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jeudi 6 juillet 2017

Natalie Jean fait du bien avec ses personnages

CERTAINS ÉCRIVAINS abordent des sujets sérieux sous le couvert de l’humour et de la légèreté. La perte d’un amoureux ou encore la mort qui frappe dans un moment où l’on se croit immortel. Joëlle vit une rupture amoureuse, se lance dans le lent et patient retour à l’espoir. Tout comme Maxime. Une façon de s’arrêter sur la vie dans notre société. Comment rompre avec la performance et vivre sans préparer un cancer ou la crise cardiaque en début de quarantaine ? Joëlle apprend à la dure pendant que Maxime cherche à se protéger d’une carrière qui avale toutes ses énergies. La solitude aussi qui guette ceux et celles qui choisissent de s’aventurer dans la marge.

Joëlle est graphiste et gagne sa vie en acceptant des petits contrats. Tout va bien. Elle a un amoureux, s’amuse et fait confiance à la vie, imagine une vie de couple pour le meilleur surtout. Et arrive le jour où tout s’écroule. Elle n’a rien vu. Son homme, le parfait, la trompe avec sa meilleure amie. En plus, elle échappe de justesse à l’incendie de sa maison. Une voisine a moins de chance et périt dans le brasier. Toute sa vie ressemble à cet énorme tas de cendres. Comment trouver le courage de tout recommencer ?
Maxime a connu le succès dans son entreprise et le travail est en train de l’avaler. Il n’est plus un homme, mais un individu qui ne vit que pour son entreprise. Il se retire après un fiasco amoureux, s’installe à la campagne pour se reconnecter avec la nature, être bien dans sa tête et son corps. Il apprend de son voisin, un homme de peu de mots qui vit loin des soubresauts de la société et semble bien s’en porter.
Est-il possible de tout recommencer sans reprendre des gestes qui nous poussent vers les mêmes aveuglements ? Joëlle quitte Montréal et s’installe à Québec où elle a grandi. Maxime, près de son lac, prend le temps de s’entendre penser. Tous les deux changent de lieu, de monde pour secouer leur vie.

L’aube se pointe. J’ai marché encore longtemps pour repousser l’échéance. Je gravis les marches qui mènent à notre appartement. Je devrais le vendre. Quand je passe cette porte, une fatigue sans nom me tombe dessus comme une chape de plomb. Il y a trois ans, ce lieu était rempli de plantes vivantes et de fleurs fraîches. Il y a trois ans, ce lieu était rempli de Félicia… Avant, j’avais l’euphorie tranquille, j’étais cet homme moderne et confiant qui tourne le robinet sans s’étonner d’y voir couleur chaque fois une eau limpide. Je ne suis plus ce gars-là. (p.37)

Partir, tout effacer, trouver de nouvelles certitudes et éviter les erreurs. Pas facile de faire table rase. On s’en souvient. Les Européens en débarquant en Amérique pensaient tout recommencer. Un monde tout neuf. Ils n’ont su que reproduire les mêmes erreurs et les mêmes bêtises. Ils ont emporté sur leurs grands navires une violence terrible, des croyances dévastatrices. Le Nouveau Monde était du côté des Autochtones et ils n’ont pas voulu le voir. Une bien triste histoire.

REVIVRE

Joëlle s’installe au cœur de la ville de Québec, dans un appartement où le soleil semble prendre racine. Des plantes s’y épanouissent et la propriétaire devient une mère pour la jeune fille.
Maxime en fait tout autant dans sa forêt en s’occupant manuellement, retournant en ville pour donner un coup de pouce à ses partenaires, pour mieux se convaincre qu’il n’y a plus sa place. Il ne veut que la paix des arbres.
S’arrêter, mettre les mains sur ses jours pour les faire tenir tranquille. Il faut se méfier de ses rêves parce qu’ils finissent toujours par vous rattraper. Joëlle tente d’oublier cet amour qui n’a laissé que des gravats.

Mon père parlait souvent de ça : cultiver sa joie. On dit que je lui ressemble, enfin, on le disait… À part mon frère Victor, rares sont ceux qui parlent encore de lui. Selon ma mère, ça ne serait pas. Parler des morts quand il fait beau assombrit le ciel ; à table, ça coupe l’appétit, c’est comme renverser du sang sur la nappe. Mais où sont nos morts, s’ils ne sont pas dans nos cœurs, dans nos têtes ? On ne cesse pas d’aimer quelqu’un parce qu’il meurt ! Ceux qu’on a aimés vivent dans la vibration de nos voix, mélangés à notre vie. (p.72)

Maxime se méfie des rencontres où l’attrait des corps ne résiste pas à la montée de l’aube. Il apprend à vivre sans bousculer les choses. Son comparse, son voisin solitaire, lui sert de modèle. Il oublie le téléphone intelligent, n’en peut plus des gens qui ont un petit écran greffé à la main.
Joëlle travaille juste ce qu’il faut, se méfie des aventures qui peuvent la troubler. Il y a aussi sa famille, sa mère et sa sœur, à qui elle n’arrive pas à s’identifier. Des étrangers, des valeurs qu’elle rejette. C’est peut-être cette superficialité qu’elle cherche à fuir avant tout. Elle veut s’accrocher à du solide pour oublier le superflu.

En m’éloignant de l’incendie, ce jour-là, je l’ai vue, ma chance. C’était aussi palpable que du bois, aussi tangible qu’une roche de granit. Je ne dois pas l’oublier, jamais. C’est mon tour d’être en vie, j’ai droit à mon bout d’époque. Cette femme, Rosie, qui a péri dans les flammes, je ne la connaissais pas, mais on se ressemblait : elle était née la même année que moi, elle avait eu une enfance, une adolescence, elle était devenue adulte et habitait Montréal, dans mon immeuble. Ce qui nous éloigne le plus, la plus grande différence au monde, c’est qu’elle est morte et que moi, je suis vivante. (p.110)

On s’en doute. Joëlle et Maxime vont se croiser. D’abord dans un train. Une rencontre comme il s’en fait souvent. Des sourires, quelques questions pour s’apprivoiser. C’est déjà l’attirance, celle qui peut vous faire perdre la tête, vous secouer comme un rideau au bord d’une fenêtre ouverte un jour de grands vents.
Les deux se perdent, finissent par se retrouver. Il faut du temps. Il faut bien que les embûches se multiplient si l’on veut avoir un récit un peu consistant. Natalie Jean met votre patience à l’épreuve. J’attendais que l’auteure me plonge dans cette réconciliation amoureuse.

PLAISIR

Joëlle est amusante, maladroite, spontanée, naturelle, et Maxime n’aime pas brusquer les choses. Un roman qui vous fait aimer la vie, le moment présent. C’est certainement le plus important et il est rassurant de voir qu’une écrivaine croit encore qu’il fait bon se lever le matin pour admirer le soleil dans les arbres, la beauté des plantes autour de soi. Surtout, prendre le temps de réaliser ces petites choses qui donnent de la couleur à la vie et font croire à la beauté. Le monde de l’art, de la peinture ou de l’écriture peut permettre de se rapprocher de la vérité.
Sans être un grand roman, j’ai eu du plaisir à suivre Maxime et Joëlle, à souhaiter que la vie devienne une expérience pour eux. Une belle lecture d’été à l’ombre avec des oiseaux tout partout.

IMAGO de NATALIE JEAN, roman paru chez LEMÉAC ÉDITEUR.



PROCHAINE CHRONIQUE : PEGGY DANS LES PHARES de MARIE-ÈVE LACASSE.