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lundi 21 octobre 2013

Richard Dallaire devra dompter ses démons


Une conscience sociale particulière, un regard qui étonne, un monde qui se régénère en se tournant vers les valeurs essentielles que sont l’amour et l’entraide, voilà ce que nous offre Richard Dallaire dans Les peaux cassées. Le tout pourrait prendre des proportions insoupçonnées si l’écrivain consentait à se mettre au service de son texte. Il n’a pas à charger ou à rechercher l’effet. Cette «manière» était déjà présente dans son premier roman et il n’a pas réussi à brider ses élans. Tout est là pourtant, surtout dans la seconde moitié où les «dommages collatéraux» sont moins visibles. 

Le titre un peu étrange fait allusion au travail du narrateur qui rafistole les humains dans une société en train de se désagréger. Un univers dévasté, cruel, sanguinaire où l’amour triomphe grâce à l’empathie de Carole, une femme au grand cœur, qui fascine les gens. Tous veulent la voir, lui confier leurs malheurs et leur désespoir. Elle écoute au risque de se noyer dans toute cette douleur et ces souffrances.

Univers

Rien ne va plus dans la ville. Chômage généralisé, activités paralysées, édifices qui s’effritent. Les affamés hantent les rues, des bandes s’affrontent, des enfants pillent et tuent pour survivre. Heureusement, Carole fait tout oublier et protège une petite flamme dans un univers opaque.
«Elle me raconta être née de la mer, dans une ville portuaire sur laquelle le vent salin s’abattait sans jamais s’essouffler. Enfant, elle traînait en bordure des quais, nageant dans des eaux poissonneuses et se faufilant entre les filets. Le goût salé des larmes lui était familier. Elle avait la connaissance du large; elle savait lire les signes qui prédisent la tempête ou précèdent l’embellie.» (p.13)
Il y a aussi des serpents dragons au restaurant de M. Foo, des enfants de gouttières et un homme empalé, un épouvantable, qui excite la rage des passants, un amoureux des étoiles, un chanteur au cœur tendre, un révolutionnaire qui retournera sa rage contre lui.
Ce monde croupissant et barbare cerne une enclave où il fait bon vivre grâce à l’amour et l’empathie. Je voulais tellement me laisser envoûter par cette sirène qu’est Carole que j’ai fini par oublier «les seaux de larmes» et autres bizarreries.
«Lorsque le monde craque de partout, il est difficile de croire que l’on peut être le mortier qui le calfeutre. Les bulletins de nouvelles nous écorchaient l’espoir avec leur lot de crises, d’actes terroristes et de dommages collatéraux. Licenciement massif et résignation généralisée faisaient sans cesse les manchettes. Au lit, je fuyais tout ça en me serrant contre Carole. La cadence de ma respiration s’accordait avec le sifflement régulier de ses branchies.» (p.24)
Heureux comme des poissons dans un aquarium ou un béluga dans le Saint-Laurent.

Patience

Il a fallu de la patience pourtant avant de me sentir à l’aise dans ce monde féroce, avant de croire en ce couple incertain qui se prépare à avoir un enfant.
«Je suis enceinte. Ces trois mots fracassèrent l’épais rempart de silence dans lequel Carole s’était murée. Les yeux replis à rebord d’inquiétude, elle me tendit un bâton de plastique blanc sur lequel se dessinait dans un cercle une croix bleue plutôt floue. Je saisis l’objet et le regardai de plus près, espérant y trouver un bout de réalité qui m’avait échappé. Je gagnais du temps, cherchant une réplique à la hauteur, mais les mots ne venaient pas. Je m’assis, étourdi.» (p.97)
Même que j’ai dû relire toute la première partie, plus de 80 pages, pour comprendre pourquoi je m’étais senti à l’écart. Mon malaise n’a pas complètement disparu d’ailleurs avec ces descriptions où l’auteur se fait plaisir avant tout, pratique l’art de la périphrase qui rend l’ensemble flou, dresse un écran entre le lecteur et les personnages.

Monde

La façon d’appréhender la société chez cet écrivain devrait nous présenter des choses étonnantes dans un futur pas si lointain. Il devra dompter ses démons, se mettre totalement au service de ses personnages avant.
«Chaque jour, la croissance de la verdure faisait oublier tout ce qui s’écroulait autour. Du toit, on voyait toujours plus de bâtiments s’affaisser. La ville se recroquevillait, broyant ses habitants dans son ventre. Notre immeuble, lui, était une aire protégée au cœur d’un monde qui s’effritait.» (p.163)
Un roman fort séduisant qui aurait pu être un petit bijou en se tournant vers la simplicité.

Les peaux cassées de Richard Dallaire est paru aux Éditions Alto.

dimanche 22 mars 2009

Richard Dallaire cause une belle surprise


En lisant «Le Marais» de Richard Dallaire, j’ai souvent songé à l’une des dernières toiles de Salvador Dali, le peintre extravagant que l’on connaît pour ses immenses tableaux lumineux et inventifs. Quelques semaines avant sa mort, il peignait sa chambre. L’univers s’y défait. Les meubles se tordent. C’est la fin, le monde qui s’écroule, s’efface dans le regard du peintre.
Voilà l’esprit du premier roman de Richard Dallaire, un Baieriverain d’origine. Dans cette «allégorie d’une existence partielle», le monde se décompose. Paul vit en marge de la ville, près d’un marais. Il se rend chaque jour au centre-ville pour travailler à l’ombre d’un volcan qu’il faut ramoner régulièrement pour éviter le pire. Il exerce un emploi déprimant et routinier. Sa vie va à la dérive et tout son temps libre est consacré à colmater une maison que le marais avale. Tout comme dans «L’écume des jours» de Boris Vian, l’environnement épouse l’état du personnage.
Dans la cour, Madeleine, une «saule pleureuse», est inépuisable de larmes. Le marais s’avance à mesure que la santé de Paul se détériore.
«Le processus irréversible de la pourriture attaquait les boiseries de la maison depuis plusieurs années. L’accès au sous-sol était condamné et le plancher du salon partait en ruine. Pour calfeutrer les brèches, Paul clouait au sol les livres qu’il terminait. Sans ce soin, les grenouilles pénétraient la nuit, troublant son sommeil. Parfois, il fixait à regret des livres qu’il n’avait pas eu le temps de lire. Dans un coin, le piano droit jouait en désaccord la partition de sa vie.» (p.12)
Paul devient peu à peu un cadavre. Une bien étrange maladie qui fait qu’il se dessèche sur place, perdant des doigts et un bras.

Hymne à la vie

Pourtant, tout bouge autour de Paul. Surtout après la découverte de Lion sous une cabane. Un enfant débordant d’énergie qui apprend rapidement à voler avec Lucie la luciole. La vie n’a pas dit son dernier mot.
«Au bout d’un moment, une partie de l’enveloppe se déchira, laissant apparaître une tête chevelue. Les yeux clos, elle semblait scruter le paysage. Puis, réagissant aux efforts, la toile céda entièrement, dévoilant le corps nu d’un garçon de six ans. Il ouvrit les yeux, verts.» (p.26)
Si autrefois on trouvait les bébés dans les choux, pourquoi pas dans un œuf. Madeleine, la saule pleureuse, adopte le garçon. Elle finira par l’emprisonner dans ses branches pour le protéger des dangers du monde et le tuer presque.
La jeunesse, la présence de Lucie la luciole change tout. Elle fait reculer la mort, dépose un germe d’amour dans la poitrine de Paul, tout près du cœur qui ne bat presque plus. Tout peut arriver alors. L’amour fait des miracles, on le sait. Paul revient à la vie. Il n’a qu’à s’abandonner pour se redresser du côté des vivants. Et il est tout à fait normal d’être amoureux d’une luciole, du moins dans les fables et les allégories. Le lecteur bascule et se met à y croire.
«Lucie, Lion et Paul passaient leurs soirées près du feu à profiter de la chaleur. Le piano jouait des Ragtimes parce qu’avec tout ce bonheur contenu dans la pièce, il ne pouvait faire autrement. Un soir, Paul dit «je…» à Lucie et s’arrêta en plein centre de sa courte phrase. Tout dire l’amour était difficile. Mais comme il ne put qu’en dire la moitié, c’était tolérable…» (p.149)

Belle découverte

Richard Dallaire jongle avec les mots, les prenant au sérieux pour décrire une société de plus en plus absurde et étrange. C’est ainsi qu’il effleure les travers de notre époque qui s’embourbe. Mais l’espoir reste, l’amour est encore possible. C’est le plus important.
«Le Marais» est un bonheur de lecture, même si Dallaire a tendance à forcer ses comparaisons et ses images. «Pour dire les choses, les yeux de Paul étaient des bouches qui ânonnent de bruyants silences. Les yeux de Lucie avaient l’ouïe fine.» (p.121) Ouf !
Dans ce genre d’univers, l’étonnement provient des situations et des découvertes. Pas besoin de torturer la langue. Malgré ce petit travers, ce premier roman s’avère une belle surprise. Beaucoup de fraîcheur, d’inventions et d’espoir.   

«Le Marais» de Richard Dallaire est paru aux Éditions du Sémaphore.
http://www.editionssemaphore.qc.ca/Richard_Dallaire.html