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lundi 11 novembre 2019

MICHAËL LA CHANCE CHANGE DE VIE

« LE MARDI 30 OCTOBRE 2017, il m’est arrivé un accident : l’éclosion brutale d’une fleur de sang dans mon cerveau. » Que voilà une belle manière de dire, pour l’écrivain et enseignant Michaël La Chance, qu’il a vécu un accident cérébral, un AVC autrement dit. Un peu de sang et toutes les fonctions cognitives s’enrayent. Comme si le cerveau perdait ses balises et n’arrivait plus à se situer dans l’espace, à composer avec une certaine réalité. J’imagine que pas un cas n’est semblable et que chaque individu réagit différemment après un accident vasculaire cérébral. Michaël La Chance a vécu ce « dérèglement de tous les sens » et pour un intellectuel, c’est la pire chose qu’il puisse ressentir dans son corps et son esprit. Dans Une épine empourprée, l’écrivain témoigne de cette expérience cognitive et sensitive unique.

Un poète, par réflexe, devant une maladie ou un traumatisme crânien, tente de se guérir par les mots. Un sportif le fera en bougeant et en se lançant dans des exercices où le corps trouve des repères. Le penseur, le philosophe, après un AVC, ne peut que s’aventurer sur la glace mince des idées pour retrouver son regard et son entente avec le monde qui l'entoure.
La vision n’est plus la même. Les mots font le dos rond, pire, deviennent des corps opaques ou transparents. Les gens autour bougent dans une autre dimension, surtout au moment où Michaël La Chance fait son entrée à l’hôpital de Chicoutimi. Étrangement, il a la sensation physique de respirer dans le poème de Parménide, comme s’il était le texte, ou qu’il plongeait dans un tableau qu’il a examiné des centaines de fois.

Soudain je regardais les choses comme une énigme, les êtres naturels comme des prodiges. J’étais devenu ma propre énigme, plus précisément, j’entrevoyais mes facultés, pour peu qu’elles me permettaient de respirer et de penser, de parler et de marcher, comme des mécanismes précieux et fragiles. (p.5)

Le monde de l’artiste, ses amours littéraires et picturales prennent corps dans cet environnement qui lui échappe et le pousse dans une sorte de bulle où il est le commencement et la fin.

Autre remarque : j’ai vu l’enfer, c’est un champ de fleurs dont les têtes oscillent dans la brise, mais dont des racines s’agitent dans une pulsation douloureuse. Vu rétrospectivement, c’est un miracle que je n’aie pas cédé. Je me suis tourné vers la peinture de la Renaissance, je me suis appuyé sur le poème de Parménide, comme nous le verrons, sans doute pour me préserver de l’angoisse. J’ai pu halluciner que j’entrais dans l’énigme du monde, qu’une révélation métaphysique (de l’Un) m’était accordée - tout cela pour nier que j’étais diminué, peut-être handicapé. (p.23)

Expérience singulière que celle-là. Il s’avance dans l’écrit de Parménide, ce philosophe et poète grec né six siècles avant Jésus-Christ, le vit de l’intérieur. Le choc est terrible. Des images le hantent. L’Annonciation de Sandro Botticelli et le tableau de La Vierge annoncée de Gérard David. Il plonge dans cette révélation, vit peut-être un retournement du monde qui le bouscule et le transforme, ce que sentait et cherchait l’artiste.

Le sens des mots est miné d’incertitudes et pourtant il n’y a de sens que dans le vertige hypnotique dans lequel nous entraînent les mots. (p.8)

Tout se mélange. Son entrée à l’hôpital, les tests, les interventions des infirmières, la présence de la neurologue. Les scènes se superposent avec ce qu’il a vu des centaines de fois dans les musées. La vie de Michaël La Chance a toujours été une aventure dans « le chantier des mots » et des épiphanies devant certaines œuvres d’art.

Ce que fit la neurologue, la Dre Théodore, qui a pris ma main droite, et qui s’est assise à côté de moi. J’ai été surpris par la proximité entre son visage et le mien, comme si elle devait rentrer dans ma bulle pour me rejoindre, son front devait presque toucher le mien pour me parler, tant j’avais, à ce moment-là, régressé en moi-même. (p.27)
 
L’espace est envahi, comme si le passé, le présent et peut-être bien l’avenir se télescopaient dans une ronde étrange où les frontières deviennent poreuses. Il est à l’hôpital et certainement sous le soleil de la Méditerranée, encore l’enfant qui s’amusait dans l’eau. Peut-être aussi qu’il est un compagnon de Parménide ou l’ange qui se courbe devant la madone qui attendait cet instant depuis toujours.

PERCEPTION

Son ouverture au monde est perturbée et le cerveau cherche à se situer dans l’espace. Tout le faisceau des connaissances et des facultés cognitives se mobilise pour saisir une réalité semblable et différente. Il voit double et arrive mal à garder son équilibre quand il se redresse. Il tente de suivre une ligne droite, mais il est aspiré par la courbure du temps.

Mon accident vasculaire me laisse désorienté, en recherche d’un chemin ; il me laisse disloqué, mais j’apprends à naviguer ma vie. Je recherche une affirmation plus fondamentale, jusqu’au moment où j’aperçois que la parole qui dit l’être participe déjà à ce dernier d’une façon plus profonde et intime qu’elle le soupçonne. La parole porte une affirmation fondamentale dans son fondement, une affirmation qui précède toutes les affirmations. (p.51)

Le voilà naufragé vulnérable et dépendant, conscient qu’il dérive peut-être dans un texte ancien et dans certaines peintures de la Renaissance. Il vit l’acte de la connaissance dans toutes les dimensions de son corps, la révélation au moment où l’ange vient bousculer la vie de la madone. Témoin d’un moment de grâce, vivant le dévoilement, la mutation, la communion qui happe la conscience et va bien au-delà des mots.

ÉCOUTE

Michaël La Chance, pendant ces jours, reste prisonnier de son corps. Il perçoit autrement ce qui a été conception abstraite et connaissance objective jusqu’à maintenant. Il s’accroche à des mots pour ne pas être aspiré par le trou noir de sa pensée.
Le poète et philosophe pénètre les couleurs, entend les conversations des infirmières comme des messages codés peut-être. Tout prend un autre sens et se dévoile.

Dans l’état halluciné qui était le mien, que ce soit mes proches ou des soignants, des personnages historiques, anges ou démons, tous étaient reliés à moi par des degrés de bienveillance. Les spectres du passé veillaient sur moi autant que les vraies personnes. (p.28)

Il y a quelque chose de l’ordre de la « vision » dans ce que Michaël La Chance expérimente, dans ce moment de conscience où la pensée devient palpable. Il est peut-être l’ange annonciateur ou la madone qui comprend que sa vie se transforme. Il surprend un état qui l’emporte au-delà des mots et des concepts, du langage et des couloirs de la connaissance. Voilà que l’AVC devient une expérience passionnante que j’oserais qualifier de quasi mystique.

Après un accident de cette nature, la mécanique prend du retard, l’esprit va de l’avant quand le moral est bon. « Ça ira ! », se dit-on, mais le corps ne suit pas vraiment. On dit « ça va », mais on corrige sa trajectoire, on dissimule ses défaillances. Je pose mes pieds au sol autrement, parce que l’esprit n’est plus un ciel d’idées. J’abandonne une part de moi-même, une autre part fait preuve d’audace et pourtant s’effraie de rien. Il y a une part de soi qui a abdiqué, une autre partie se veut triomphante. (p.72)

Un texte qui bouscule nos façons de voir et de sentir notre environnement, de respirer et de s’approcher de l’humain dans ses gestes et ses quêtes. Une occasion de « dévoiler le langage » et des concepts qui deviennent souvent des « pierres creuses » avec le temps. Surtout, il trouve une dimension autre aux mots, saisit des tableaux et perçoit les pulsions des artistes qui vivent une forme de transe dans leur travail.
Un texte physique qui sollicite la vue, l’ouïe, le toucher et qui fait sauter les verrous de la conscience. Un récit parfois un peu difficile, mais terriblement émouvant et surtout, un état d’être qui m’a particulièrement remué. Je suis convaincu que Michaël La Chance ne sera plus tout à fait l’homme qu’il était après cette expérience. Il a connu une forme d’illumination et pendant un certain laps de temps, il a pu respirer de l’autre côté des mots et s’aventurer dans la texture d’un tableau.

Le cerveau, créature bienveillante, m’a protégé tout au long de ma vie, je lui sais gré, de ne pas m’avoir trop amoché. Une gratitude que je dois à ceux qui sont dans ma vie, et aussi ceux qui veillent en moi, car notre vie actuelle nous est prêtée par des morts. Nos petits dieux bienveillants nous donnent des chances, sans attendre en retour d’être remerciés. Ils ne demandent que cela, que nous saisissions les chances qu’ils mettent à notre portée. (p.90)

À lire et relire certainement. Un récit qui peut devenir un compagnon, comme ces bréviaires qui accompagnaient quotidiennement les religieux, il n’y a pas si longtemps.


LA CHANCE MICHAËL, UNE ÉPINE EMPOURPRÉE, Éditions du TRIPTYQUE, 2019, 158 pages, 16,95 $.



vendredi 26 décembre 2014

Michaël La Chance refait le parcours de sa vie

Michaël La Chance dans Épisodies raconte des moments qui ont fait de lui le poète, l’écrivain et le philosophe qui tente de voir ce que dissimulent les alcôves de l’horizon. Des rencontres marquantes, des figures inoubliables et peut-être, simplement, la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus convaincant et de déroutant. Voilà un livre qui vous accompagne longtemps, provoque bien des réflexions et des détours. Un ouvrage rare où l’on engage un dialogue qui peut se poursuivre bien au-delà d’une simple lecture.

Michaël La Chance établit les attaches de son monde pour mieux voir ce que la vie a fait de lui. Tout comme Dmitri Mendeleïev l’a fait en regroupant les éléments que nous percevons et questionnons. Même que ce tableau prévoit les réactions de substances encore inconnues. L’écrivain établit 130 moments ou épisodies pour démarquer les frontières de son univers, trouver les balises d’un parcours pas comme les autres.

Chaque épisodie est une composition unique de subjectivité et de chance, une combinaison qui ne reviendra pas. Lorsque les circonstances s’y prêtent, j’apprends à faire des entailles de joie, à prendre le départ du quotidien et, parfois aussi, à m’équarrir tout vivant. (p.212)

C’est que cet homme a vécu bien des vies et des mutations. La solitude de l’enfance où le petit garçon s’inventait un monde et des personnages, des rencontres plus tard avec des hommes et des femmes qui ont marqué leur époque, des études et des voyages pour cerner peut-être une certaine forme de vérité. Parce que la vie est faite de rencontres, de lieux et de révélations, aime nous entraîner dans bien des directions pour nous étourdir ou pour toucher l’essentiel, ce qui marque l’être.

Nous sommes ainsi des milliers à hanter notre passé, pauvres fantômes qui voudraient retrouver l’innocence en otage. C’est pourquoi, bien que je sois occupé par l’étalement du présent, le souvenir ressurgit avec un visage différent, il me rappelle qu’une fébrilité du passé ne m’avait jamais quitté, je vois la trépidation dans la toile du jour. (p.10)

Il faut beaucoup d’abandon et de confiance pour tenter de retrouver les moments charnières de sa vie. Il faut consentir à arpenter l’enfance et la vie d’adulte, bondir d’un lieu à un autre sans avertissement. Ce sont plus que des instants ou des événements qui accrochent la mémoire, mais des moments d’être qui vous marquent et vous transforment. Ils sont là, toujours présents, et rien ne pourra les effacer. Ils sont matière de l’individu et sa personnalité. Les chemins entre les moments d’une vie sont inextricables et toujours à repenser.
J’aime ces bonds dans l’espace qui se moquent de la chronologie, quand le passé bascule dans le présent et peut-être esquisse l’avenir.

Chaque épisodie offre un sursis, elle entre dans ma vie comme l’annonce d’une seconde vie. Elle rappelle que d’autres yeux tournent dans mes orbites lorsque je me fabrique des paysages. Je bricole des éblouissements fossiles au fond de mon couloir, mais j’ai quand même un doute : parler de l’Hôtel, décrire le contenu des chambres, est-ce la bonne façon d’échapper à ses murs infinis ? (p.19)

Suite

Michaël La Chance a toujours été fasciné par l’identité qui se forme dans le geste ou la parole. Dans De Kooning malgré lui, un roman déroutant, il s’attarde à l’être et peut-être aussi à ce qui fait que l’on peut devenir un autre. Il suffit d’une bascule, d’une rencontre et son soi est emporté. Une histoire troublante et étrange. Qu’est l’identité ? Qu’est-ce qui la constitue ? Qu’est-ce qui fait que l’on est soi et pas un autre ? Peut-on être plusieurs individus dans une même vie ?


Peu à peu, avec les mots que le peintre tape sur la vieille machine à écrire de sa femme, nous plongeons dans un monde où on bouscule l’identité, la peinture, la lumière, l’œuvre, la vie dans ce qu’elle est et ce qu’elle peut signifier. Nous sommes dans un monde qui se construit et se défait pour faire surgir un moment qui éclate de plénitude.[1]

Certains ont tenté de fuir à cet enfermement. Songeons à Romain Gary qui changera de nom pour échapper peut-être à un monde ou encore Arthur Rimbaud qui coupe avec sa vie de poète pour devenir l’autre « je » en Afrique.
Michaël La Chance a vécu la vie d’artiste et de bohème et d’ermite, d’enseignant et de philosophe. Plusieurs façons d’appréhender un univers qui ne cesse de se dérober devant soi. Parce que la vie est mouvance, événements qui bousculent et vous changent.

Je voudrais fixer par le souvenir les images d’une vie que, pourtant, je n’ai pas vu passer. (p.54)

Certaines rencontres marqueront l’homme en quête de tous les visages de sa vie. Marguerite Duras, Romain Gary, Allen Ginsberg, Gaston Miron, Arrabal, Patrick Straram et d’autres qui se débattent avec leur terrible angoisse de vivant.

Lorsque j’ai croisé Romain Gary, il était sur le chemin de la sortie, il était déjà dehors, il n’avait que faire des voleurs d’épisodes. Déjà, je ne coïncide plus avec ce que j’étais, il est trop tard, je ne peux plus revenir en arrière. Je croyais prendre Gary à son jeu, mais je me suis moqué de moi-même. (p.100)

Des rencontres, des gestes anodins comme celui de cette serveuse qui lui offre un repas dans sa vie de bohème retiennent son attention. Un moment où la vie se fait dense, une seconde que le vivant retrouvera peut-être avant son dernier souffle.
Le temps se recroqueville dans ces courts récits, les moments d’enfance supplantent les expériences de l’adulte et deviennent un tout comme dans un kaléidoscope.

Vivant

Un livre remarquable de franchise, de questionnements, de recherches et de réflexions. Une lecture qui devient une rencontre intime où il n’y a que la vérité qui importe, qui cerne sa vie et l’explique d’une certaine façon en laissant de grands pans d’ombre. Qui peut cerner la totalité de sa vie ? Même Marcel Proust, après sa si longue quête, est demeuré sur sa faim, les mains vides. La vie est ainsi faite. On pense la cerner et elle vous glisse entre les doigts.
Michaël La Chance devient un compagnon de route. J’y ai trouvé un frère qui regarde dans la même direction, m’accompagne et m’aide à mieux respirer. Parce que jamais nous ne cesserons de nous demander ce qu’est le vivant et ce qui importe dans cette aventure où tout est possible. Un livre comme il ne s’en fait guère dans notre époque où des aveugles dessinent l’avenir.

La réalité est une fiction toujours consolidée par son enchâssement dans de nouvelles fictions. Pour fuir l’étranger dans le miroir, il faut faire alliance avec le chaos, il n’y a de garde-fou que l’amour qui attend. (p.199)

Épisodies de Michaël La Chance est paru aux Éditions La Peuplade, 264 pages, 23,95 $.          


[1] Michaël La Chance ouvre un monde fascinant, article paru dans Littérature du Québec, 5 décembre 2011.

dimanche 24 février 2013

Et si René Descartes avait écrit de la poésie


Michaël La Chance, avec «Le cerveau en feu de M. Descartes», propose un livre inclassable que j’ai lu en soupesant les mots, évaluant les phrases qui ébranlent la vie et les jours, la pensée qui, souvent, nous pousse dans les plus étranges excitations. Une réflexion comme il ne s’en fait plus et qui permet de se calmer dans un siècle où l’avalanche d’informations fait de nous des analphabètes. Une entreprise vivifiante.

René Descartes, le 11 novembre 1619, a fait des rêves singuliers qu’il note dans un petit registre en parchemin. Rappelons pour la petite histoire que Descartes est soldat et qu’il sert dans les troupes de Maximilien de Bavière à cette époque.
«L’esprit enflammé par l’excès de tabac, le jeune philosophe est tombé dans un sommeil profond, pourtant il se réveille dans son rêve et interroge celui-ci tout en rêvant. Il interroge cette nouvelle existence entre la vie et la mort, entre la réalité et l’illusion: son corps entre-deux n’est qu’un reflet qui glisse parmi les reflets, une incarnation fantomale, qui tire ses énergies de l’affolement des images.» (p.9)
Deux de ces songes ont été reconstitués par Adrien Baillet en 1691 dans «Vie de M. Des-Cartes» et un troisième a été perdu. Une expérience qui a traumatisé le philosophe et changé sa manière de voir le monde et de l’expliquer.
«Cette nuit de 1619, quelque chose a été entrevu, que le philosophe n’aura de cesse de refuser; ce refus a décidé du destin spirituel de l’Occident. Nous voulons le rappeler aujourd’hui, alors que s’annonce un nouveau tournant et qu’éclôt, par petites éclaircies, le rêve d’une nouvelle façon d’occuper le monde.» (p.9)

Méditation

Michaël La Chance, avec sa manière personnelle d’aborder les choses, engage une méditation poétique des songes de M. Descartes, bouscule le philosophe, tente d’aller plus loin dans la réflexion, l’illumination qui met «le cerveau en feu» et fait plonger dans un monde où la raison s’étiole.
Bien plus, l’écrivain imagine un troisième songe. Une reconstitution en quelque sorte en s’appuyant sur les écrits de Baillet. Et pourquoi ne pas inventer un quatrième songe?
«Imaginons qu’il ait fait un quatrième rêve, qu’il ait trépassé d’un excès de fièvre, ou bien encore, qu’il se soit détourné des sciences pour écrire de la poésie.» (p.10)
Pour terminer, La Chance décrit un voyage qui s’amorce «par une robuste prise de tabac» dans les forêts de l’Équateur. Une forme de communion avec la terre, les plantes, les animaux, l’air et l’eau. Une vision guidée par l’Uwishin, un chaman qui entraîne les curieux dans des dimensions et des sensations méconnues.

Transformation

René Descartes, après ces illuminations, comment ne pas se tourner vers Rimbaud, a eu peur et il s’est accroché à la raison. Le «je pense, donc j’existe» vient de ce refus et explique «Le discours de la méthode». Ce que l’on nomme logique a pris le dessus sur tout depuis quatre cents ans et a fini par éliminer toute autre forme d’appréhension du monde. Le cartésianisme, malgré les séductions de cette réflexion, a fait en sorte d’éliminer toutes les autres formes de connaissance. La raison imposa sa dictature.
Cette approche nous pousse maintenant vers une catastrophe planétaire avec la prolifération des machines qui formatent l’homme. L’informatique étant peut-être le dernier virage de cette conception binaire de la réalité qui occupe toute la place sans pour autant apporter plus de liberté, de bonheur ou de temps à l’être humain pour le rêve et l’imaginaire.
«M. Descartes, c’est moi et c’est vous lorsque je m’accroche à une compréhension désincarnée du monde, lorsque je ne veux pas quitter une pensée de fer qui fait l’impasse sur une dimension de folie qui est en reste dans l’humain.» (p109)
À l’heure des changements climatiques et du réchauffement de la planète qui s’accélère, la consommation folle d’énergie fossile, il serait peut-être temps, avec M. La Chance, d’explorer de nouvelles pistes pour surprendre d’autres manières de penser, d’être et de vivre. Nous voilà devant les abîmes du cartésianisme qui prend le visage, de plus en plus, d’un délire rationnel et d’une fuite en avant. Une expérience de lecture assez unique que propose Michaël La Chance, une méditation nécessaire. Un baume pour ceux et celles qui ont mal à la pensée.

«Le cerveau en feu de monsieur Descartes» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

lundi 5 décembre 2011

Michaël La Chance ouvre un monde fascinant


«De Kooning malgré lui» de Michaël La Chance m’a déboussolé, étourdi même. C’est souvent le cas avec cet écrivain qui ne fait jamais de quartier et qui se méfie des apparences.
Willem De Kooning est né à Rotterdam en 1904 et est décédé aux États-Unis en 1997. Atteint de la maladie d’Alzheimer, il a continué à peindre en gardant son style et sa manière.
La Chance respecte à peu près la trame de vie de ce peintre américain qui a fait scandale en 1950 avec une série de tableaux intitulée «Women».
Pas question de pister l’artiste et de parasiter sa vie en se tenant aux faits et gestes de l’homme. Le roman de Michaël La Chance devient rapidement un questionnement sur l’art et l’identité. Parce que la maladie d’Alzheimer emporte la mémoire et fait en sorte que la personne touchée devient une autre. Que se passe-t-il dans sa tête, que vit-il dans «son absence»?
La Chance lance des phrases qu’il faut secouer pour en extirper tout le signifiant.
«Ainsi, la théorie physique s’incurve sur elle-même et se prend pour objet, elle traite du savoir dont nous disposons sur nos objets; elle traite de ce qu’on peut et aussi de ce qu’on ne peut pas savoir étant donnés nos appareils de mesure et nos dispositifs d’observation. En fait, le savoir est dans nos objets, c’est leur ciment; interroger ce savoir provoque la dissolution de nos objets. La mécanique quantique serait un aperçu du monde qui résulte de cette incurvation sur elle-même, quelque peu monstrueuse, de la pensée.» (p.33)
Nous avons peut-être là un individu qui se retourne sur soi pour mieux se retrouver ou se perdre, on ne sait trop. L’objet devient le sujet et aussi l’inverse. Si on applique cette théorie à deux hommes qui se sont croisés comme des météorites, cela peut donner quelque chose de fascinant.


La rencontre

De Kooning, en 1944, aurait interrogé un savant allemand qui travaillait sur le programme nucléaire des nazis. Sachant très bien que l’on veut fabriquer la bombe qui permettrait à Hitler de gagner la guerre, Boris D. a fui en emportant des documents importants. De Kooning est chargé de le questionner pour savoir ce qu’il transporte dans ses bagages. Ils se sentent vite des complices. Le jeune officier était fasciné par le monastère de Monte Cassino, par son acoustique et ses proportions qui en faisaient un lieu d’exception où il était peut-être possible d’atteindre le plus haut niveau de la pensée et de l’être.
Un obus a frappé leur jeep et la tête de l’Allemand a roulé dans le ravin. De Kooning en est sorti amnésique et ramené à la vie par Pauley, une femme qui les accompagnait et qui a échappé à la déflagration par miracle. Cet événement devient de plus en plus obsédant à mesure que l’âge s’impose et que De Kooning vit en marge du monde.
Peu à peu, avec les mots que le peintre tape sur la vieille machine à écrire de sa femme, nous plongeons dans un monde où on questionne l’identité, la peinture, la lumière, l’œuvre, la vie dans ce qu’elle est et ce qu’elle peut signifier. Nous sommes dans un monde qui se construit et se défait pour faire surgir un moment qui éclate de plénitude.
De Kooning a de plus en plus la certitude d’être l’autre, ce jeune allemand mort dans l’explosion. Le «je est un autre» de Rimbaud prend une signification particulière ici. Pauley, la femme de l’artiste, aurait joué un rôle important dans cette mutation.

Plongée

Michaël La Chance nous entraîne aux sources de l’être et de l’élan vital. Nous sommes ce que nous avons vécu et ce que nous avons vécu est peut-être autre chose aussi. La création oui, mais aussi la théorie mathématique, la science des atomes qui peut souffler la Terre.
J’ai souvent eu l’impression de me retrouver dans un texte philosophique qui tente de dire le monde, l’univers et de trouver un sens à la vie. Il faut revenir souvent sur ses traces, tordre le cou à ces phrases qui se livrent et se referment comme des pièges.
Un texte questionnant et terriblement dérangeant. Un livre difficile, je le répète, mais nécessaire. Un combat, ce que toute écriture et lecture devrait être…

«De Kooning malgré lui» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

mardi 22 décembre 2009

Michaël La Chance réinvente la vie par le langage

Dans «(mytism) Terre ne se meurt pas» Michaël La Chance, poète et philosophe, questionne le langage et la pensée.
Les mots que nous utilisons sont sanglés comme les bêtes de trait. Notre langue domestiquée occulte la réalité. La beauté sauvage et anarchique du langage s’est perdue et il en résulte une pensée atrophiée. Bien pire, avec l’explosion des communications, le langage s’est vidé de toute substance. La parole tourne à vide, ne sert plus qu’à manipuler et étourdir.
«Le problème est là, nous n’entendons plus. Ceci en raison d’un déplacement de la présence ou d’un dépeuplement de la parole. Le langage est devenu cirque d’abstraction, dorénavant séparé des cycles fondamentaux, séparé des flux animés.» (p.9)
C’est cette richesse, cette profondeur première et porteuse de sens «dont nous avons perdu l’idée» qu’il faut retrouver.

Déconstruction

Michaël La Chance souhaite retrouver le monde du «Big Bang» langagier en quelque sorte.
«Nous devons revenir aux paysages, car ce sont des réservoirs psychiques, des tumultes d’émotions qui parfois nous traversent.» (p.9)
Pour saisir l’être, «…pour entendre les tigres sauvages en deçà de la muraille», il faut dire à la fois le pour et le contre, l’envers et l’endroit, le vide et le plein; pour s’arracher à ces étranglements et apprendre à  «…regarder la réalité en face, celle qui est en nous et celle qui est autour de nous. Interroger la réalité, inlassablement. Cela semble aller de soi, pourtant nous ne savons plus par où commencer: quelle meilleure façon de prêter attention à la réalité que de regarder le ciel et les montagnes, la rivière et la forêt, pour sentir le tangible de l’être. En tant qu’être, en tant que tangible.» (p.23)
Le philosophe progresse dans un texte qui occupe les pages de droite et le poète brandit la poésie sur la page de gauche. Comme s’il sollicitait les deux parties du cerveau pour voir le plus large possible.
Textes réflexifs où il questionne toutes les attaches qui étouffent la pensée et le langage; textes poétiques qui permettent des échappées lumineuses.
«Vous allez ça et là dans les blés
sans reconnaître leur ondoiement
d’hauteurs vides
vous allez ainsi
dans les champs de la parole
et piétinez le chemin du retour» (p.52)
Comme les lieux portent l’être, les textes et les lectures définissent des ancrages qui provoquent le sens.

Angoisse

Rien n’est pareil depuis un certain onze septembre. Nous ne voyons plus la vie de la même manière.
«Le Temps s’est renversé, il n’est plus décompte depuis l’Origine, mais compte à rebours vers la fin. Alors comment pouvons-nous nous leurrer d’être au monde comme auparavant ? Non, la Présence est entamée, la nature humaine s’en trouve modifiée.» (p.103)
La poésie permet de toucher le vrai, le réel, l’éternité si l’on veut.
«Matérialiser les mots, voilà ce qui nous permet de relancer les notions les plus abstraites dans le jeu du sens. Et de jeter les mos les uns contre les autres comme des osselets divinatoires. Alors nous pouvons passer la main sur la trame, nous touchons du doigt  les nœuds dans le filet. Nœud après nœud, le tissu maillé fait de nous sa proie.» (p.75)
La quête de l’homme est de créer une écopoïétique qui permet de redevenir un être vibrant. Cela ne peut se faire qu’ici, maintenant, sans tenter de se réfugier dans le passé ou de se propulser dans l’avenir. Le temps réel est ce présent glissant comme le flanc de la truite.
L’ivresse langagière de Michaël La Chance permet de croire que la vie est possible en autant que nous visitions des lieux, que nous acceptions les multiples êtres que nous sommes. Oscillant entre l’angoisse et l’optimisme, «Mytism» s’avère un formidable voyage de lecteur, un plaidoyer pour la vie.

«(mytism)  Terre ne se meurt pas» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.