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vendredi 13 février 2015

Est-il possible de fuir sa vie pour devenir un autre

  
Est-il possible de partir en abandonnant tout, de glisser dans une autre identité ? C’est peut-être cet espoir qui a poussé tant de personnes à venir en Amérique, ce désir de quitter ses misères, de découvrir un monde nouveau, de changer de corps presque. Fernand Bellehumeur a raconté dans Partir : Les lettres de Pit Bellehumeur, l’histoire troublante de son grand-père qui a abandonné sa famille un matin pour disparaître dans l’Ouest canadien. Le petit-fils réussit à le retracer et à connaître l’autre vie d’un grand-père mythique.

Il faut une souffrance ou un désir fou de tout chambarder pour tourner le dos à son passé. Clarisse s’est toujours sentie de trop dans sa famille adoptive. Elle a inlassablement cherché à s’éloigner. C’est ce qui explique son mariage hâtif avec le premier homme qui s’est intéressé à elle.
Peut-être juste la chance d’être enfin soi, d’avoir une attention qu’elle n’a jamais eue. Assez pour croire qu’elle peut penser au bonheur et avoir des enfants. Le rêve se casse rapidement. Clarisse a du mal à vivre la vie de couple. Elle s’évade par la peinture, dans des toiles extravagantes et peut penser à une vie d’artiste. Mais comment vivre avec un mal existentiel, la peur de soi et des autres ? Elle n’arrivera jamais à être une mère, à s’occuper de sa fille Camille, n’arrivera pas à entrer dans le moule. Les gestes du quotidien la ramènent à tout ce qu’elle a cherché à fuir. Elle voudrait s’occuper de cet enfant qui a besoin de ses regards, ses mots, ses tendresses, mais il y a la peur qui peut la pousser hors du monde au moment où elle ne s’y attend pas. Le temps n’arrangera rien.

FUITE

Clarisse fuit au bout du monde pour échapper à son être. Elle s’installe dans l’autre Amérique, un autre climat, une autre langue. Elle va peut-être échapper à son corps pour en habiter un autre. Pourtant, le passé se moque des distances.

Il lui arrive encore parfois de se retrouver tout à coup en plein mois de février, entre deux bordées de neige lourde, auprès de Camille, sept ans, endormie dans sa chambre. Le petit visage de sa fille, encore et encore, s’impose à Clarisse, dans une mécanique implacable. Il lui faut déployer de pénibles efforts pour chasser ces visions. Ne pas se laisser prendre par le corps ensommeillé, ni par l’odeur de la chambre, qui revient miraculeusement aux narines de Clarisse. (p.20)

Une vie toute simple au Costa Rica, ce pays à la nature envahissante, aux sautes d’humeur étonnantes. Un pays fragile avec ses volcans toujours menaçants, l’envers de celui qu’elle a fui.
Clarisse travaille dans un complexe hôtelier comme femme de chambre, l’emploi le plus humble. Elle est celle que l’on ne voit jamais, qui s’occupe des vacanciers qui viennent y perdre leur temps. Elle s’applique à s’effacer, à devenir invisible, à muter.

Ainsi, en ces journées qui se ressemblent, une certaine sérénité est possible. Et le passé se défait, tranquillement, il se décolle comme la croûte sur une plaie. Clarisse en est arrivée à croire qu’à force de plonger au creux des vagues de l’océan Pacifique, de se gorger de sel, d’eau, de soleil et de sable foncé, elle y laisserait son ancienne peau, comme certains insectes muent. Pour survivre. (p.23)

Elle s’intègre à la famille de l’hôtel El Paraiso, devient proche des enfants. Une vie calme, malgré tout ce qu’elle a voulu fuir et qui revient comme les vagues et les marées. Elle apprend le silence dans ce pays d’extravagances où la mer est imprévisible et dangereuse.

L’ENFANT

Il y a Dante, l’enfant qui voit tout. Un nom symbolique peut-être, celui de l’auteur de La Divine comédie où le poète visite l’enfer, le purgatoire et enfin le paradis. Dante voit tout, se faufile partout, perce tous les secrets, ce que tous cherchent à dissimuler. Elle est attirée par ce garçon qui vit en marge de ses frères et sœurs et qu’elle protège d’une certaine façon. Elle se reconnaît dans ce solitaire.

Un jour, une jeune femme arrive à l’hôtel. Éloïse est Québécoise et Clarisse s’affole. Est-ce son passé qui revient la bousculer ? La jeune femme tombe malade et délire pendant des jours dans une chambre où la lumière du jour peine à se faufiler. Clarisse ne peut s’éloigner, revoyant peut-être sa fille Camille. Est-ce elle qui est venue lui demander de faire face, de la regarder dans les yeux ?

Pourtant, jamais son enfance ne manque à Clarisse. Mais elle se souvient, clairement, des visions qu’elle avait eues : les montagnes à ses pieds, tout entières enflammées, élaborant une espèce de domaine de terre et de feu, celui de Satan, peut-être. Cette morbide imagination appelait peut-être cette terre de feu où elle se trouve aujourd’hui. Elle aime y croire. (p.99)

Éloïse finit par guérir et se montre capricieuse, séductrice, possessive et manipulatrice. Elle poussera Clarisse dans ses derniers retranchements. La nomade devra partir, tirer un trait entre elle et ce passé qui la suit comme son ombre.

QUESTION DE VIE

Encore une fois, les personnages de Mylène Durand ont la fragilité des sœurs de L’immense abandon des plages, son premier roman. Il suffit d’un souffle pour que tout bascule.
Un monde où les passions et les secrets refont toujours surface. La vie est toujours à refaire. Et comment s’arracher à son identité ? Nous sommes tous prisonniers d’un corps, d’un passé et d’une histoire.
Un roman de feu et de souffre, ancré dans un décor fascinant où les personnages peuvent devenir ces fauves qui se dissimulent dans la jungle luxuriante. Les pulsions, les désirs rôdent et risquent de tout faire basculer. Un roman étrange où le décor et les protagonistes ne font qu’un. De grandes secousses telluriques suivent les héros de cette écrivaine et les failles ne sont jamais loin, tout comme la bouche des volcans.

La chaleur avant midi de Mylène Durand est paru aux Éditions La Pleine Lune, 236 pages, 22,95 $.

dimanche 29 mars 2009

Mylène Durand donne voix aux Iles-de-la-Madeleine

Les Iles-de-la-Madeleine. Trois enfants, deux filles et un garçon. La mère s’est jetée du haut d’une falaise. Suicide, chute, les survivants ne savent pas. Elle était mal accordée à ce pays, «n’appartenait pas à cette virulence des eaux». Le vent des îles peut rendre fou et pousser aux gestes désespérés.
Mylène Durand, dans «L’immense abandon des plages», un premier roman, nous entraîne dans des pages saisissantes qui évoquent la cadence des vagues. Les textes vont et viennent, se répondent et se croisent. Le vent, la mer, le sable se bousculent. Nous sommes au cœur de la douleur et de la tempête.
Le père s’enferme dans les gestes du quotidien. Un survivant. Les enfants sont abandonnés dans leur immense douleur. Pire, ils se savent marqués par le regard des autres. Ils sont les enfants de celle qui a commis l’irréparable, celle dont le corps n’a jamais été retrouvé. La mer prend, la mer tue, la mer avale et recrache des épaves, parfois des corps selon les élans des saisons.
«Au loin, une femme. Son corps penché. Le bord de la falaise. Si près. Rien que la regarder donne le vertige. C’est horrifiant. Ma respiration, difficile. C’est moi qui suis horrifiée. C’est ma bouche qui s’ouvre, ma gorge qui se serre, ma voix qui tente de s’extirper de mon corps. Il faudrait crier pour qu’elle me regarde, ne fût-ce qu’un instant. Un seul. Mais j’étouffe. Souvent elle se tient là, au bord du gouffre. Elle reçoit le vent salin en plein visage, porte son regard le plus loin possible. Ses longs cheveux au vent puis : elle est disparue. Tombée.» (p.18)
Cet instant a tout changé, cette mère «tombée» ne peut s’effacer de la tête des enfants.

La survie

Comment respirer dans les lieux du drame? Élisabeth s’exile à Montréal pour oublier. Claire écrit à Élisabeth. Claire signe ses lettres, laisse une date ici et là pour se raccrocher au temps peut-être. Élisabeth répond, mais n’envoie pas les lettres. Julien, le frère, navigue. Il est fort, capable de tenir tête aux plus folles rages de la mer. Il suivra sa mère au cœur des tempêtes et des brumes.
Les sœurs lancent des bouteilles à la mer. C’est tout ce qui reste pour colmater la douleur. Claire n’arrive pas à se détacher de sa terre de douleur. Elles rencontrent des hommes. Le corps a ses droits, mais il n’y a que des cris dans la tête des sœurs.
«J’écris. Ce sont les seuls mots qui me conviennent. Raturés cent fois, déchirés, illisibles. Ils sont partout : sur mes murs, mon bureau, dans mon sac. Certains se retrouvent dans mon lit. Ils sont là, autour de moi, avec moi, comme une bonne couverture chaude. Je peux recréer la mer, les îles. Je peux m’imaginer être là-bas, nue, seule. Sur une plage d’été brûlante. Me perdre dans l’eau rafraîchissante. Je peux dire : ma mère est tombée, comme le font toutes ces voix dans ma tête. Je peux aussi écrire en toutes lettres : elle a sauté.» (p.24)
Il faudra le temps pour un peu d’apaisement, éloigner la douleur, retrouver son corps et respirer mieux. Il faudra des années pour se défaire de la culpabilité.
«Je voudrais que les choses soient autrement, être quelqu’un d’autre, peut-être. Oublier. Rien que ça. J’ai tellement envie d’oublier notre mère, désapprendre les nuits d’ici, tout laisser et tout effacer de ma mémoire. J’ai terriblement envie d’un ailleurs, moi aussi. Même si tous les ailleurs m’effraient, même si parfois je crois que je ne survivrai pas à un déracinement.» (p.75)
Les deux en réchappent à leur façon. Claire retrouve une forme d’équilibre et Élisabeth tente un retour. Elle fera demi-tour, ne peut mettre les pieds sur les îles. C’est ainsi.
Le texte de Mylène Durand vous souffle. Rapidement on se retrouve à la frange du possible, de la douleur et de l’existence. Nous sommes au bord du précipice, comme sur un câble tendu sur le vide. Un roman de paroxysmes, de cris qui pousse au-delà des mots et des phrases. Le rythme est hallucinant, l’écriture un halètement. Comment ne pas être subjugué par «L’immense abandon des plages».

«L’immense abandon des plages» de Mylène Durand est paru aux Éditions de la Pleine lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=L%27Immense%20Abandon%20des%20plages