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jeudi 29 mars 2007

L’écriture comme méthode d’autodéfense

Depuis le temps, tout le monde le sait. L’écrivain puise dans sa vie et éventre souvent des secrets de famille. Pour se disculper, il confie le tout à des personnages et maquille son histoire en se drapant d’une fausse neutralité. «Il faut tout dire en littérature», répète Victor-Lévy Beaulieu après avoir chipé la sentence à James Joyce.
Certains romanciers refusent cette mascarade en pratiquant l’autofiction. Cette appellation donne un vernis de modernité à une entreprise plutôt ancienne. Le lecteur croit alors plonger dans l’intimité de l’écrivain qui devient le personnage. Un genre risqué puisque le public confond auteur et héros de fiction dans la vie de tous les jours.
Christine Angot, en France, est allée loin dans cette démarche en se complaisant dans ses romans à multiplier les prouesses sexuelles réelles ou inventées. Elle prenait la succession d’Henry Miller et, jusqu’à un certain point, de Marcel Proust. Que dire aussi de Jack Kerouac!

Une quête

Au Québec, plusieurs écrivains ont emprunté cette route avec plus ou moins de bonheur. Marie-Sissi Labrèche s’avère une exception. Ses premiers romans, «Borderline» et «La Brèche», montrent un désarroi, une quête d’attention qui passe par une sexualité débridée. Il s’en dégage une fragilité émotionnelle où l’écrivaine se propulse à la frontière d’une frénésie qui risque de l’avaler. Elle a senti ce danger et dans ce troisième ouvrage, elle tente de prendre un certain recul pour affronter l’univers qui la tourmente depuis ses premières phrases.
Elle reste fidèle à l’autofiction tout en inventant une trame romanesque qui lui permet de confronter les deux facettes du récit, d’explorer ce monde qui la hante. L’écriture devient une arme qui permet de repousser la folie, de rompre avec la malédiction des femmes de sa famille, cette démence qui se transmet de génération en génération
«En fait, ce livre, je l’écris non pas contre toi, mais pour moi, pour laisser toute la place à mon avenir. Même si je raconterai des choses qui te sont familières, j’y injecterai beaucoup de fiction, car comme disait Oscar Wilde: «Prêtez-moi un masque et je vous dirai la vérité.» Il paraît que c’est lorsqu’on est dans la fiction que la vérité se pointe le bout du nez, c’est dans la fiction qu’on peut évacuer le plus de méchanceté et le plus de bonté aussi.» (p.14)

La malédiction

«La lune dans le HLM» permet à l’écrivaine de confronter le monde de sa mère, son héritage familial de folie. La narratrice a migré en Europe et fait sa vie d’écrivaine. Elle revient au Québec, le temps d’écrire un scénario à partir de son roman «Borderline», retrouve sa mère qui vit dans un appartement insalubre avec une poule, au milieu des bataillons de coquerelles. Une misère terrible, physique et psychique.
Comment arracher cette mère à sa folie, comment éviter le trou noir qui l’aspire depuis sa naissance. Tout le roman illustre cette lutte, la hantise qui marque les œuvres de la jeune romancière. Le lecteur connaît ainsi les deux faces d’une approche qui se veut une appropriation de soi et une libération. L’écriture devient entreprise de salut. Comme si en plongeant dans les mots, Marie-Sissi Labrèche subjuguait cet héritage et parvenait à trouver une forme d’équilibre. Une écriture thérapeutique à la limite qui permet d’installer la paix en soi et d’accepter ce legs.
«Tu as trop besoin de moi et je te dois tout, car si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à toi. Tu m’as transmis tout ce qu’il y avait de meilleur en toi, l’honnêteté, la sincérité, la gentillesse envers autrui, et surtout la capacité de créer. Par ta folie, tu m’as permis d’avoir accès à mon inconscient facilement, et cet inconscient ne me sert qu’à te faire du mal.» (p.245)
Marie-Sissi Labrèche, dans la fiction comme dans l’autofiction, décrit un phénomène que nous refusons souvent de voir même s’il est de plus en plus présent. Une personne sur dix souffrirait de problèmes psychologiques selon certaines statistiques.
Cette forme d’écriture est terriblement exigeante mais combien touchante et attachante. Elle écrit avec la pointe d’un diamant! Un roman généreux et d’une franchise qui laisse le lecteur sans mots.

«La lune dans le HLM» de Marie-Sissi Labrèche est publié chez Boréal Éditeur.