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samedi 16 novembre 2013

Madeleine Gagnon témoigne de son époque

Presque tous les écrivains ressentent le besoin, un jour ou l’autre, de revenir sur ses pas pour contempler le chemin parcouru, faire le point sur une vie consacrée à l’écriture et la réflexion. Pour voir peut-être ce reste à faire. La plus belle réussite du genre est certainement La détresse et l’enchantement de Gabrielle Roy. Une écriture venue tardivement qui a laissé ses admirateurs au moment où Bonheur d’occasion devenait un livre. Heureusement, madame Gagnon n’a pas trop tardé à se pencher sur sa vie et son parcours même s’il reste encore des zones d’ombres. Comment tout dire, comment être juste sans basculer dans la complaisance? Madeleine Gagnon a dû se poser la question pendant toute la gestation de ce livre passionnant.

L’écrivaine revient sur son enfance à Amqui, son adolescence, la période des études à Québec et Moncton, les voyages en France, la découverte de l’Europe et le retour à Montréal pour y devenir un rouage important du monde littéraire. Un parcours qui épouse les grandes périodes du monde contemporain, ses espoirs et aussi ses déceptions.
Il y a d’abord la famille. Tout commence là ou presque. Les parents ne feront rien pour contrer les ambitions de leur fille.
«… Je l’ai déjà écrit ailleurs mais j’aime à le répéter: «Et si je n’ai pas assez d’argent pour faire instruire tous mes dix enfants, je ferai d’abord instruire les filles!» Pourquoi? avions-nous osé demander. Sa réponse fut simple: «Parce que les femmes sont meilleures, plus intelligentes et ont plus de morale. Et parce qu’elles transmettent les valeurs d’une génération à l’autre. Les garçons, eux, peuvent toujours gagner leur vie avec la force de leurs muscles.» (p.123)
Il semble bien que l’on a oublié que les filles ont «plus de morale» avec l’arrivée de Pauline Marois comme première ministre du Québec. Une grande première pourtant, une étape importante.

Études

Étudier à l’époque voulait dire tourner le dos jusqu’à un certain point à une façon de vivre et à son coin de pays. Madeleine Gagnon séjournera au séminaire des Ursulines de Québec d’abord. L’aventure prendra fin abruptement.
«Ce jour-là, elle me dit sans autre préambule que si je voulais revenir au collège l’année suivante, je devais renoncer à mes premiers prix – j’en avais quelques-uns, et dans quelques matières. Elle me donnait vingt-quatre heures pour réfléchir et lui faire connaître ma réponse. Sans trop comprendre de quoi il retournait, et flairant l’abus de pouvoir, je ne mis pas vingt-quatre heures, mais vingt-quatre secondes, et la fixant droit dans les yeux, ce qui nous était interdit, humilité oblige, je dis: «Ma décision est prise, mère, je garde mes prix!» Ne pouvait contenir sa rage, elle hurla: «La porte, mademoiselle. La porte de mon bureau et celle du collège, l’an prochain. Vous êtes congédiée ! Pour cause officielle d’insubordination!» (p.45)
Première injustice, prise de conscience peut-être que certaines pouvaient revendiquer des privilèges par leur naissance. Des études marquées par des changements, des arrêts et des déplacements. À la fin, ce sera Montréal et son initiation à la philosophie. Là encore, elle fait face à un monde où les femmes ont peu de place, où elle devra s’imposer. Madeleine Gagnon poussera jusqu’au doctorat en France.

Écriture

Le désir d’écrire se manifeste tôt. La poésie d’abord, des textes engagés, la découverte de la littérature québécoise, la conversion à l’idée de la souveraineté, l’amour, le mariage et la maternité. Une vie qui poussait la jeune intellectuelle un peu dans toutes les directions. Une volonté de militer, de participer à la société du Québec en devenir.
Une histoire de franches amitiés, une volonté de rendre son pays plus juste, pour les femmes surtout, l’enseignement de la création littéraire et la défense des écrits du Québec dans ses cours et lors de conférences à l’étranger. Elle deviendra une sorte d’ambassadrice de la littérature francophone d’Amérique un peu partout dans le monde.
Un témoignage touchant, sans complaisance, dur parfois pour ses proches. Une page importante de l’histoire du Québec moderne qu’elle écrit magnifiquement. Tout n’est pas dit, mais nous avons là un bel aperçu du parcours d’une femme d’exception et de courage.

Depuis toujours de Madeleine Gagnon est paru aux Éditions du Boréal.

dimanche 7 avril 2013

Madeleine Gagnon se penche sur sa vie


«Depuis toujours» de Madeleine Gagnon témoigne du parcours fascinant d’une femme qui a toujours cherché la liberté, l’égalité et la justice. Le tout sans masquer des déceptions, autant professionnelles que familiales. Madame Gagnon a connu la mesquinerie même si elle reste discrète. Jamais elle n’en profite pour régler ses comptes. Un plaidoyer pour l’affirmation de soi et du Québec, de la littérature qui dit une nation dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus senti.

Le récit s’appuie sur sa vie, ses idées, ses écrits et ses amitiés avec des écrivaines remarquables. Bien plus qu’un récit autobiographique, l’écrivaine peint une époque charnière du Québec.
Dans «Depuis toujours» comble jusqu’à un certain point mon ignorance de l’œuvre de cette écrivaine. Elle raconte son enfance à Amqui, brosse un portrait fascinant de ses parents et grands-parents qui sortaient de l’ordinaire. Qui dans les années 40 envoyait ses enfants à l’école? Ce n’était pas dans les mœurs de ma famille. La scolarisation se terminait à la sortie de l’école de rang.
L’art de l’autobiographie ne va pas de soi. Plusieurs s’y aventurent sans pour autant échapper aux balises. La plus belle réussite du genre est certainement «La détresse et l’enchantement» de Gabrielle Roy au Québec. Une écriture venue tardivement qui a laissé le lecteur à la veille de la parution de «Bonheur d’occasion». Comment l’écrivaine a vécu ce succès, nous ne le saurons jamais? Heureusement, madame Gagnon n’a pas tardé à se pencher sur sa vie et son parcours.

Études

La jeune Madeleine aime étudier et le père, un homme d’exception, avec la mère Jeanne, une femme attachante et curieuse, ne feront rien pour contrer les ambitions de leur fille.
«… Je l’ai déjà écrit ailleurs mais j’aime à le répéter: «Et si je n’ai pas assez d’argent pour faire instruire tous mes dix enfants, je ferai d’abord instruire les filles!» Pourquoi? avions-nous osé demander. Sa réponse fut simple: «Parce que les femmes sont meilleures, plus intelligentes et ont plus de morale. Et parce qu’elles transmettent les valeurs d’une génération à l’autre. Les garçons, eux, peuvent toujours gagner leur vie avec la force de leurs muscles.» (p.123)
Étudier à l’époque voulait aussi dire exil. Madeleine séjournera au séminaire des Ursulines de Québec avec ses règlements implacables et ses injustices.
«Ce jour-là, elle me dit sans autre préambule que si je voulais revenir au collège l’année suivante, je devais renoncer à mes premiers prix – j’en avais quelques-uns, et dans quelques matières. Elle me donnait vingt-quatre heures pour réfléchir et lui faire connaître ma réponse. Sans trop comprendre de quoi il retournait, et flairant l’abus de pouvoir, je ne mis pas vingt-quatre heures, mais vingt-quatre secondes, et la fixant droit dans les yeux, ce qui nous était interdit, humilité oblige, je dis: «Ma décision est prise, mère, je garde mes prix!» Ne pouvait contenir sa rage, elle hurla: «La porte, mademoiselle. La porte de mon bureau et celle du collège, l’an prochain. Vous êtes congédiée! Pour cause officielle d’insubordination!» (p.45)
Après bien des pérégrinations, la jeune femme continuera à Moncton où elle découvre les joies de la connaissance. Il y aura beaucoup de migrations avant l’installation à Montréal et des études en philosophie.
«L’un des professeurs nous avertit dès le premier cours qu’il ne donnerait jamais plus de 70% au travail d’une fille, quelle qu’en soit sa valeur. Bon. Il y eut un silence. Puis, quelqu’un a osé, d’une voix timide, demander pourquoi. Le professeur sembla surpris, mit un peu de temps à répondre et dit: «Parce que tout le monde sait que les filles ne viennent pas en philosophie à l’université pour étudier, mais pour trouver un mari!» (p.67)
De quoi devenir révolutionnaire. Madeleine Gagnon poussera jusqu’au doctorat en France.

Écriture

Une fois ces connaissances acquises, madame Gagnon se tourne vers l’écriture. La poésie, les textes militants, la découverte de la littérature québécoise, la conversion à l’idée de la souveraineté, l’amour, le mariage, la maternité, la dure condition des femmes.
Une histoire de franches amitiés aussi, une volonté de rendre la société plus juste pour les femmes surtout. Le militantisme syndical, l’enseignement de la création littéraire et la défense de la littérature du Québec dans ses cours et lors de conférences à l’étranger. Madeleine Gagnon deviendra une sorte d’ambassadrice littéraire comme Miron le fut en poésie.
Un témoignage touchant, juste, sans complaisance qui nous entraîne dans ces années où le visage du Québec a changé.

«Depuis toujours» de Madeleine Gagnon est paru chez Boréal Éditeur.