ces questionnements. Il se bute à des espaces, des pensées qui ramènent à l’existence de Dieu, à la vie qui prend un autre sens si on croit à un au-delà ou une vie après la vie. Les questions se suivent comme un attelage de chiens qui vous entraînent.
L’écrivain demeure un être déchiré entre la civilisation qui en a fait un médecin qui compatit avec les tourments et les souffrances, la pensée qu’il retourne dans tous les sens pour trouver une direction peut-être.
Ce qui reste surtout, c’est la question sans réponse, cette hésitation devant la vie et la mort, la marche de l’humanité qui s’illusionne trop souvent, qui se perd dans des futilités et des amusements. Désy ne trouve pas beaucoup de réponses mais reste fascinant par sa façon d’être et de secouer la vie. Comme si chaque homme et chaque femme avaient la tâche formidable de trouver un sens à leur vie.

«Âme, foi et poésie» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 8 mars 2007

Jean Désy fait de sa vie une aventure

Jean Désy, médecin et romancier originaire de Kénogami, sillonne le Nord du Québec depuis des décennies. Un pays de neige et de froid que la plupart des Québécois méconnaissent.
Dans les nouvelles télévisées, à part la météo, on parle du Nunavik pour montrer des jeunes qui inhalent des vapeurs d’essence ou des drogues. Les suicides aussi font les manchettes. Pour beaucoup, ce territoire n’est que rivières qui servent à produire de l’électricité. Un espace à peu près vierge que des exploitants peu scrupuleux transforment en dépotoir. On a vu des images révoltantes à Radio-Canada. Des entreprises minières ont tout saccagé, y laissant la désolation après leur passage.
Territoires des Cris, des Inuits, des aurores boréales et des ours polaires que la fonte de la banquise menace; pays où se heurtent la modernité et les traditions. La sédentarisation a fait perdre pied à ces nomades qui cherchent des balises.
«Un jour que je lui rendais visite, madame Annanack me dit: «Il faudrait qu’ils retournent dans la toundra.» Elle pensait à ses petits-enfants, à deux de ses petits-fils qui s’étaient pendus trois mois plus tôt, à quelques jours d’intervalle, le premier après une peine d’amour, le second à cause du suicide de son frère.» (p.112)

Fascination

Jean Désy, dans plusieurs de ses ouvrages, décrit ces espaces où il a œuvré comme médecin dans des conditions de travail à faire frémir. Il nous entraîne aussi dans des expéditions où la moindre erreur peut coûter la vie. Désy ne maquille rien de ce pays aux humeurs climatiques imprévisibles et à la beauté époustouflante.
«Un jour, je mourrai dans la toundra. Je ne veux pas mourir dans un hôpital, jamais ! Je passe ma vie à l’hôpital, auprès des malades, convaincu que ce n’est pas là qu’il faut mourir : trop de soignants épuisés, trop de microbes, trop de tristesse entre les murs défraîchis. J’ai dit à Samuel que je n’en pouvais plus d’entendre les cris d’Akinésie ou des autres malades chroniques. Et cette histoire sordide de petite fille violée… Soigner les femmes enceintes, les bébés, les vieillards, ça me va. C’est pour ça que j’ai été formé. Mais endurer les cris des malades d’Alzheimer, leurs odeurs…  Endurer la folie des autres…» (p.75)

Là où tout est possible

Dans «Au nord de nos vies», Jean Désy reprend neuf textes qu’il a publiés dans «Médecin du Québec». Julien, son héros, avec quelques infirmières, tente de sauver des vies, se questionne devant les jeunes qui jouent avec des armes et se blessent, les viols d’enfants qui arrivent quand l’alcool et la drogue tuent la raison. Il parcourt ce pays vaste comme un continent, déchiré entre le Nord et le Sud, tente d’échapper, peut-être, au vertige de la civilisation. Il est lui aussi un nomade que le monde étouffe, semblable aux Inuits «tués dans leur esprit» par la quincaillerie de la consommation.
Plusieurs époques se heurtent dans ces villages cernés par le blizzard, où les hommes et les femmes sont minés par tout ce que les avions apportent à chaque semaine du Sud.
Que ce soit dans «Au nord de nos vies» ou «L’île de Tayara», Jean Désy sait ressusciter des désirs que nos vies parfaitement organisées ont étouffés. Il insuffle l’envie de se surpasser et de faire de nos jours une véritable aventure. Cet écrivain unique est un souffleur de rêves qui fait de ses jours une fiction et de ses romans, une quête. Un humaniste qui témoigne d’une grande compassion envers les hommes et les femmes du Nord.
On devrait lire «Le coureur de froid», «L’île de Tayara», «Carnets de l’Ungava», et «Au nord de nos vies», dans les écoles. Les jeunes apprendraient que l’aventure existe près de la baie d’Hudson, dans un pays où tout échappe au rationnel. Il suffit de lever la tête et l’espace est là, hypnotisant et dangereux. Un pays où la quête va de soi, où l’on peut aller au-delà du quotidien pour effleurer, peut-être, une forme de sagesse. L’ailleurs est ici. Là, tout près, dans une immensité qui change ceux et celles qui ont le bonheur d’y vivre et d’y croiser des êtres exceptionnels.

«Au nord de nos vies» de Jean Désy est publié chez XYZ Éditeur.