Aucun message portant le libellé Forest Isabelle. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Forest Isabelle. Afficher tous les messages

dimanche 30 décembre 2012

Isabelle Forest nous entraîne dans le XVIIe siècle


«Les laboureurs du ciel» d’Isabelle Forest évoque ces alchimistes qui questionnaient l’être et l’âme, tentaient d’ouvrir des fenêtres que la bonne société fermait à double tour. Voilà qui donne une dimension étrange à ce roman qui se termine par le spectacle de deux exécutions sur un gibet. Nous n’avons plus droit à ces cruautés de nos jours même si la télévision prend le relais et nous présente la mort comme un divertissement dans ce qu’elle a de plus horrible et de plus spectaculaire. Songeons aux attentats qui font des dizaines de victimes et au dernier massacre d’enfants dans une école.

Isabelle Forest entraîne le lecteur dans un monde où tout est possible, même de changer de vie. Le lecteur croit en cette reconstitution de la société parisienne du XVIIe siècle et c’est le plus important. Son écriture vient en écho aux textes de l’époque, mais reste absolument contemporaine.
«Les laboureurs du ciel travaillent en solitaire, souvent de nuit, enfouis dans la face cachée du monde. Bien que leur quête soit universelle, leur recherche demeure personnelle, une vocation de reclus et de gardiens de mystères.» (p.183)
Ces individus cherchaient un autre sens à la vie en risquant le tout pour le tout. Les autorités considéraient ces marginaux comme des sorciers qui méritaient de mourir dans les pires souffrances.

Pantins

Marie, une fillette, est subjuguée par les marionnettes et les spectacles qu’elle ne rate jamais les jours de marché. Avec Petit Pierre, un garçon débrouillard qui n’en a que pour les yeux de son amie, ils explorent le monde et deviennent vite des inséparables.
«Petit Pierre saisit la fillette par un pan de son manteau et l’entraîne à nouveau dans les dédales grouillants de la foire, bousculant parfois les curieux sans s’excuser. Soudain, les enfants sont contraints de ralentir devant un groupe imposant de gens d’où ressortent des femmes au visage livide, des gamins aux yeux agrandis et des hommes toussant pour se donner de l’assurance malgré leurs jambes chancelantes. Petit Pierre pousse Marie à travers la foule. Malgré sa minceur, elle se glisse difficilement entre les corps pressés jusqu’à l’étalage de ferrailles d’un marchand cloutier.» (p.31)
Les marchés publics étaient de véritables cours des miracles alors. Il suffisait de ne pas tourner le dos au hasard ou de s’attarder devant un spectacle pour que le monde bascule. L’écrivaine nous fait côtoyer l’horreur et la beauté, la grandeur et la misère. Une vie grouillante où l’abondance et la pauvreté se bousculent. Il ne faut pas oublier que c’est le monde de Nicolas Boileau et René Descartes que l’auteure évoque avec finesse. Celui de Francis Bacon aussi qu’Angelo n’a cessé de questionner pendant ses nuits d’insomnies.
«À voir les deux têtes se payer la mienne, je songeai que je ne savais m’amuser que de choses sérieuses, comme de plonger la nuit venue dans les grimoires de mon père pour tenter de découvrir le sens caché du monde. Pour ne pas souffrir de cette accablante révélation qui faisait de moi un enfant sans enfance, j’en conclus qu’une erreur de la nature n’était pas impossible, puisqu’à l’inverse elle faisait aussi des miracles, comme le soutenait Francis Bacon dans son Histoire naturelle.» (p.150)

Quête

Les marionnettes s’animent sous les doigts agiles des manipulateurs, donnant l’illusion de la vie. Ces concepteurs deviennent de véritables apprentis sorciers qui tentent de percer le secret de la vie et de la mort, de s’approprier les pouvoirs de Dieu.
«Angelo aurait préféré continuer de travailler en toute intimité avec Marie. Mais Eugène de Coderre, qui l’aidait à se procurer les dépouilles, fasciné par la mort et l’alchimie, ne voulait plus d’écus: il préférait assister à la naissance de ces créatures exceptionnelles qui envoûtaient le public parisien. Dans le laboratoire, ils étaient trois, désormais, s’apprêtant à donner vie à des cadavres.» (p.210)
Avec les dépouilles des enfants, ils reconstituent des êtres qui possèdent «une vie» qui leur est propre. Pourtant, tous savent qu’ils risquent gros quand ils s’enferment dans leur laboratoire. Surtout, ils commettent un sacrilège en utilisant des corps que la société traite souvent comme des rebus. Marie sera violée par ses bourreaux et désirera la mort plus que tout. Isabelle Forest nous convie à une aventure qui se démarque dans la littérature québécoise. Un monde de cruauté et d’espoir. Et peut-être que rien n’a changé depuis.

«Les laboureurs du ciel» d’Isabelle Forest est paru aux Éditions Alto.